Comment combattre la surconsommation et réduire nos importations en sucre?
Par Ridha Bergaoui - Le Tunisien est un grand consommateur de sucre, de pâtisseries diverses et de boissons bien sucrées. Le mois de Ramadan est le mois de tous les excès et de la surconsommation. Dés la rupture du jeûne, le Tunisien se met à manger, sans presque s’arrêter, jusqu’au lever du soleil. Les quantités de sucre et de pâtisseries avalées sont énormes ce qui prédispose au surpoids, l’obésité et le diabète du type 2.
La Tunisie importe presque tout le sucre aussi bien pour le besoin familial que les industriels. Ce ci représente une sortie importante de devises et a une incidence directe sur le budget de l’Etat surtout que le sucre est cédé à des prix subventionnés.
Le secteur sucrier en Tunisie
Le commerce du sucre est un monopole de l’Etat. C’est l’Office du Commerce de Tunisie (OCT) qui est chargé de la gestion de la commercialisation du sucre. Il importe et approvisionne les raffineries de Béja (Société Tunisienne du Sucre) et de Bizerte (Tunisie Sucre) en sucre brun de canne importé essentiellement du Brésil. La STS travaille pour le compte de l’OCT moyennant une prime de raffinage. Tunisie Sucre est une société privée « Off Shore » qui exporte ses produits à l’étranger et vend une partie en Tunisie. L’OCT importe également du sucre blanc raffiné, surtout de l’Algérie et de la France, pour couvrir les besoins des industriels et des ménages.
Le complexe sucrier de Ben Béchir (Bou Salem) appartient à la GINOR (Générale Industrie du Nord) qui gère une usine de fabrication de levure à pain ainsi qu’une sucrerie. Celle-ci travaille avec les agriculteurs de la région qui cultivent la betterave sucrière et livrent la récolte à l’usine. Sa capacité de production peut atteindre 50 000 tonnes de sucre/an.
Consommation de sucre
Le besoin en sucre est estimé à 1 000 tonnes/jour, soit 360 000 tonnes/an. La moitié est destinée à la consommation familiale, l’autre moitié aux industriels.
La production nationale est très faible, en 2018, seuls 6400 tonnes étaient produite par le GINOR. La même année, l’OCT avait importé 254 000 tonnes de sucre brut de canne destiné aux raffineries et 165 000 tonnes de sucre blanc raffiné destiné aux industriels et aux ménages (lettre de l’ONAGRI, 2020).
La consommation de sucre est d’environ 30 kg/habitant/an (soit prés de 85 g/habitant/jour) dont la moitié est consommée directement et la moitié dans les produits industriels. Cette consommation est considérée comme élevée comparée à la moyenne mondiale qui n’est que de 25kg/habitant/an. L’OMS recommande un apport ne dépassant pas 25 g de sucre ajouté/jour (l’équivalent de 6 cuillerées à café) pour une ration de 2000 Calories, soit 9 kg/personne/an. Le Tunisien en consomme presque le double (15 kg).
Conséquences de la surconsommation de sucre
• Sur la santé
La consommation excessive de sucre libre est très mauvaise pour la santé. Elle est le facteur principal de l’apparition des caries dentaires. Associée à un régime déséquilibré et la sédentarité, la consommation excessive de sucre conduit au surpoids et l’obésité. Ceux-ci sont à l’origine de complications pathologiques graves comme le diabète type 2, des troubles cardio-vasculaires, l’ostéoporose, les inflammations intestinales, une baisse de l’immunité… et même des cancers.
Pr Mnif-Feki M. (Service Endocrinologie de Sfax) note que la prévalence de l’obésité, entre 1980 et 2005, a doublé chez les hommes et triplé chez les femmes. Le taux de surpoids moyen est de 51,7 % chez les hommes (1 homme sur deux) et 71,1% chez les femmes (3 femmes sur 4). Le taux de surpoids moyens chez les adultes de 30-70 ans est de 61,5% et l’obésité de 25,4%. Plus grave encore « un adolescent sur quatre, âgé de 15 à 19 ans, souffre actuellement d’une surcharge pondérale ».
• Sur le plan économique
L’importation du sucre représente une importante sortie de devises. En 2018, les importations du sucre ont atteint 661 millions de dinars, soit un peu moins que l’importation des céréales. L’importation devient de plus en plus difficile et les prix ne cessent d’augmenter surtout depuis la chute du taux de change du dinar. Le Brésil, principal producteur, utilise une partie importante de son sucre pour la production du bioéthanol. L’Inde, connait une augmentation importante de la consommation et la quantité de sucre exportée se réduit de plus en plus.
En Tunisie, le prix du sucre est maintenu fixe (1,050 dinar le kg en vrac pour les ménages, 1,500 emballé et 1,450 pour les industriels). Le faible prix du sucre destiné à la consommation familiale a encouragé l’installation d’un important trafic de la part de certains industriels, pâtissiers, cafés, gâteaux traditionnels… Ce ci explique la disparition fréquente de ce produit chez les épiciers et sur les étalages des magasins et supérettes. Le montant de la subvention réservée au sucre a atteint 10 millions de dinars/an.
Possibilités de substitution du sucre
Bien que les prédispositions génétiques aient été prouvées, l’habitude de consommer sucré peut être acquise dés le très jeune âge et peut avoir plus tard des incidences sur les préférences alimentaires et les risques d’obésité. Les enfants raffolent des bonbons et chewing-gum qui sont associées à la récompense et au plaisir.
Les enfants et les adolescents consomment généralement trop de sucre suite à l’ingestion de produits industrialisés comme les jus de fruits, biscuits, barres chocolatées… La publicité et le mimétisme jouent un rôle très important chez les adolescents facilement influençables. Les boissons gazeuses contiennent une quantité très importante de sucre.
Le sucre est difficile à remplacer. Des alternatives existent surtout les édulcorants de synthèse comme l’aspartame, le sucralose et l’extrait de stevia. Ces produits sont très controversés, ils n’éliminent pas l’excès de poids et les risques de diabète.
Culture de la betterave et production de sucre
Le Complexe Sucrier Tunisien (CST) a été créé en 1980. Après une période florissante durant laquelle les emblavures en betterave sucrière avaient atteint 6 000 ha, l’industrie sucrière a connu des difficultés financières pour d’une part un manque de motivation de la part des agriculteurs qui trouvaient la betterave à sucre peu rentable comparée aux céréales. D’autre part le cours mondial du sucre était relativement bas. La culture de la betterave sucrière a été abandonnée en l’année 2000. En 2012-2013 avec le changement du régime politique, les difficultés sociales que connaissait la Tunisie, associés à une situation difficile des marchés du sucre ont motivé le retour à la culture de la betterave sucrière.
Malheureusement cette culture peine à s’installer en raison du manque de rentabilité avec des prix des intrants de plus en plus élevés face à un prix de vente très faible (autour de 80 dinars la tonne de betterave). La rareté de la pluie et l’indisponibilité d’eau d’irrigation sont également des facteurs décourageants. La betterave sucrière nécessite beaucoup d’eau pour atteindre un rendement quantitatif satisfaisant et rentable. La superficie cultivée a atteint à peine 1250 ha en 2018-2019 (Lettre de l’ONAGRI, mai 2020) et l’usine de Ben Béchir, prévue pour traiter la production de 4500 à 6000 ha) tourne à moins 25% de sa capacité. Le rendement moyen se situe en irrigué à 80 tonnes/ha. Une tonne de betterave donne environ 140 kg de sucre.
La betterave sucrière est une culture sarclée qui laisse la parcelle propre pour la culture suivante entrainant une amélioration sensible du rendement. Les racines peuvent descendre profondément ce qui entraine une bonne structure du sol. Elle emploi également une importante main d’œuvre et permet de lutter contre le chômage.
Les déchets, comme les feuilles de la betterave après récolte, peuvent être récupérés ou pâturés par les animaux. L’extraction du sucre laisse deux sous produits intéressants d’une part la mélasse utilisée dans diverses industries et d’autre part des cossettes épuisées (ou pulpe de betterave) très appréciée dans l’alimentation des animaux.
Perspectives
Face à une situation de plus en plus difficile, il faut essayer d’une part de réduire notre consommation de sucre et d’autre part d’augmenter la production.
Organiser des campagnes pour sensibiliser et éduquer en vue de changer de comportement et consommer moins de sucre ajouté. Afin de réduire la consommation du sucre, il faut changer nos habitudes alimentaires. A la maison, le miel peut bien se substituer au sucre dans des boissons. Des fruits frais ou séchés (dattes, figues, pruneaux, abricots…) peuvent le remplacer lors de la confection des gâteaux. On peut prendre un jus de fruits naturel ou tout simplement un verre d’eau à la place d’un café ou un thé. Remplacer également une portion de gâteau par un fruit est beaucoup plus sain.
Pousser les industriels à réduire la quantité de sucre dans les produits industrialisés. Dans le cadre d’un programme national de réduction du sel, sucre et matière grasse qui vise la lutte contre l’obésité, l’INC propose réduire de 10 % la teneur en sucre des pâtisseries, biscuiteries, confiseries, chocolateries, boissons sucrées, tous les 6 mois, en 3 fois.
Pour ses nombreux avantages culturaux et la création de l’emploi, il faut encourager et aider les agriculteurs à la culture de la betterave sucrière et leur offrir des avantages comme la priorité dans l’accès à l’eau d’irrigation, l’équipement en matériel d’économie de l’eau. Revoir le prix de cession de la betterave sucrière, il faut que la culture de la betterave soit aussi rentable que la culture des céréales. Ceci va permettre d’une part à l’usine de Ben Béchir de tourner à plein régime et d’autre part de réduire nos importations et la sortie de devises.
Dans le numéro de septembre 2020 de la revue l’Expert, et dans l’article « La filière sucre: Un potentiel énorme mais pas dans un marché monopolisé» paru, l’auteur propose libérer complètement la filière et donner la possibilité aux industriels d’importer eux même le sucre dont ils ont besoin. Le sucre ne doit plus être considéré comme un produit stratégique au même titre que le pain, les pâtes.... Il propose la libération du prix du sucre et l’abandon de la subvention.
Conclusion
Le Tunisien est un fervent consommateur du sucre. Cette surconsommation a de nombreuses incidences fâcheuses :
• apparition de pathologies graves
• sortie de devises
• augmentation des crédits réservés à la subvention.
Il n’y a pas de vraies alternatives au sucre. Le mieux c’est de changer nos habitudes et de réduire notre consommation de sucre et de produits industriels sucrés. Réduire la consommation de sucre, c’est avoir des citoyens en meilleure forme et faire des économies de frais de santé. Ceci serait certainement profitable pour la santé, le porte-monnaie et le budget national.
Ridha Bergaoui
Professeur universitaire
L’Expert: http://lexpertjournal.net/fr/?p=16404
INC: http://inc.nat.tn/sites/default/files/document-files/programme%20de%20reduction%20sel%20MG%20sucre.pdf
Pr Mouna Mnif Feki : https://www.aturea.org/pdf_ppt_docs/jcors/1549350296.pdf
ONAGRI: http://www.onagri.nat.tn/uploads/lettre/lettre-tri-1-2020-M.pdf