Tunisie : "Que ton aliment soit ta seule médecine"
Par Ridha Bergaoui - Depuis très longtemps, l’homme s’est rendu compte de la relation entre ce qu’il mangeait et son état de santé. Il y a plus de 2 000 ans, Hippocrate avait dit « Que ton aliment soit ta seule médecine ». Plus récemment Jane Goodall (2008) affirmait que « Nous sommes ce que nous mangeons ».
Dans les années 1990, les scientifiques avaient remarqué que les Crétois (Grèce) vivaient longtemps et avaient très peu de problèmes de santé. Ils ont vite compris que c’était grâce à leur régime alimentaire qui était d’ailleurs adopté par la plupart des pays du bassin méditerranéens. Depuis on parle des bienfaits du régime crétois ou diète méditerranéenne.
Le régime méditerranéen
Le régime méditerranéen est à base de céréales (blé et orge) avec un important apport en légumes, légumineuses, fruits et poissons. L’élément central est l’huile d’olive, très riche en acide mono-insaturé (acide oléique) et polyphénols. La consommation en viandes, œufs et lait est très réduite. Le régime est riche en acides gras insaturés et en antioxydants.
Les bienfaits santé du régime méditerranéen ont été scientifiquement démontrés à plusieurs reprises. Ce régime protège l’organisme surtout contre les maladies cardiovasculaires et certains cancers. Ces deux maladies sont les dominantes pathologiques du monde moderne.
Un glissement dangereux vers des mauvaises habitudes alimentaires
En Tunisie, l’urbanisation, l’amélioration du pouvoir d’achat, l’éducation, les diverses mutations sociales, la publicité … ont entrainé depuis un certain temps un changement progressif de la société tunisienne et de nos habitudes alimentaires.
Le mode européen, synonyme de modernité et de développement, a été longtemps considéré comme modèle, plébiscité largement par une publicité et un marketing invasifs. D’un régime du type méditerranéen, notre régime alimentaire s’est européanisé avec une augmentation très sensible de la consommation des œufs, des viandes et du lait et produits laitiers.
Autrefois basée sur l’autoconsommation et les produits traditionnels, faits maison avec des techniques de production et de conservation naturelles, l’alimentation du Tunisien est de nos jours structurée autour de produits industriels élaborés, achetés de la grande distribution.
La restauration rapide en dehors du foyer est devenue fréquente. Celle-ci est caractérisée par un apport important en fritures et boissons gazeuses.
D’un régime équilibré, on glisse dangereusement vers un régime hypocalorique, riche en graisses saturées et cholestérol, pauvre en fibres, riche en sucre à absorption rapide et en sels. Associé au stress quotidien de la vie moderne, au tabagisme et à la sédentarité, ce régime a conduit à de graves problèmes de santé aussi bien chez les jeunes que les adultes : obésité, maladies cardiovasculaires, AVC, athérosclérose, diabète du type 2, cancers, lithiases, caries dentaires … La plupart de ces maladies sont attribuées à notre façon de manger et à la nature de notre alimentation devenue excédentaire en énergie et complètement déséquilibrée.
Malgré une élévation de l'espérance de vie, ces pathologies dénotent indiscutablement une détérioration qualitative de notre état de santé suite à une alimentation déséquilibrée. L’abandon des mauvaises habitudes alimentaires acquises et le retour à un régime du type méditerranéen est plus que souhaitable afin de préserver la santé de nos concitoyens et l’économie nationale.
Les règles élémentaires essentielles d’une diète équilibrée
Schématiquement un bon régime équilibré du type méditerranéen doit s’appuyer sur les principes suivants:
• pâtes et pain, ni excès ni gaspillage
• légumes, légumineuses et fruits, à volonté
• huile d’olive, un excellent aliment énergétique et protecteur
• poisson, pas de restriction
• jus d’orange et autres fruits, pour remplacer les boissons gazeuses
• viande et œufs, à consommer avec modération
• lait et produits laitiers, pas indispensables
• frites et fritures, à éviter
• sucre et sel, mauvais pour la santé
• retour si possible au « fait maison ».
L’agriculture, le pilier économique et social fondamental
La Tunisie est capable de produire céréales, fruits et légumes et huile d’olive en quantités et qualités satisfaisantes. La production de viandes rouge et blanche, ainsi que lait et œufs posent problème et oblige le pays à importer et subventionner des aliments (maïs et soja) de plus en plus chers en quantités de plus en plus importantes. Le choix d’un élevage intégré basé sur des cultures fourragères adaptées permettrait d’épargner des devises importantes et d’équilibrer notre balance commerciale. Le régime du type méditerranéen permet de réduire la pression sur les protéines animales.
L’agriculture est et sera toujours le pilier le plus important du développement socio-économique national. Une attention particulière doit être orientée vers ce secteur stratégique et primordial. Il en va de notre survie. Il faut revoir et actualiser nos stratégies et politiques agricoles pour tenir compte des contraintes actuelles liées aux diverses crises mondiales (sanitaires, énergétiques, économiques…), au réchauffement climatique. Un bon état de santé de la population par le biais d’un régime alimentaire adéquat doit être un objectif permanant.
Une politique intelligente et cohérente d’appui, de subvention et de soutien au secteur agricole et aux agriculteurs est nécessaire pour atteindre ces objectifs.
Les agriculteurs doivent être encouragés à produire dans de bonnes conditions. L’Etat doit mettre à leur disposition tous les intrants nécessaires à des prix raisonnables. Les circuits de commercialisation doivent être réorganisés avec une lutte permanente contre la spéculation, la corruption et la fraude. La vulgarisation et la recherche doivent être revalorisées, restructurées et matériellement et humainement renforcées. De son côté l’agriculteur doit produire un produit de qualité, indemne de produits toxiques à mettre à la disposition du consommateur à un prix raisonnable en rapport avec son pouvoir d’achat.
Des politiques agricoles cohérentes avec les objectives santés et la sécurité alimentaire
La pandémie de la covid-19 a bien montré les failles du commerce international et la nécessité de compter sur ses réserves alimentaires pour approvisionner le marché national en période de crise.
Par ailleurs, le monde doit faire face aux dangers du réchauffement climatique. La Tunisie est exposée en plein à cette catastrophe qui va probablement réduire encore nos maigres ressources hydriques et nous exposer, dans les années à venir, à des phénomènes climatiques extrêmes (inondations, sécheresses…). Ces contraintes nous obligent à revoir nos stratégies en matière de politiques agricoles devenues obsolètes.
L’aspect santé et bien-être de la population et l’intérêt de revenir vers un régime du type méditerranéen, nous permet de dégager sommairement les principales lignes directrices d’une politique agricole orientée vers une sécurité alimentaire nationale et un équilibre alimentaire satisfaisant.
1- Les céréales, des cultures prioritaires
Le régime alimentaire doit comprendre une part importante de blé tendre pour le pain et blé dur pour les pâtes alimentaires. Une attention toute particulaire doit être réservée à la culture des céréales. Il faut d’une part essayer d’augmenter les surfaces et d’autre part améliorer sensiblement les rendements encore relativement faibles.
On remarque de nos jours une tendance vers l’introduction et l’encouragement de nouvelles spéculations comme la culture du colza, de la betterave sucrière, on parle même de la réintroduction du coton. Ces cultures sont, sur le plan agronomique, de véritables concurrentes des céréales. Elles ne cadrent pas avec l’objectif d’autosuffisance en céréales et doivent être abandonnées.
La culture du blé doit être la priorité nationale et l’objectif de se rapprocher de l’autosuffisance, une préoccupation primordiale constante.
2- Profitons des bienfaits de notre huile d’olive
Notre huile d’olive a été orientée vers l’exportation avec le recours à l’importation des huiles des graines de soja, tournesol... L’année dernière la Tunisie a exporté difficilement 376 000 tonnes (ONAGRI). Seuls 5,6% de cette quantité a été exportée sous emballage. 95% de notre huile est vendu en moyenne à 5 dinars le kg et profite aux Espagnols et Italiens. Ceux-ci utilisent notre huile extra vierge pour améliorer la qualité de leurs huiles, le conditionner et le réexporter sous leurs marques partout dans le monde. Les Tunisiens doivent se contenter soit d’une huile d’olive chère et de moyenne qualité, soit d’une huile de mélange subventionnée de très mauvaise qualité (objet de malversations et de spéculations) soit des huiles de graines commercialisées dans les grandes surfaces presque au même prix de notre huile d’olive exportée.
Il est temps de revoir cette approche et d’encourager le Tunisien à consommer l’huile d’olive et bénéficier de tous ses bienfaits pour la santé. Il est clair qu’un grand effort doit être fait afin de rajeunir notre oliveraie, améliorer la qualité de l’huile, son conditionnement et sa commercialisation en fonction de la qualité.
Il ne faut dorénavant exporter que l’huile d’olive biologique (la Tunisie est bien placée pour exporter ce produit très prisé sur le marché mondial) et l’huile conditionnée en petits emballages.
3- Développer la culture des légumineuses
Les légumineuses (fèves, pois chiches, lentilles, pois…) jouent un rôle très important aussi bien dans l’alimentation humaine que sur le plan agronomique et environnemental. Elles peuvent remplacer, dans la cuisine, avantageusement la viande (pas de cholestérol, ni graisse, ni gluten) pour la confection de nombreux plats très succulents. Pour la culture, elles n’ont pas besoin d’une fertilisation azotée et enrichissent le sol grâce aux rhizobiums des racines qui hébergent des bactéries qui fixent l’azote de l’air. Elles représentent un excellant précédent cultural pour les céréales.
4- Viande-lait, encourager l’élevage intégré et la production fourragère
Il n’est plus admissible de baser l’alimentation du cheptel national en grande partie sur des produits importés. La Tunisie importe chaque année de très grandes quantités de maïs et de soja pour alimenter tout le troupeau avicole (viande, œufs et reproducteurs) et une grande partie du troupeau bovin et même les moutons. Les élevages laitiers hors sol connaissent de graves difficultés. Ils sont confrontés à de sérieux problèmes de rentabilité, suite à l’augmentation continue des prix du maïs et du soja au niveau mondial qui se répercutent sur le prix des concentrés utilisés par les éleveurs. Cet élevage n’est pas viable et de nombreux éleveurs ont déjà abandonné le secteur.
Seul un élevage intégré dans des exploitations polyvalentes est intéressant. La complémentarité cultures –fourrages- élevage est la seule solution pour s’affranchir de l’importation d’une partie importante du maïs-soja et réduire les prix de revient des aliments du bétail et donc des produits (lait et viande). L’intensification, le développement et la diversification des cultures fourragères sont nécessaires pour un élevage rentable et durable.
5- Cultivons légumes et fruits de saison, arrêtons d’importer des fruits superflus
La Tunisie offre une très grande diversité de légumes et de fruits. Nous produisons toutes les légumes dont nous avons besoin (tomate, pomme de terre, piments…).
Toutefois il faut éviter les cultures gourmandes en eau et en énergie. C’est le cas des légumes destinées à l’exportation comme la tomate et les primeurs cultivés dans les serres climatisées et qui exigent beaucoup d’énergie et d’eau alors que le pays souffre de l’épuisement des ressources hydriques et d’un important déficit en énergie.
Par ailleurs, le Tunisien doit comprendre que certains les légumes et fruits ne peuvent pas être produits toute l’année sauf cultures forcées dans les serres à ambiance contrôlée. Tomate, piment et pomme de terre sont des légumes de saison. Les cultures protégées, hors saisons sont couteuses et les produits sont généralement de moins bonne qualité. Le consommateur doit s’adapter et préparer se repas en fonction de la disponibilité des légumes de saison d’excellente qualité et bon marché.
Il est inadmissible de voir partout des tas de fruits importés, comme les bananes, ananas, kiwi et autres, alors que le pays produit des fruits très succulents et bon marché toute l’année. L’importation de ces fruits superflus doit être bannie afin de protéger la production locale et d’épargner une sortie inutile de devises.
6- Les dattes tunisiennes, un fruit béni
L’année dernière, la Tunisie a produit plus de 300 000 tonnes de dattes dont 130 000 tonnes prévues pour l’exportation. La plus grande partie de nos dattes (70%) est issue de la variété Deglet Nour. Le meilleur de la récolte, conditionné et emballé, est exporté à bas prix (autour de 7 dinars le kg). Pour le Tunisien on lui propose les dattes de choix de basse qualité.
La datte est un excellent fruit riche en glucides, fibres, minéraux et antioxydants. C’est un délicieux dessert qu’on peut consommer à volonté. Encourager le Tunisien à consommer les dattes toute l’année (la datte n’est pas un fruit uniquement du mois de Ramadan) rendrait service à sa santé et au budget de l’Etat à la place des fruits importés. Par ailleurs les industriels de l’agro-alimentaire doivent faire preuve d’un peu d’imagination pour proposer au consommateur des préparations innovantes à base de dattes afin de diversifier l’offre et augmenter la demande.
Enfin, il faut signaler que nos ressources hydriques dans le sud tunisien, provenant des nappes souterraines, commencent à se tarir ce qui menace nos palmeraies. Il est indispensable d’utiliser correctement ces ressources devenues de plus en plus rares.
Conclusion
La santé est certainement notre bien le plus précieux. Un bon état de santé passe inévitablement par un bon régime alimentaire.
Eviter le gras, le sel et les sucres est très important. Lutter contre la sédentarité, le tabagisme, les drogues diverses doivent compléter l’aspect alimentaire.
Préserver et améliorer l’état de santé de nos concitoyens doit être, pour les décideurs, un objectif prioritaire. Des campagnes de communication et d’information auprès des différentes classes de la population (écoliers, adolescents, parents, éducateurs…) au sujet de l’éducation nutritionnelle et alimentaire, sont nécessaires.
« La santé par l'alimentation, c'est l'enjeu des années à venir » Robuchon, 2014.
Ridha Bergaoui
Professeur universitaire