Tunisie: L’enseignement de l’histoire dans le secondaire, source d’inculture et d’extrémisme
Par Habib Touhami - L’Histoire est pour les classiques un « roman national » dont le but est de cimenter les relations citoyennes par des mythes et des hauts faits d’arme glorifiant la conduite de héros nationaux de référence, qu’ils soient réels ou fictifs. Pour les modernes, l’Histoire, mère de toutes les sciences sociales, est le moyen de contribuer à la formation citoyenne des jeunes bien que ne soit concernée en l’espèce qu’une toute petite minorité, les élèves des classes terminales. On conçoit mal en effet que les élèves du primaire et des classes du secondaire puissent recevoir un enseignement qui déborde de l’histoire traditionnelle.
A tort ou à raison, l’enseignement de l’histoire dans les écoles et les lycées tunisiens se focalise sur des noms et des dates qu’il faut apprendre par cœur pour les oublier une fois les examens passés. Mais même dans ce cas, des générations entières continuent à se distinguer par une inculture historique qui confine à l’ignorance.
Il y a trente-six définitions possibles de l’Histoire, disait Fernand Braudel, autant que les trente-six historiens que l’on peut interroger à ce sujet. Lui-même retient celle-ci : l’histoire est le dépassement de l’évènement. Cette définition est d’autant plus judicieuse dans notre cas que l’histoire est devenue depuis une dizaine d’années l’affaire exclusive des journalistes et des hommes politiques. Pour ces derniers comme le large public, l’événement explique l’histoire alors que c’est l’inverse qui est plus plausible. C’est la raison pour laquelle notre pays reste encore aujourd’hui dans l’impossibilité d’explorer son histoire, ancienne ou récente, avec calme, méthode et discernement. Il est vrai que nous traînons derrière nous les méfaits de siècles de conformisme et de traditionalisme, méfaits qui nous empêchent de situer l’histoire nationale dans le temps qui lui sied et de l’inscrire dans l’histoire du monde.
En effet, l’enseignement de l’histoire dans notre pays reste globalement «primaire», événementiel, superficiel et saccadé. Il ne prépare nullement à la citoyenneté, encore moins à la tolérance ou l’universalisme. Certes, l’histoire universelle fait partie des programmes, du moins en principe, mais dans les faits seule compte l’histoire arabo-musulmane. Ce qui est dramatique est que cette histoire est dispensée de façon à fermer les esprits au lieu de les ouvrir. Les lycéens tunisiens des classes terminales connaissent peut-être Tabari, Ibn Athir ou Ibn Khatir de nom, mais peu ont lu leurs ouvrages de sorte qu’ils rechignent à désacraliser ce que la tradition a sacralisé. Pourtant, nos vénérés « historiens » ont laissé disséminées ici et là des traces qui ne trompent personne. Tel est le cas de « hibr al umma » qui s’appropria le trésor public de la province (Al Basra) pour l’emporter avec lui jusqu’à son refuge à La Mecque ou encore du débat qui opposa l’un des quatre imams de la Sunna au Calife El Maamoun, un texte rapporté par Tabari et qui en dit long sur le savoir réel de l’imam en question.
En disant cela, j’ai pleinement conscience que je risque d’offusquer quelques-uns et de troubler d’autres. Pourtant, ce que à quoi je fais allusion ici figure noir sur blanc dans les écrits des historiens arabo-musulmans cités. Il suffit à tout un chacun de les lire sans filtre ou a priori pour se convaincre de la nécessité de dépoussiérer des pans entiers de notre histoire arabo-musulmane. Car qu’on le veuille ou non, cette histoire est constitutive de la culture et du mode de pensée de la majorité d’entre nous. Il est impossible en effet de ne pas distinguer derrière le développement de l’intolérance et de l’extrémisme les traces indélébiles de cette inculture et de cette exclusive que diffuse l’enseignement de l’histoire dans nos lycées.
Habib Touhami