Pourquoi la vérité objective n'existe plus en politique
Par Monji Ben Raies - L'objectivité comme la vérité, ces attitudes de l'esprit qui ne prennent en compte que les faits tangibles tels qu'ils sont, sont menacées dans le monde entier, tout comme l’est la liberté d’expression au point de transformer notre histoire en un ramassis de mensonges. Cela explique que nous ayons le devoir moral de rechercher la vérité comme une propriété du discours qui correspond à la réalité, pour être vraiment des hommes-citoyens de la maison Tunisie. Fruit de notre raison, ce devoir doit impérativement animer notre curiosité et rend possible notre connaissance des faits. Mais cette nécessité naturelle rencontre des obstacles que sont l’échec et le mauvais usage de la vérité. Aussi s’enquérir de la vérité, revient à être vraiment homme de bien, la quête du vrai et la quête du bien étant indissociables.
La notion de vérité objective pourrait, d’ici peu, disparaitre complètement parce que jugée inutile
En ces temps de crise sanitaire chacun prétend détenir la vérité, qu’elle émane des politiques, des experts ou qu’elle soit issue de la parole sacrée des religions et du dogme de la fin des temps. La vérité consiste dans la cohérence du discours avec lui-même, sans présenter d’aspects contradictoires logiques avec des phénomènes que l’on voit, et qui appartiennent au monde sensible. George ORWELL, dans ‘’ Hommage à la Catalogne’’ (1938, Ivrea/Champ libre, 1982), voyait dans le totalitarisme, non pas les atrocités commises, mais ses attaques au concept de vérité objective, pour contrôler le passé aussi bien que l’avenir. La vérité est alors à associer au concept de liberté ; en effet, selon le philosophe James Conant, « la capacité à produire des énoncés vrais et la capacité à exercer sa liberté de pensée et d’action sont les deux faces d’une même médaille. ».
Ces faces se retrouvent dans la politique, tout comme dans le journalisme avec, d’un côté l’exposé ou la recherche de la vérité et le respect objectif des faits, de l’autre, la liberté de penser et de commenter. Nous sommes confrontés en Tunisie à une situation pénible pour beaucoup de gens, l’impression qu’une espèce d’incompatibilité s’est instaurée progressivement entre l’idée de liberté et l’idée de vérité. Certains soutiennent même que, pour être véritablement démocrate, il faut s’en prendre directement à l’idée de vérité et, plus généralement à celles d’objectivité de fait. La société semble ainsi reposer sur la conviction que, dans l’intérêt de la liberté et de la démocratie, il faudrait se débarrasser d’idées comme celles de vérité et d’objectivité. Il est admis qu’en politique, personne ne dit la vérité ; de quelque côté que l’on regarde, il n’y a pour ainsi dire que des récits et des explications qui ne sont absolument pas crédibles ; les discours que l’on entend ne relèvent pas du tout de l’information objective, mais de la propagande. C’est extrêmement dangereux pour l’avenir et extrêmement inquiétant, au point que la notion de vérité objective pourrait, d’ici peu, disparaitre complètement parce que jugée inutile, au point de pouvoir nous en passer dorénavant. Mais il est néanmoins à prévoir des conséquences désastreuses.
L’attirance pour la démocratie a eu pour effet de détourner les intellectuels de l’action politique
La révolution populaire tunisienne du 14 janvier 2011 inspire l’estime et la sympathie de ceux qui s’y intéressent, mais nos politiques ne la comprennent plus, s’ils l’on comprise un jour ; et ils ne s’en sentent pas vraiment partie prenante. Après tout, ils sont membres de ramifications politiques qui n’ont jamais appartenu au mouvement qui était la force motrice de la révolution. Ils en avaient même une vision critique au départ, et ce qu’ils voyaient ne les touchait vraiment pas. Ils ne la considéraient pas comme quelque chose qui valait la peine d’être défendu. Et puis évidemment la révolution s’est tassée et son récit a été mis sous le boisseau (dissimulé).
L’attirance pour la démocratie a eu pour effet de détourner les intellectuels de l’action politique, de les éloigner de la participation aux mouvements populaires, et de les attirer vers les sphères plus confortables des discours aseptisés, partisan, académique, rencontres, cercles branchés, talkshows, …, et donc de les détourner de l’action politique vraie. Or les mouvements militants réels, les mouvements populaires, ont besoin de la participation des intellectuels. C’est tout à fait dramatique de voir la différence entre les intellectuels des années 1930, dont la plupart étaient des gens de renom, impliqués dans des activités pédagogiques pour les masses et des projets d’éducation des travailleurs, essayant de donner aux mouvements populaires les outils et les clés de leur libération, et leurs homologues d’aujourd’hui, qui essaient de retirer ces outils aux masses pour les garder pour eux-mêmes, les laissant à la merci des classes dominantes. En revanche, elles sont ravies que les pauvres et les opprimés croient à la vérité de leur discours, car ainsi, il est plus facile de les contrôler.
Les idéologies qui établissent un lien réel entre leur programme politique et la métaphysique et la théologie sont présentées comme vérité et objectivité, et leur critique, perçues comme antidémocratiques. Cette tendance inquiétante donne l’impression que la démocratie exige une vérité créée en fonction des besoins et dont il est possible de disposer librement. En ce sens, la vérité objective devient une notion répressive étonnante, manipulée au point de menacer et de sacrifier la liberté, une sorte de pathologie intellectuelle dont il faudrait écrire la nosographie et la nosologie, une limite infranchissable qui est imposée à la démocratie.
Vérité, objectivité, pragmatisme et mensonge
On ne peut pas sérieusement penser que la vérité objective n’existe pas en politique comme mode de gouvernance. Savoir jusqu’à quel point on peut l’approcher est une autre question. À première vue, il semblerait que la vérité objective soit moins démocratique que la vérité pragmatique, car elle est chose, sur laquelle nous n’avons pas de pouvoir, que nous sommes obligés d’accepter comme elle se présente et devant laquelle nous devons nous incliner. Après tout, la démocratie n’exige qu’un certain pouvoir de décision libre concernant les faits pour déterminer s’ils sont réellement ce qu’ils ont l’air d’être, des créations plus ou moins contingentes et arbitraires, des constructions sociales, qui dépendent des citoyens et dont ils peuvent disposer jusqu’à un certain point. La dictature par contre ne peut se construire que sur le mensonge et sur la manipulation, en particulier la manipulation du passé, la manipulation de l’histoire.
Mais il demeure que le mensonge existe aussi dans la démocratie, à travers la fabrication artificielle du consentement et du consensus social. Depuis 2011, la Tunisie est aux mains de tendances fondamentalistes dont il est peu probable qu’elles puissent servir réellement Dieu et l’argent, et/ou même simplement l’argent et la morale ; mais tout le monde fait semblant de croire plus ou moins qu’elles le peuvent, ce qui signifie qu’il y a au moins une forme d’immoralité qui ne diminue sûrement pas, à savoir l’hypocrisie morale. La politique est devenue l’ombre jetée sur la société par le dogmatisme, la finance et la corruption, ce qui n’est pas tolérable compte tenu de ce que l’idée de la toute-puissance du marché était une erreur. Aujourd’hui les politiques font semblant de mettre de l’éthique partout, y compris dans les domaines qui sont à première vue les plus étrangers à l’éthique, jusqu’à ce qu’éclatent les scandales et les conflits d’intérêts. Mais quand on parle de moraliser une chose comme la haute finance, il faut comprendre surtout que les contrevenants et les délinquants qui y sévissent auront droit simplement à des sermons moraux, peut-être un peu plus vigoureux que d’ordinaire, et que le prix de leurs forfaits sera payé, comme d’habitude, par les plus défavorisés et les plus pauvres.
Le fait d’être grugé et exploité n’était déjà pas très agréable ; mais qu’en plus de cela on se croie autorisé à nous parler de morale, je trouve que cela rend la chose encore plus intolérable. Nous devons en permanence essayer de faire la lumière sur l’obscurité entretenue par les classes intellectuelles, quand elles s’occupent de protéger les privilèges et de soutenir le pouvoir. Des idées très simples et limpides peuvent alors nous rapprocher sensiblement d’une société plus juste, digne et libre, travail qui est tellement nécessaire que le sort de notre espèce en dépend, littéralement. Je suis frappé par le peu de résistance que suscitent, dans le contexte actuel, les projets, les décisions et les entreprises du pouvoir. J’ai l’impression tous les jours qu’on devrait être dans un état de révolte constant. Il y a un phénomène de ralliement très perceptible, et même assez spectaculaire, de l’intelligentsia, autrefois contestataire, au pouvoir. À moins que ce ne soit sa tendance naturelle. Il m’arrive de me demander si l’état naturel du monde intellectuel n’est pas quelque chose de proche de la prostitution.
L’ignorance volontaire nous empêche de nous confronter à des faits évidents concernant les rapports sociaux et humains, et si nous arrivons à sortir de ces ténèbres et regardons les choses honnêtement et simplement, nous atteindrons rapidement des conclusions convenables. Galilée n’a pas eu besoin d’une éducation spéciale ou d’un génie particulier. Il lui a juste fallu être intellectuellement honnête. Et c’est une qualité dont tout le monde dispose s’il veut se libérer des doctrines conventionnelles imposées de l’extérieur et qu’il se demande pourquoi il devrait accepter les doctrines, qu’il s’agisse des immigrés clandestins, de la destruction de l’environnement, du droit des femmes ou de n’importe quoi d’autre. Il faut donc vouloir accepter le défi de l’intégrité morale et intellectuelle, et si c’est un truisme, cela ne dérange pas.
Le président comme son équipe donnent l’impression d’avoir du mal à reconnaître l’existence d’une vérité objective
Le 8ème président de la République Tunisienne souffre d’un problème avec les faits, comme d’autres d’une addiction, mais différemment, car il ne présente aucune accoutumance à la réalité. Au cours de sa carrière d’enseignant universitaire, ce travers avait été repéré mais toléré ; sa campagne électorale, ensuite, l’a souligné et les premières semaines de son mandat l’ont confirmé. Le président comme son équipe donnent l’impression d’avoir du mal à reconnaître l’existence d’une vérité objective, indépendante des représentations qu’on peut en donner, des interprétations que l’on peut en faire. Ils remplacent volontiers cette vérité par des affirmations étranges. Par exemple, il recoure à des constructions imaginaires nées d’un certain sens du fondamentalisme religieux. Affirmer qu’il s’agit tout bonnement de mensonges n’est pas si simple.
En effet, mentir entièrement consiste à forger de toutes pièces une histoire qui n’existe pas. Cette invention construit une fable, un univers fictif sans rapport aucun avec la réalité. Or la méthode présidentielle ne procède pas ainsi. Elle consiste plutôt à étirer la vérité, à l’augmenter, à la pourvoir d’agréments ou de dangers qui conviennent aux objectifs du moment. Cette forme singulière de vérité augmentée ne doit pas être confondue avec les faits alternatifs, inventés dernièrement par le Chef du gouvernement et le Président du parlement. Il existe une alternative lorsque des données objectives en contredisent d’autres et qu’il faut trancher ; ou bien quand s’affrontent des interprétations divergentes des mêmes faits. Mais des faits de remplacement que rien n’atteste sont tout bêtement des mensonges. Mieux vaut alors tenter de saisir l’usage particulier de l’hyperbole véridique qu’a le chef de l’Etat en lieu et place de la vérité.
C’est une technique qui considère que la réalité étant toujours moins bien et moins bonne que ce que les citoyens souhaitent, il est donc indispensable de la présenter améliorée, ou plus noire et plus dégradée, s’il s’agit de placer une idée, une décision ou une personne. Rendre le réel plus attirant ou plus menaçant, selon les cas relève de l’hyperbole véridique. C’est donc une forme édulcorée d’exagération, et une forme très efficace de promotion. Somme toute, à partir de ce qui existe, il s’agit de proposer une extension, un supplément, jugé à la fois performant et sans nocivité. Supposé vraisemblable, cet ajout demeure toutefois purement virtuel. Au mensonge frontal se substitue donc un arrangement de mots et de chiffres, une façon de triturer les apparences pour qu’elles se rapprochent des fantasmes. A la place d’une vérité de marbre, immuable, rigide, où un fait est un fait, s’installe une vérité malléable, que l’on croit pouvoir façonner et transformer à guise, parce qu’il n’y a pas de faits, mais seulement des interprétations. Dans l’absolu, ce n’est pas si grave ; publicitaires, avocats, hommes d’affaires ont souvent recours à des présentations tendancieuses des faits, sans parler des journalistes et des hommes politiques… En outre, il n’est pas toujours aisé de définir avec exactitude la ligne rouge séparant l’exacte vérité de son enjolivement ou de son enlaidissement. On devrait même accorder qu’il n’est pas simple, le plus souvent, de discerner ce qui constitue une faute morale parmi ces kyrielles de présentations biaisées. Malgré tout, nous sommes ici dans un autre cas de figure et s’il persiste à voir le monde de la même manière, il est urgent de s’inquiéter.
Vérité et politique consistent alors à demander aux représentants de rendre des comptes
L’idée de vérité recèle une force critique nécessaire face aux urgences politiques, économiques et écologiques. Si la politique est l’art de gouverner les hommes, elle a besoin de confiance et donc de véracité, voire de transparence. Les hommes politiques ont un devoir d’honnêteté à l’égard des citoyens qui les ont élus et qu’ils ne font que représenter temporairement. Chaque processus électoral, chaque affaire politique renvoie systématiquement à la question de la place du secret dans l’espace public, auquel s’oppose la transparence ou l’exigence de vérité, devenues vertus politiques absolues. Vérité et politique consistent alors à demander aux représentants de rendre des comptes. La Tunisie traverse une crise politique grave, qui se manifeste principalement par des querelles politiciennes autour du maintien ou du départ du chef du gouvernement et de la non reconnaissance par le chef de l’Etat du remaniement du gouvernement proposé. Cette crise affaiblit les institutions, paralyse l’action publique et le travail du parlement, du gouvernement et de l’administration publique, divise et discrédite la classe politique, minant la confiance citoyenne à l’égard des institutions et de l’Etat.
Elle diminue la capacité du pays à faire face à des évènements imprévus, comme des attaques terroristes djihadistes ou des émeutes de grande ampleur, ou encore cette pandémie qui prend le pays à la gorge et alimente la tentation autoritaire. Les principales forces politiques et syndicales devraient essayer de trouver une sortie de crise, mais celle-ci est dans une impasse, et son issue demeure incertaine. Annahdha, de loin la formation politique tunisienne la plus organisée et disciplinée, il faut en convenir ; elle est désormais le premier parti représenté au parlement et au sein des conseils municipaux à l’échelle nationale. Il continue de renforcer son ancrage au sein de l’administration centrale et régionale, où un nombre grandissant de ses sympathisants et militants occupent des « emplois civils supérieurs. Des centaines de nominations à des postes de direction ont été faites sur la base d’allégeances politiques, régionales et familiales et désormais, nombre de cadres supérieurs sont compromis avec les différents clans qui s’affrontent. Dans le conflit au sommet, Ennahdha défend avec force le maintien du chef du gouvernement et son remaniement ministériel, contre la position du président de la République. Certains observateurs de la scène politique y voient un soutien tacite à la candidature du Chef du gouvernement à la prochaine élection présidentielle de 2024 et, plus largement, les prémices d’une recomposition politique d’envergure. Selon ce scénario, Annahdha poursuit deux objectifs contradictoires, ne pas apparaitre au premier plan, et progressivement gagner en influence sur la scène politique tunisienne. Il gratifierait de son soutien un mouvement politique « séculier », qui serait à créer, dirigé par Hichem Mechichi.
La France, l’Union européenne et les institutions financières internationales, de leur côté, estiment que l’instabilité gouvernementale actuelle retarde la mise en place des réformes commandées. Nombre de diplomates étrangers et d’experts d’organisations internationales considèrent l’UGTT comme principale responsable du blocage des réformes économiques, de la fragmentation de la chaîne de commandement au sein de l’administration publique et de l’explosion des revendications salariales corporatistes, lesquelles, généralement satisfaites, grèvent le budget de l’Etat. La lutte entre les pro- et les anti-Mechichi continue en effet de battre son plein, chacun cherchant à imposer ses vues en affirmant être sur le point de triompher de l’autre. De nombreux changements de positions sont possibles, d’autant que cet antagonisme ne recoupe aucun clivage idéologique clair, des anti-islamistes se retrouvant dans le même camp que des islamistes, par exemple. De nouvelles polémiques susceptibles d’affaiblir un camp ou un autre, peuvent émerger à tout moment. Les rivalités politiques et l’absence de consensus entre les formations bloquent des dizaines de projets en commission, fondamentaux dans le contexte actuel de rétrécissement de la marge de manœuvre macroéconomique et sanitaire. Aucun compromis n’émerge à propos de la nomination des membres de la Cour constitutionnelle, étape fondamentale pour la mise en place des institutions issues de la Constitution de 2014. Les rotations de personnel au sein des « emplois civils supérieurs » pour des considérations partisanes se sont accélérées ces dernières années. Les réseaux clientélistes des partis politiques ont pénétré les administrations, contribuant à leur fragmentation et affectant nombre de hauts fonctionnaires et leur efficacité.
La tentation autoritaire est forte
Celle-ci découle de la conviction, ancrée dans la culture politique tunisienne, que seul un pouvoir exécutif et administratif fort est en mesure de contenir les soi-disant dérives de la souveraineté populaire, à savoir, un parlementarisme qui ralentit les prises de décision, des appareils politiques sources de divisions et de conflits, la corruption des responsables politiques, etc. Mais les querelles entre responsables politiques, sont en partie alimentées en coulisses par des hommes et femmes de l’ombre des milieux d’affaires, et diminuent graduellement leur base de soutien populaire. En effet, les citoyens ordinaires ont de plus en plus tendance à assimiler les hommes et femmes politiques à des intermédiaires vénaux, dont l’objectif serait de s’enraciner dans les structures étatiques et de les utiliser à leur profit. Ainsi les tiennent-ils pour responsables de la plupart des maux dont souffre le pays, notamment la montée du clientélisme, la cherté de la vie, la dégradation de la situation sécuritaire et sanitaire, des infrastructures et des services publics.
Cet état d’esprit pourrait favoriser « les comportements aventuriers », c’est-à-dire les tentatives de reprise en main autoritaire. Il est crucial d’éviter que la crise actuelle, qui expose les divisions de la classe politique et affaiblit les institutions, n’encourage les émeutes ou, pire encore, les attaques djihadistes, qui à leur tour renforceraient ces divisions et créeraient des conditions favorables à une fracture sociétale majeure comme en Libye. Sur le plan politique, il est peu probable dans l’immédiat que la virulence des conflits entre les différents acteurs diminue. En effet, l’équilibre des forces pousse à la confrontation certains groupes de pression économiques et financiers, dont les intérêts risquent d’être mis à mal par un changement de configuration politique. La Tunisie apparait, en effet, contrainte d’appliquer à la lettre les recommandations de plus en plus fermes du Fonds monétaire international (FMI), préoccupé notamment par l’inflation et l’accroissement de la dette publique. Certaines auront un coût social important à court terme.
La stabilisation de la masse salariale de l’Etat limitera la capacité des pouvoirs publics à acheter la paix sociale en distribuant des emplois au sein de la fonction publique. La flexibilité accrue du taux de change fera encore baisser le pouvoir d’achat des Tunisiens. Devrait s’engager un débat de fond sur les éléments qui ont rendu possible la crise actuelle, conflits de légitimité entre le chef de l’Etat et le chef du gouvernement, hausse du clientélisme et influence grandissante des hommes et femmes de l’ombre, personnalisation des canaux de négociation politique, absence de réforme de l’administration publique et de réflexion sur son rapport avec les responsables politiques, pour éviter de répéter les erreurs passées. Il est urgent que les partis politiques démontrent qu’ils ont retrouvé le sens de l’Etat et qu’un pouvoir exécutif et administratif stable et efficace parvienne à se placer au-dessus des conflits politiciens et à renforcer la confiance envers les institutions.
Monji Ben Raies
Universitaire, enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques
Université de Tunis El Manar ; Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis