Les nouveaux rôles des Banques Centrales
La crise continue d’alimenter les analyses sur ses implications en dépit de tout ce qui a été entrepris par les gouvernements, les banques centrales et les institutions financières internationales pour en limiter les effets et assurer le retour à un fonctionnement normal des marchés. En effet, au delà de ses aspects microéconomiques, la crise relève à notre avis et plus fondamentalement de facteurs macroéconomiques, ce dont témoignent l’amplification des déficits budgétaires et de la dette publique, la création excessive de liquidités, l’usage démesuré du levier d’endettement, les politiques monétaires procycliques, et surtout les déséquilibres globaux des balances de paiements.
En particulier, l’accumulation excessive des réserves de change par les pays émergents a contribué à une abondance de la liquidité globale rendant difficile la coordination internationale des politiques monétaires et de change.
Déficits budgétaires et de paiements courants et accentuation du niveau de la dette d’un côté, accumulation de réserves en devises et politiques de change inadaptées de l’autre côté ont été à notre sens les ingrédients de ces déséquilibres macroéconomiques graves.
Plus récemment de nouvelles sources de vulnérabilité sont apparues dans la zone euro. En effet, la récente crise de la dette souveraine dans ces pays et l'aggravation conséquente de leurs ratios d’endettement font craindre, au-delà des problèmes de solvabilité de certains pays, une reprise à terme de l'inflation en raison de possibles stratégies de monétisation accrue des déficits publics. Mais pourrait-il y avoir d'autres solutions aux problèmes de la dette publique engagée ? Car la crise a provoqué la mise en place de déficits publics considérables qu'il sera difficile de réduire par un retour, du moins dans le court terme, à des politiques budgétaires restrictives ou des hausses des taux d'intérêt.
Un enjeu central
Les nouvelles orientations suscitées par la récente crise financière internationale bien qu’encore insuffisamment intégrées pour constituer un corpus académique, sont assez solides pour peser sur les politiques économiques et monétaires de l’après-crise. Les Banques Centrales sont particulièrement concernées dans cette mouvance en acceptant des taux d’inflation plus élevés et des policy mix combinant de façon plus étroite la politique monétaire et la politique prudentielle, dans le sens d’une politique monétaire plus contracyclique qu’elle ne l’a été jusqu’à présent.
Dans le même temps, les évènements récents ont prouvé l’importance du rôle des banques centrales en tant que prêteur de dernier ressort sur les marchés monétaires et ont révélé la nécessaire adaptation de ces institutions à leur environnement pour suivre de près les évolutions rapides dans l’industrie financière. Ainsi, les banques centrales ne se sont-elles pas limitées à injecter des quantités importantes de liquidité via les canaux traditionnels, mais ont également eu recours à des moyens inédits et non conventionnels du fait du grippage des canaux traditionnels de transmission de la politique monétaire.
Reste que les banques centrales sont conscientes du potentiel inflationniste de ces mesures. Le timing et les moyens des stratégies de sorties des mesures non conventionnelles seront pour les autorités monétaires l’enjeu central des mois à venir et toute la délicatesse de l’exercice consistera à éviter de couper trop rapidement le soutien aux politiques économiques, sans pour autant tomber dans les travers d’une politique monétaire trop accommodante, alors même que le cycle redémarre.
Plus que des réponses séparées des autorités nationales
Les sommets successifs du G20 ont défini les contours d’une nouvelle architecture financière internationale capable d’enrayer les logiques de défiance contagieuse potentiellement génératrices de crise systémique.
Au sommet de Londres une batterie de résolutions a été adoptée notamment en matière de recherche de l'intégrité des marchés financiers, le renforcement de la transparence et la responsabilisation des acteurs, la réforme des normes comptables d’évaluation des actifs, la limitation des effets contre-productifs des règles d’évaluation Mark-To-Market, la prise en compte des actifs hors bilan et la transparence des produits structurés, l'atténuation de la procyclicité sur les marchés financiers, la limitation des effets de levier et le contrôle des agences de notation.
Force est cependant de constater que ces mesures n’ont pas toujours été accompagnées par des schémas opérationnels précis à l’exception des résolutions concernant le renforcement de la réglementation prudentielle par l’adoption de Bâle III, l’extension des régulations dans les paradis fiscaux ou de la coopération plus accrue entre les différents niveaux de supervision financière internationale à savoir :
- le Forum de stabilité, devenu désormais Conseil de Stabilité Financière, en charge de l’établissement des standards ; et
- le FMI dont les attributions en matière de suivi de la solidité d’ensemble des systèmes financiers nationaux ont été renforcés.
Par ailleurs, et comme l’a reconnu le Directeur Général du FMI aux dernières assemblées annuelles, même si la réglementation est indéniablement importante elle demeure à elle seule insuffisante si le contrôle est défaillant et si la communauté financière internationale n’arrive pas à mettre en place un dispositif adéquat de résolution de crise, parce que, et les mots sont au Directeur Général du FMI, personne n’a la naïveté de croire que nous éviterons les crises à l’avenir.
La crise a accrédité encore une fois la thèse selon laquelle la résolution des crises requiert bien plus que des réponses séparées des autorités nationales.
Le renforcement de la gouvernance financière mondiale serait à même d’atténuer les risques de récurrence de nouvelles crises financières dans le futur, à travers notamment l’évolution du dispositif réglementaire international, l’amélioration de la surveillance des risques, le renforcement de la transparence et la modernisation des organes de surveillance et des institutions multilatérales existantes. Mais bien que les mesures internationales soient d'une importance décisive, les pays doivent bien évidemment développer leurs propres dispositifs pour prévenir les crises monétaires et financières et pour pouvoir mieux y faire face. Cela implique des politiques macroéconomiques soutenables, des réglementations flexibles et évolutives et le renforcement du système financier national.
Les mesures à prendre dans chaque pays dépendront bien sûr des circonstances qui lui sont propres. L’ampleur des problèmes budgétaires et la situation des systèmes bancaires variant selon les économies, il n’existe pas de remède universel. Il est en particulier nécessaire que les banques centrales maintiennent une perspective de moyen terme, elles aussi, dans l’élaboration de leur politique monétaire.
Mais au delà des questions techniques analysées, la crise a révélé d’autres problèmes fondamentaux de politiques économiques auxquels les Etats devraient désormais répondre.
Tout d'abord, la focalisation des banques centrales sur le seul objectif de stabilité des prix et de contrôle de l'inflation n'exempte pas les économies de la récurrence de crises financières, ce qui implique d'introduire la stabilité financière et la stabilisation des prix des actifs dans les objectifs poursuivis par les banques centrales.
Dans le même temps, une politique monétaire résolument antidéflationniste est indispensable. Des réductions massives des taux d’intérêts ont déjà été effectuées par les banques centrales, qui ont parfois coordonné leur action au cours des derniers mois. Mais avec des taux d’intérêts relativement bas, la politique monétaire seule est incapable de prévenir la récurrence de crises de grandes ampleurs comme celle vécue récemment par l'économie mondiale. Une coordination optimale des politiques monétaire et budgétaire est requise.
Enfin, le champ d'action des banques centrales devrait aussi être élargi aux aspects de la régulation du risque systémique, en assumant la responsabilité de la stabilité du système financier dans sa globalité, en identifiant les vulnérabilités des structures de supervision et en détectant de manière précoce et avancée les facteurs de fragilisation des marchés financiers.
Des signaux d’alerte adéquants
Au contact des marchés financiers internationaux depuis plus de 15 ans, la Banque Centrale de Tunisie a dès le mois d’Août 2007, mesuré l’ampleur de cette crise. Une cellule de veille a été mise en place pour suivre l’évolution de la situation sur les marchés financiers internationaux et ses éventuels effets sur l’économie tunisienne avant qu’une commission nationale composée des principales parties prenantes ne soit créée dès la chute de Lehman Brothers.
La Banque Centrale de Tunisie a aussi pris des mesures visant la sécurisation des réserves en devises, par la migration vers l’investissement dans le risque souverain. Elle a, en outre décidé de renoncer au recours au marché financier international pour 2008, 2009 et 2010 compte tenu de l’élargissement des spreads et d’optimiser l’utilisation des lignes de crédits extérieures disponibles et de renforcer la coopération financière bilatérale et multilatérale. Dans le cadre de la gestion de la crise, la Banque Centrale de Tunisie a par ailleurs oeuvré à adapter la politique monétaire et à suivre de façon permanente l’état de la liquidité sur le marché monétaire afin d’assurer les ressources nécessaires pour le financement de l’économie.
L’une des leçons majeures de la crise actuelle réside dans la nécessité d’avoir des signaux d’alerte adéquats. Parmi ses actions réalisées, le Centre de recherches et d’études financières et monétaires, institué auprès de la Banque Centrale de Tunisie depuis seulement un an, et qui organise aujourd'hui sa première conférence internationale, oeuvre actuellement à finaliser un système d'alerte précoce avec les techniques les plus évoluées à même d’assurer la stabilité macrofinancière. Notre centre de recherches a aussi contribué largement à l'appui analytique et scientifique dans la formulation de la politique monétaire et à la compréhension poussée des cadres d'analyse relatifs à la libéralisation graduelle du compte de capital prélude à la convertibilité intégrale du dinar.
Il faut aussi rappeler que la Tunisie plaide depuis plusieurs années pour une plus grande stabilité financière comme l’atteste la modification apportée au mandat de la Banque Centrale en 2006 dans le sens du renforcement de la fonction de stabilité financière. L’utilisation d’indicateurs macroprudentiels et le recours aux stress tests déjà opérationnels en Tunisie témoignent également des choix de notre pays de s’armer des techniques les plus actuelles, ainsi que des indicateurs avancées les plus pertinents à même de prévenir ces crises et de mesurer leur impact sur notre système financier.
Une nouvelle génération de réformes engagée
Grâce à la réactivité dont elle a fait preuve, la Tunisie a réussi, contrairement à plusieurs pays émergents, à préserver son rating souverain attribué par les principales agences et à améliorer sa notation auprès de plusieurs organismes internationaux. En témoigne le dernier classement du rapport de compétitivité globale 2010-2011 du forum économique mondial de Davos qui démontre que les principaux clés de changement dans la perception des performances compétitives de la Tunisie résident essentiellement dans le pilier 8 relatif au développement du marché financier comme principal facteur dynamiseur de croissance (1ère au niveau africain) et également dans le pilier 3 de stabilité de l’environnement macroéconomique (1ère aussi au niveau africain) et ce en dépit de la crise financière globale.
Au niveau des sous composantes du pilier 8, et outre la confirmation de son leadership au niveau africain, la Tunisie figure désormais comme 21ème au niveau mondial dans le développement et la disponibilité du capital risque, 25ème au niveau mondial dans l’efficience des financements internes par les marchés de capitaux domestiques, 30ème au niveau mondial dans la facilité d’accès aux crédits bancaires et 31ème au niveau mondial dans le nouvel indice d’accessibilité aux services financiers. Le forum de Davos souligne aussi la réussite de notre pays à améliorer sensiblement sa notation en matière de qualité de portefeuille et des critères de solidité des banques, de même qu’en matière d’aspects réglementaires afférents au marché boursier.
Dans une nouvelle génération de réformes engagées par son Excellence le Président de la République, l’objectif fixé par le point 12 du programme présidentiel 2010-2014 vise à faire de la Tunisie un pôle de services bancaires et une place financière régionale, ce qui confirme si besoin est l’attachement de notre pays à consolider les assises financières du secteur bancaire afin de conforter son rôle en tant que rempart de l’économie nationale face aux éventuels chocs externes.
Pour des mécanismes adaptés au profit des pays émergents, comme la Tunisie
Notre pays a veillé –faut-il le rappeler- dès le déclenchement de cette crise à faire entendre sa voix. Le Président de la République dans son discours de Novembre 2008 a appelé à l’adoption d’une charte de bonne conduite sous les auspices des Nations Unis afin de réglementer le cadre de l’activité bancaire et financière. Nous avons par ailleurs été à l’origine de l’allongement de la maturité de la ligne de crédit modulable, et attiré l’attention du FMI sur le phénomène « Stigma » attaché à cette ligne.
Nous continuons à plaider pour mettre en place des mécanismes adaptés au profit des pays émergents comme la Tunisie, qui bien que n’ayant pas des problèmes d’équilibre macroéconomique ou de dette, ont besoin de soutien financier pour accompagner leurs programmes de réformes et en particulier celle touchant à la libération financière externe.
La Tunisie, sous l’impulsion et la conduite clairvoyante de son Excellence Le Président de la République continuera de s’intéresser de très près aux réflexions en cours sur les questions fondamentales touchant à la profonde refonte du système monétaire et financier international, tout en poursuivant l’élan des réformes structurelles engagées depuis près de deux décennies afin de renforcer la capacité de résilience et d’adaptation de son économie aux mutations financières internationales.
Taoufik Baccar
Discours prononcé à l’ouverture de 1ère conférence internationale annuelle du Centre de Recherches et d'Etudes Financières et Monétaires de la Banque Centrale de Tunisie sur le thème de la régulation de la finance globale et les réformes de l'architecture financière internationale
Tunis, 14 octobre 2010
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Novice en la matière,j'"ai compris l'essentiel du discours de Mr le Gouverneur mais j'aurai aimé savoir la place de l'armement démesuré et des guerres dans la génèse de la dernière crise mondiale, afin d'espérer que la fin des conflits armés entraine une sabilisation de l'économie mondiale.