Tunisie: Bourguiba doit se retourner dans sa tombe
Par Habib Mellakh - Le politicien populiste caresse dans le sens du poil le peuple sensible aux sirènes des démagogues. C’est un autocrate aux antipodes de la raison politique. Il flatte les instincts de l’électeur. Mario Vargas LLosa, l’écrivain péruvien et prix Nobel de littérature scandalisé « qu’un nombre aussi élevé de Vénézuéliens appuient les délires populistes et autocratiques de ce risible personnage qu’est le lieutenant-colonel Hugo Chávez ne fait pas de celui-ci un démocrate » mais « ne fait que révéler les extrêmes auxquels sont arrivés le désespoir, la frustration et l’inculture civique du peuple vénézuélien », l’a bien compris. Cette analyse vaut également pour tous les partis et leaders populistes qui ont envahi la scène politique tunisienne.
Le véritable leader abhorre le populisme et combat la déraison populaire. Il prend le risque d’être sanctionné par l’électorat charmé et dupé par le discours populiste. Il l’amène par un discours rationnel et par la persuasion à adhérer à son point de vue.
Un abîme sépare le véritable leader et le leader populiste. Les partisans d’Abir Moussi ne craignent pas de se couvrir de ridicule quand ils la mettent sur un piédestal et qu’ils n’hésitent pas à faire d’elle un leader charismatique de la stature de Bourguiba ou le messie que les Tunisiens attendent depuis la disparition du leader historique.
Bourguiba doit aujourd’hui se retourner dans sa tombe. Abir Moussi, qui arbore à l’ARP le portrait du premier président de la Tunisie pour se réclamer de lui, n’hésite pas, à l’occasion de son meeting de Sfax, à prendre à parti Joe Biden (saluons le courage de celle qui estime qu’il Il vaut mieux s’adresser au bon Dieu qu’à ses saints !) pour lui signifier qu’elle est jalouse de l’indépendance de notre pays et qu’elle refuse l’ingérence des Etats-Unis dans les affaires tunisiennes. Se distinguer de Rached Ghannouchi qui a lancé à Joe Biden un appel pathétique pour sauver notre jeune démocratie, menacée par les forces réactionnaires et populistes selon ses dires et vouloir apparaître comme un farouche défenseur de la souveraineté du pays, le jour de la commémoration du 65è anniversaire de son indépendance, est sans doute de bonne guerre mais il faut être cohérent jusqu’au bout. Parce que le ridicule ne tue pas à ses yeux et qu’il la rend probablement plus forte puisque ce qui ne tue pas rend plus fort (sic !), elle fait un appel du pied au président américain pour qu’il traite sur un pied d’égalité Ennadha et le PDL. Ainsi la souveraineté de la Tunisie n’est mise à mal que lorsque Biden flirte avec Ennahdha. S’il file le parfait amour avec le PDL, c’est en tout bien, tout honneur, sans arrière pensée et sans contre-partie.
Abir Moussi oublie ou feint d’oublier le célèbre discours du Palmarium du 15 décembre 1972, épisode glorieux de notre histoire contemporaine, et la leçon magistrale de Bourguiba à Kaddafi à l’occasion de ce discours. Au « touz fi Amarica » (Que l’Amérique aille se faire avoir !), Bourguiba répond : « Tu prendras une raclée si tu défies l’Amérique ».
La présidente du PDL oublie aussi que l’on ne gargarise pas de mots et de lieux communs quand on veut défendre la souveraineté du pays, son intégrité territoriale et son non-alignement. Bourguiba n’hésite pas à tenir tête aux Etats-Unis lorsque la souveraineté du pays est en jeu. On pourrait rafraîchir la mémoire d’Abir Moussi en lui rappelant, à titre d’exemple, que le leader historique a menacé, en 1985, de rompre les relations diplomatiques avec les Etats-Unis si jamais ce pays votait contre la résolution du conseil de sécurité de l’ONU condamnant l’agression israélienne du 1 octobre 1985 contre Hammam-Chatt et qu’il a toujours soutenu l’entrée de la Chine populaire aux Nations-Unis malgré le refus américain.
Le succès du meeting, dans un fief islamiste, comparé au déni total de l’indépendance affiché par la Tunisie officielle qui n’a pas daigner célébrer le 65è anniversaire de l’émancipation du joug colonial (d’aucuns disent que nous n’étions pas une colonie mais un protectorat) suffisent-ils pour que l’on occulte les bourdes populistes d’Abir Moussi ? Qu’elle soit la seule politicienne ou presque à occuper la scène dans la lutte contre les obscurantistes qu’il faut apprécier à sa juste valeur même si elle partage leur conservatisme sur certaines questions et pas des moindres ( la position au sujet de l’égalité dans l’héritage par exemple) suffit-il pour lui pardonner ses bourdes et excuser son populisme ?
Habib Mellakh