Les intentions et motifs d'émigration des jeunes médecins de famille, objet d'une thèse de doctorat en médecine
Par Pr. Rym Rafrafi Ben Ameur - Dans une conjoncture nationale et mondiale marquée par l'accroissement de la migration des compétences, l'exode des médecins tunisiens engendre de sérieuses conséquences sanitaires et économiques. La médecine de famille, pierre angulaire du système sanitaire, semble particulièrement touchée par ce phénomène. Une étude a été réalisée par le Dr Ibrahim Ben Slama dans le cadre d’une thèse de doctorat en médecine et dirigée par Pr Rym Rafrafi professeure en psychiatrie. L’objectif de cette étude était d’évaluer les intentions d’émigration et de mieux comprendre les motifs chez les jeunes médecins pour proposer des recommandations et des solutions. L’étude a également recherché les facteurs qui sont significativement associés à l’intention d’émigrer. Un questionnaire a été distribué en ligne à trois promotions de médecins de famille en formation à la faculté de médecine de Tunis. Il y a eu un taux de réponse important de 70 % avec 253 réponses en tout. Les principaux résultats de cette étude ont montré que 69 % de ces jeunes médecins avaient l’intention d’émigrer. Le principal pays de destination était l’Allemagne, puis la France. La plupart projetaient de se spécialiser à l’étranger. Seuls 28 % avaient une intention ferme d’émigration permanente. L’âge jeune et le fait de ne pas avoir d’enfants étaient statistiquement associés à l’intention d’émigrer. Les principaux motifs d’émigration cités par les participants étaient: l'insatisfaction concernant les perspectives professionnelles et le salaire pour un médecin de famille. Les opportunités de travail étaient considérées comme plus encourageantes à l’étranger. Sur le plan social, beaucoup ont reconnu que la situation soico-politique en Tunisie fait partie des motifs de départ. Par ailleurs, ils considèrent que l’éducation des enfants à l’étranger serait aussi un facteur encourageant pour l’émigration. La principale barrière au départ est l’absence de maîtrise de la langue du pays d’accueil (par exemple l’allemand pour ceux qui désirent s’installer en Allemagne). Le principal facteur facilitant est le fait d’avoir accès aux informations à travers des médecins déjà émigrés dans le pays d’accueil.
Plusieurs recommandations peuvent ressortir de cette étude. Il faut essayer d’améliorer l’attractivité du cursus de médecine de famille. Plusieurs moyens peuvent être proposés pour la fidélisation des médecins et l’amélioration de la satisfaction professionnelle tels que: le renforcement des liens entre l’étudiant et le cadre académique, la réforme des conditions de travail, l’adaptation de la rémunération et la valorisation de la médecine de famille par une meilleure insertion professionnelle. Il est également recommandé de maintenir des canaux de communication avec les médecins à l’étranger. Ceci faciliterait le retour et la réintégration professionnelle mais aussi la création d'un potentiel de transfert scientifique et financier avec ces diasporas. Le suivi des flux migratoires passe par un recensement et suivi des indicateurs. Il serait utile d’établir des accords bilatéraux équitables qui permettraient un échange des données et un transfert des technologies. En plus de ces mesures spécifiques, des mesures générales en vue d’une stabilité sociale et politique seraient également nécessaires.
Pour finir, vu l’existence d’une dynamique migratoire intense dans le monde, notre pays se doit d’instaurer une stratégie migratoire cohérente relative aux médecins en particulier et aux compétences en général.
Professeure Rym Rafrafi Ben Ameur
Professeure en Psychiatrie à la Faculté de Médecine de Tunis
Cheffe de Service de Santé Mentale à l’Hôpital Mongi Slim, Marsa