Mongi Baklouti : Un des pères fondateurs du Tourisme-Jeune vient de s’éteindre
Par Rakia Moalla-Fetini - Sil Mongi Baklouti venait juste de souffler ses 83 bougies lorsqu'il s’est éteint ce 24 février. Mais d’esprit, il était resté aussi jeune qu’à l’âge de 20 ans lorsqu’il s’était engagé, en 1958, dans l’Association Tunisienne des Auberges de la Jeunesse (ATAJ). Celle-ci n’avait alors qu’un an mais elle était la fière héritière du mouvement Ajiste créé depuis 1948 en Tunisie. Ce travail associatif a constitué sa véritable école de formation et l’a préparé à devenir un pionnier du tourisme-jeune en Tunisie à la faveur de la création, en 1968, de la Société Tunisienne du Tourisme Jeune (SOTUTOUR)(1), une société étatique à laquelle il avait dédié sa vie professionnelle pendant 30 ans, organisant des voyages à l’étranger pour les jeunes Tunisiens et accueillant de jeunes étrangers en Tunisie dans trois centres d’excellence hôtelière (à Hammamet, à Borj Sedria, et à Tabarka) et leur faisant découvrir le riche patrimoine culturel de la Tunisie, un des berceaux de la civilisation antique.
Ainsi, Sil Mongi Baklouti a fait partie de cette élite d’hommes et de femmes qui ont bâti la Tunisie moderne. Sur leurs épaules notre jeune nation s’est frayéeun chemin vers la liberté et la modernité et est devenue une balise lumineuse pour le reste du monde Arabe, nonobstant les revers qu’elletraverse aujourd’hui et qui ne peuvent être que passagers.
C’était l’Institut Goethe qui lui avait offert sa première opportunité de voyager en Allemagne pour apprendre l’allemand puis c’était le « International Council » qui lui a offert l’opportunité de voyager aux Etats-Unis pour une formation dans l’animation pour jeunes à l’université de Western Reserve dans l’Ohio. Pendant ces deux voyages, il avait respiré un air de liberté et une joie de vivre exhilarante. Ces deux expériencestransformatrices l’ont convaincu que le tourisme-jeune doit être mis au centre du projet de reconstruction nationale, au même titre que l’école publique. Ces expériences lui ont permis de comprendre qu’il ne peut y avoir de développement durable que si toutes les forces vives de la nation se mobilisent pour créer une synergie entre la science, l’éthique et l’esthétique. Seule une telle symbiose pouvait propulser le pays au cœur d’une spirale salvatrice qui le tirerait vers le haut.
Le tourisme-jeune que Sil Monji Baklouti a contribué à bâtir a été pour des dizaines de milliers de jeunestunisiens de la génération de l’Indépendance une source d’épanouissement incroyable.Il leur a permis, à un coût relativement modique, de voyager, de rencontrer d’autres jeunes, de s’enrichir par ce contact, d’élargir leurs horizons, de rêver, d’affermir leur sens du beau, d’ouvrir leurs esprits, et d’imaginer une vie plus riche, plus libre, etsans doute plus généreuse. Il a ouvert pour eux une fenêtre sur un monde de promesses et d’aspirations que l’école,à elle seule, n’aurait pas pu réussir à faire.
Durant sa longue carrière au sein de la SOTUTOUR, Sil Mongi n’avait jamais abandonné son premier amour pour le mouvement Ajiste. C’est ainsi qu’il a continué à être actif au sein de l’ATAJ, en tant que responsable de ses relations internationales, et au sein de la Fédération Internationale des Auberges de Jeunesse. C’est ainsi qu’il fut élu à l’unanimité comme membre d’une commission du Bureau Exécutif pour promouvoir l’Agisme dans le bassin méditerranéen (de 1989 à 1994). Il avait été également un membre actif de la Confédération Internationale du Tourisme Etudiantpermettant aux étudiants Tunisiens d’acheter en Tunisie des cartes d’étudiants internationaux qui leur ouvraient bien des portes à l’étranger(2).
Grâceà son don de double vue et sa capacite de saisir au vol la moindre opportunité qu’il voyait pointerà l’horizon, il avait réussi à tisser des liens de coopération et d’amitié pour la Tunisie avec de multiples organismes étrangers, offrant des chances au maximum de Tunisiens de voyager dans le monde, et mobilisant des ressources pour les auberges de jeunesse en Tunisie. C’est entre autres grâce à lui que la Tunisie a pu avoir un don Allemand pour construire l’auberge dejeunesse de Nabeul. Tout se présentait à lui comme une opportunité et jamais comme un obstacle.
Même passé l'âge de 75 ans, Sil Mongi Baklouti tenait à ce que sa carte internationale d’auberges de jeunessoit à jour, car partout où il allait dans le monde, il préférait toujours l’exubérance des hôtes d’une auberge de jeunes à l’ambiance feutrée des hôtels cinq étoiles. C’est aussi avec beaucoup de stoïcisme et de courage qu’il a enduré le déclin progressif de sa vue sans jamais se plaindre, exprimant seulement le regret de ne plus être en mesure de voir les beaux yeux bleus de sa femme. Il avait choisi de dédier sa vie privée à faire le bonheur d’une seule femme et ce faisant, il a fait le bonheur du monde. Rares sont les hommes qui ont rayonné d’autant de bienveillance, et qui ont incarné autant que lui les valeurs de l’intégrité, de la probité, et de l’authenticité.
Rakia Moalla-Fetini
(1) Lors de sa création La SOTUTOUR s’appelait l’Agence Tunisienne du Tourisme Jeune (l’ATTJ).
(2) Ces cartes continuent à être délivrées par l’agence SYT Travel, une agence qu’il avait fondé avec son fils Slim en l’an 2000.