Israël, la pandémie et les hommes en noir
Par Mohamed Larbi Bouguerra - Si on prête foi aux médias occidentaux, Israël serait un phénix en ces temps de pandémie.
C’est peut-être le cas- hypothèse d’école- si on fait abstraction de l’utilisation à des fins bassement politiciennes du Covid-19 par Netanyahou et en ayant comme point de mire les élections législatives israéliennes du 23 mars prochain ; si on oublie l’ignoble refus israélien du vaccin aux Palestiniens sous occupation et si on ne tient pas compte de ce qui se passe en Israël avec les ultraorthodoxes qui refusent d’appliquer tout ce qui vient du gouvernement «séculier».
Si Israël a eu si vite le vaccin, c’est parce qu’il a consenti de fouler au pied l’éthique en partageant avec le fabricant, tous les renseignements médicaux personnels des Israéliens vaccinés.
Le 25 février 2021, le quotidien Haaretz a publié un article fleuve de Ronen Bergman intitulé « Comment la pandémie a été tout prêt de déchirer Israël » avec ce chapeau : « Les confinements ont créé des tensions extrêmes entre les communautés non-pratiquantes et les ultraorthodoxes. Les conséquences politiques de ces tensions pourraient être ressenties au cours des années à venir. »
Israël a enfermé sa population bien plus que tout autre pays au monde et pourtant il a enregistré le taux le plus élevé d’infection au coronavirus. La raison principale de ce paradoxe apparent est la communauté ultraorthodoxe. Cet aspect de la pandémie en Israël est peu évoqué par les médias. « Les haredim ont exaspéré le pays durant l’épidémie de Covid-19, en refusant de respecter les confinements. » écrit bien précautionneusement Louis Imbert dans le Monde (21-22 mars 2021, p. 4)
C’est ainsi que le 31 janvier 2021 alors que le pays était confiné pour la troisième fois, le rabbin Meshulam Dovid Soloveitchik, 99 ans, a rendu l’âme terrassé par le coronavirus. Il dirigeait une yeshiva (école religieuse) d’élite à Jérusalem. Dans ces établissements, on n’étudie ni les mathématiques ni l’histoire ni les langues étrangères. (Le Monde, 21-22 mars 2021).
Avec la pandémie, les enterrements et les mariages sont devenus des sujets de frictions et de controverses violentes en Israël. Le mariage, le 5 août 2020, du petit-fils du grand rabbin Yissachar Dov Rokeach, intronisé à l’âge de neuf ans, réunit plusieurs milliers de personnes de la communauté de Galicie (Ukraine) sans la moindre précaution contre le virus. De fait, la majorité des ultraorthodoxes refuse de porter le masque et de respecter la distanciation prétendant que le confinement les empêche de pratiquer leur foi. Résultat : trois fois plus d’atteintes Covid-19 que chez le reste de la population israélienne. Le rabbin Soloveitchik a été infecté dans son école qui a continué à fonctionner au mépris des ordres du gouvernement. Des milliers d’hommes en noir (les haredim : ceux qui tremblent devant dieu)) ont tenu à suivre le cortège funèbre sans masque ni distanciation annonçant ainsi un super cluster. Vint s’ajouter à ce deuil la mort du grand rabbin Yitzchok Scheiner, 98 ans- une autre éminence ultraorthodoxe- des suites des complications du corona virus. Son enterrement réunit encore des milliers de disciples.
La police ne fit rien face à ces foules. Des vidéos montrent qu’elle est plus répressive et violente vis-à-vis des Israéliens laïcs que vis-à-vis des haredim.
Le porte-parole de la police, Shabtai Gerberchik, se défend: «Je ne vais pas confronter 20 000 personnes. Je n’ai pas les moyens de le faire.» Explication: les ultraorthodoxes soutiennent le gouvernement Netanyahou. Ce dernier se singularisa en interdisant à ses propres citoyens de regagner le pays lors de la fermeture de l’aéroport de Tel Aviv pendant le confinement…. mais il autorisera ses seuls soutiens ultraorthodoxes à rentrer dans leur foyer afin de pouvoir voter pour lui le 23 mars 2021.
L’influence politique et sociale de ces derniers ( 12,6% de la population) n’est pas négligeable. Le vice-président de la Knesset est un haredim qui ose déclarer que l’Etat d’Israël est antisémite. De plus, le mariage, le divorce, les enterrements et les conversions sont du ressort exclusif des seuls rabbins en Israël. Dans cet Etat «démocratique» pas de mariage civil et des films ont montré l’inhumain calvaire des femmes qui n’ont pu obtenir de leur mari l’autorisation de se séparer, le fameux «guet».
Face aux multiples procès et aux manifestations hebdomadaires qui visent le Premier Ministre Netanyahou, le soutien des religieux est vital. Autre atout des haredim : la femme orthodoxe met au monde 6,6 enfants alors que l’Israélienne non pratiquante donne naissance à 2,2 enfants en moyenne. Il se dit que le rabbin Chaim Kanievsky, 93 ans, qui a des milliers de fidèles- peut, par ses bénédictions, faire que des femmes stériles mettent au monde de beaux bébés. Mais pour éviter que ses ouailles s’ouvrent sur le monde et restent sous sa coupe, ce saint homme leur interdit le téléphone portable – sauf s’il est kosher- et Internet ! Kanievsky affirme que « fermer les yeshivas est plus dangereux que de les ouvrir et que ceux qui votent pour les listes « Judaïsme Uni de la Torah » sont protégés du corona virus. »
Respecter les règles religieuses et prier sont absolument nécessaires pour la pérennité de l’existence même du monde affirment les rabbins ultras.
Faisant fi du confinement mis en place par un gouvernement sioniste séculier haï, Bnei Brak , ville haredi, vécut comme à l’ordinaire. Le 26 mars 2020, la ville comptait 176 cas Covid-19 et le 31 mars, on enregistrait 596 contaminations.
Le ministre de la sante défie Netanyahou
Christophe Ayad et Louis Imbert écrivent : « Les ultraorthodoxes ont de plus en plus d’influence sur le cours d’un pays dont ils ont longtemps nié l’existence. » (Le Monde, 20 mars 2021, p. 26-27). Le ministre de la Santé, Yaakov Litzman**, natif de Brooklyn (New York), lui-même ultraorthodoxe, s’en est pris au chef du gouvernement en personne au cours du premier confinement. Ce saint homme ne comprenait pas que l’on puisse ordonner la fermeture des yeshivas et des bains rituels (mikvèh) alors qu’on a le droit de sortir promener son chien. Il exigeait de Netanyahou d’exempter les ultraorthodoxes des rigueurs du confinement car, avancait-il, « il y a une loi supérieure à considérer »! Et Netanyahou de répliquer : « Que voulez-vous faire ? Le virus ne respecte pas la religion. » Guère convaincu, Son Excellence rétorqua : « Alors, laissez-nous la respecter. » Au final, Litzman et son épouse attrapèrent le Covid-19. Netanyahou et le chef des services d’espionnage (Mossad) -cas contact- durent être mis en quarantaine. Haaretz note : « L’homme qui a la charge de protéger Israël de la pandémie n’a pas été en mesure de se protéger lui-même ni de protéger sa famille. »
La pandémie a révélé et exacerbé en Israël des tensions qui existaient depuis longtemps : les ultraorthodoxes ne font pas le service militaire et la plupart ne travaillent pas vivant de donations et des aides de l’Etat que Netanyahou augmenta sérieusement pour gagner leurs voix. Ils sont opposés aux sionistes car seul le Messie peut établir l’Etat d’Israël non les hommes. Sionistes et ultraorthodoxes se sont fait la guerre et, en 1924, les premiers assassinèrent à Jérusalem, un chef ultra, Jacob de Haan, qui devait aller à Londres demander aux Anglais de ne pas faire de la Palestine « un foyer national juif » comme le promettait la déclaration Balfour en 1917.
Les ultraorthodoxes ont accepté de manière sélective l’Etat séculier et ses largesses mais, à chaque fois que le gouvernement israélien a essayé de contrôler la communauté d’une manière qui menace l’autorité de ses chefs, ils ont défendu bec et ongles leurs privilèges. Netanyahou, ayant besoin des voix de son parti, n’a pas limogé son ministre de la Santé qui a été à la synagogue malgré l’interdiction gouvernementale et y a contracté le virus. En janvier, les autorités ont quelques fois tenté de faire appliquer confinements et couvre-feux, la réaction a été particulièrement furieuse. Invoquant l’Holocauste, ils se sont soulevés contre « les ghettos ». Des vidéos montrent la police tirant en l’air pour disperser les manifestations massives de ces haredim. Ainsi, on a vu leurs adolescents bloquer la rue face à un bus à Bnei Brak -une ville haredi de 200 000 habitants près de Tel Aviv - contraindre le chauffeur à quitter le véhicule qu’ils ont réduit en cendres.
L’armée israélienne s’invite chez les ultra-orthodoxes
Et c’est ainsi que la pandémie a permis de voir, pour la première fois, l’armée israélienne se déployer dans les villes ultraorthodoxes dans l’éventualité où il faudrait les isoler étant donné les taux de contamination rapportés.
Le matin du vendredi 3 avril 2020, la police et l’armée bloquèrent subitement, sans concertation, les routes menant à Bnei Brak. Les haredim ne purent faire les courses pour le repas du Sabbat. Pire, le lendemain, le maire de la ville voisine de Ramat Gan plaça des barrières et des gardes aux limites avec Bnei Brak pour l’isoler. Les ultraorthodoxes ne portaient déjà pas dans leur cœur cet édile qui avait été le premier en Israël à autoriser la circulation des bus le samedi. Des manifestants aux chapeaux ronds et à l’accoutrement noir jetèrent sur la police et l’armée des pierres et les abreuvèrent d’insultes : « Gestapo », « Nazis » « Ne nous mettez pas dans des ghettos. » Devant la montée des périls, le maire de Bnei Brak – qui ne fait pas confiance au gouvernement israélien- constitua une équipe d’anciens de l’armée et du Mossad pour faire face à la crise.
Cependant, ébranlés par la mort des rabbins et le nombre croissant de malades, les haredim se divisèrent. Certains appelèrent au respect des règles de confinement édictées par l’Etat mais les radicaux comme la « Faction de Jérusalem » dissidente, restèrent sur leur position de refus.
Pour contraindre les haredim au respect du confinement, on coupa l’eau des bains rituels en bouchant à la chaux les conduites et on scella par soudure les portes des écoles et des synagogues. Fin mai, les cas de contamination baissèrent chez les ultraorthodoxes.
En septembre 2020, les leaders haredi décidèrent d’ouvrir les yeshivas. « Nous n’avons rien à faire des décisions du gouvernement. Nous n’allons pas obéir. » décrétale rabbin Kanievsky. Netanyahou essuya des critiques même de certains de ses ministres qui le jugèrent incapable d’arrêter l’épidémie chez les ultraorthodoxes et de condamner le pays à un troisième confinement. Ce qui ne manqua pas de se produire quand, le 5 janvier 2021, le taux de contamination chez les haredim explosa. Un sur 100 haredim âgés de plus de 60 ans succomba au corona soit 3,5 fois plus que dans la population générale.
Pour le directeur de l’Institut Haredi des Affaires Publiques : « Cette communauté ne se voit pas comme appartenant à la société civile israélienne. »
La pandémie de corona va affecter la société israélienne pour les années à venir pronostique le quotidien Haaretz. Les ultraorthodoxes- ashkénazes- ont mis à nu les tares d’Israël et son inhomogénéité congénitale de Liberman et des russophones en passant par le nouvel opposant à Netanyahou, Yaïr Lapid et son jeune parti…ils ont poussé aux extrêmes les Israéliens notamment sépharades tel l’assassin Elor Azaria devenu héros national.
Alors que les élections législatives approchent, Israël est sur la défensive face à l’enquête lancée par la CPI et son président Rivlin est venu chercher des alliés en Europe…à l’heure où Israël vient d’interdire au ministre des Affaires Etrangères de l’AP de se rendre à l’étranger pour avoir rencontré la procureure de la CPI à La Haye. Reuven Rivlin plaide laborieusement dans le Figaro et ose écrire que la CPI rend « plus difficile pour Israéliens et Palestiniens de trouver un terrain d’entente ». (18 mars 2021, p. 17). Israël semble avoir tous les droits. Tous les jours, les destructions de maisons se poursuivent, les arrestations d’enfants continuent, les agressions par les colons se multiplient. L’éditorial du Monde, sous le titre « Israël-Palestine : l’enquête nécessaire. » est catégorique : « Nul ne peut être au-dessus du droit international. » (14-15 mars 2021, p. 27)
Mohamed Larbi Bouguerra
** Lire « Le ministre Yaakov Litzman, la face publique d’un monde secret. Le ministre de la santé est l’homme de confiance d’un tyran secret qui dirige une secte fermée » (Anshel Pfeffer, Haaretz, 1er juillet 2016)