Tunisie: Haro sur l’obscurantisme !
Par Habib Touhami - Qualifier la société tunisienne telle qu’elle est aujourd’hui d’obscurantiste peut paraître excessif ou violent de prime abord mais quand le simplisme de raisonnement et de représentation marque à ce point les débats intellectuels et politiques, l’exercice du pouvoir, les travaux de la représentation nationale, les joutes médiatiques, les réseaux sociaux, la rue et les harangues des imams, on doit bien convenir que le qualificatif correspond à une réalité tangible et incontestable. Il suffit de se promener dans l’espace public pour constater avec effroi que l’obscurantisme a débordé de sa sphère religieuse, encore que cette sphère soit dominante à ce point qu’elle contamine le tout, pour toucher aux structures mentales et aux comportements sociaux d’une très grande partie de la population tunisienne.
On peut s’en étonner au regard de la réputation d’ouverture du pays et du relèvement du niveau éducatif de la population pendant un demi-siècle, mais le replacement du fait religieux au centre de la politique et de la vie culturelle et sociale depuis quelques années a grandement facilité le transvasement rapide de l’obscurantisme induit par une certaine forme de « religiosité» aux diverses couches sociales, obédiences culturelles, cultuelles ou politiques. Avant la «révolution», l’obscurantisme avait une connotation presque exclusivement religieuse. Il s’appliquait surtout aux intégristes islamistes qui réfutaient la Nation, l’Etat civil, les Constitutions manifestes et l’égalité femmes-hommes. Depuis, l’obscurantisme s’est largement diffusé jusqu’à contaminer les adversaires de l’intégrisme religieux eux-mêmes. Désormais, la société tunisienne est devenue obscurantiste par résonance, mimétisme ou lâcheté en ce sens qu’elle refuse majoritairement la diversité et la tolérance, qu’elle renâcle à la diffusion du progrès et qu’elle adopte l’irrationalité et l’approximation dans ses échanges et ses résolutions.
Quand dans un pays, le malthusianisme règne en maître pour croire ou laisser croire que le travail est une ressource forcément limitée et qu’il faut donc la partager ou en exclure les femmes pour réduire le chômage, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une forme exécrable et totalement aberrante d’obscurantisme. Quand l’Université se permet de débattre d’une thèse surannée et ridicule selon laquelle la terre serait plate alors que le débat a été tranché par les savants « abbassides » il y a dix siècles, il ne s’agit ni plus ni moins que de simplisme de raisonnement et de représentation ou, pour mieux dire, d’obscurantisme. Quand l’opinion publique ne fait pas la différence entre vengeance individuelle à chaud et vengeance sociale à froid pour appeler à l’application de la peine de mort sans écouter l’ensemble des arguments contre ou pour la sanction suprême, il ne s’agit encore une fois que de simplisme de raisonnement et de représentation ou, pour mieux dire, d’obscurantisme.
La longue et dramatique histoire humaine apprend que les sciences et le progrès économique peuvent progresser pour un temps dans des contrées frappées par le chaos et la débandade de l’Etat, jamais quand la société elle-même devient obscurantiste. Ce qui pose problème en Tunisie à l’heure actuelle est que l’incurie du politique s’accompagne d’une propagation rapide, sous une forme ou une autre, d’un obscurantisme devenu général, oppressant et infécond. Les structures mentales et les comportements sociaux de la plupart d’entre nous sont devenus rétrogrades, violents, répressifs, cyclothymiques, absurdes même, au point où le pays recule dangereusement sur tous les plans sans que l’on n’y prenne garde. Dans ces conditions, tout mettre sur le dos du seul régime politique défaillant ne peut être considéré que comme une dérobade ou, pire, une forme caractérisée et collective d’aliénation.
Habib Touhami