News - 08.05.2021

L’accord sino-iranien de coopération stratégique: Significations et incidences

L’accord sino-iranien de coopération stratégique: Significations et incidences

Par Mohamed Ibrahim Hsairi

«A l’heure du cinquantième anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, les liens entre la Chine et l’Iran se trouvent à un nouveau point de départ historique. La Chine est prête à travailler avec l’Iran pour ouvrir de nouvelles frontières de coopération dans l’intérêt des deux peuples, et pour la paix et le développement dans le monde. Peu importe les changements de la situation internationale et régionale, la Chine maintiendra inébranlablement ses politiques amicales envers l’Iran.» (Wang Yi, ministre des Affaires étrangères de la Chine)

«Nous remercions la Chine qui a été un ami dans les moments difficiles pour ses positions et ses actions précieuses dans une période de sanctions cruelles contre l’Iran...  Washington devrait prendre au sérieux son retour à l’accord sur le nucléaire iranien, lever toutes les sanctions unilatérales et revenir au JCPOA tel qu’il a été conclu à Vienne en 2015» (Mohammad Javad Zarif, ministre des Affaires étrangères de l’Iran)

L’accord conclu par la Chine avec l’Iran pour une durée de 25 ans témoigne d’un changement de stratégie au Moyen-Orient, à l’heure où les relations avec les États-Unis se détériorent, et marquera un changement capital sur le plan des relations de la Chine avec l’Iran et la région. » (Hua Liming, ancien ambassadeur de la Chine à Téhéran, de 1991 à 1995)

Ce sont là quelques appréciations que j’ai choisies parmi tant d’autres qui sont unanimes à souligner l’importance de l’accord de coopération stratégique de 25 ans signé le 27 mars 2021 à Téhéran par l’Iran et la Chine.

Fruit de cinq années de négociations qui ont suivi la visite, en janvier 2016, du président Xi Jinping à Téhéran, cet accord est considéré comme un gage d’une relation «gagnant-gagnant», et est autant important pour l’Iran que pour la Chine:

Important pour l’Iran pour au moins les quatre raisons suivantes :

Tout d’abord parce qu’il lui permettra de consolider ses liens politiques, économiques et militaires avec la Chine qui est son premier partenaire commercial et l’un des principaux acheteurs de son brut. Il donnera ainsi un nouveau souffle à l’économie iranienne durement touchée par une longue période de sanctions américaines, qui ont été aggravées depuis 2018 par la politique de « pression maximale » imposée unilatéralement au monde entier par l’ex-président Donald Trump et qui visait à détruire l’Iran économiquement et le déstabiliser politiquement de l’intérieur. En effet, il prévoit 400 milliards de dollars d’investissements chinois en Iran au cours des 25 prochaines années, et des dizaines de projets qui concernent un large éventail de domaines économiques, culturels, sécuritaires et militaires, seront réalisés dans ce cadre.

Ensuite parce qu’il lui permettra de renforcer structurellement sa coopération dans le domaine militaire avec la Chine qui, faut-il le rappeler, a été son plus important fournisseur d’armes depuis les années 1980, c’est-à-dire depuis la guerre de huit ans qui l’a opposé à l’Irak. Aujourd’hui encore, une bonne partie de l’équipement iranien est issue du complexe militaro-industriel chinois, et ce en dépit des pressions américaines. Le renforcement se traduira par l’élévation du niveau de la coopération entre les forces armées des deux pays dans les domaines de la formation des ressources humaines, de la lutte contre le terrorisme, de l’échange de délégations et d’informations, des exercices militaires communs, des recherches menées conjointement dans le secteur de la défense ainsi que de l’équipement et de la technologie.

De même parce qu’il lui permettra de bénéficier du soutien de la Chine sur la question nucléaire. D’ailleurs, le dernier article de la déclaration conjointe sur le partenariat stratégique global entre l’Iran et la Chine sortie à l’occasion de la visite du Président chinois à Téhéran en janvier 2016 rappelle l’attachement qu’accordent les deux pays au JCPOA (Joint Compréhensive Plan of Action ou en français plan d’action global conjoint), et à son application par toutes les parties signataires. Le soutien chinois est très précieux car la Chine, qui a aidé à la conclusion de cet accord, n’a pas hésité à afficher son appui à Téhéran face à la démarche unilatérale de l’ex-président américain Donald Trump qui a décidé, en 2018, le retrait des États-Unis de l’accord et le rétablissement des sanctions contre l’Iran.

Enfin parce qu’il lui permettra de participer plus activement au projet de la « Belt & Road Initiative» ou les Nouvelles routes de la soie, et de devenir un partenaire crucial dans le cadre de ce projet qui va influencer l’Asie et le monde entier dans les prochaines années. D’ailleurs, tout en profitant déjà du développement des infrastructures de transport en Asie, il est prévu que l’Iran bénéficiera de 35 milliards de dollars de crédits qui lui seront octroyés par la Chine pour développer sa propre infrastructure et être plus étroitement lié à ce projet.

L’accord est, d’autre part, important pour la Chine pour également quatre raisons qui sont les suivantes:

Premièrement, parce qu’il lui permettra de sécuriser à long terme une part importante de son approvisionnement énergétique qui constitue pour elle une question de sécurité nationale. Il est  à noter, à ce propos, que la Chine, qui est le plus grand importateur de pétrole et de gaz iraniens, ne voit pas en l’Iran seulement un pays riche en ces matières vitales pour son économie, mais également et surtout un des rares  pays capables de dire « non » aux Américains et d’adopter une position indépendante sur ses partenariats avec les autres pays du monde. En outre, ses importations de pétrole et de gaz en provenance d’Iran lui coûtent, d’après certaines sources, 30% moins cher que le prix du marché, et le règlement de la facture contourne le dollar américain.

Deuxièmement, parce qu’il lui permettra de développer ses exportations vers l’Iran qui, avec une population urbaine et éduquée qui atteindra les 100 millions d’habitants d’ici quelques années, constitue un partenaire stable et viable en matière d’exportations, notamment de biens manufacturés.

Troisièmement, parce qu’il lui ouvrira, à travers l’Iran, une porte d’entrée idéale sur la scène moyen-orientale où elle veut s’impliquer de plus en plus.

Quatrièmement, parce qu’il lui garantit une adhésion déterminée et active de l’Iran au projet de la BRI, à un moment où l’hostilité de Washington à l’égard de Pékin et de son ambitieux projet ne cesse de croître. Les Chinois, qui semblent se méfier de plus en plus du seul commerce maritime, donnent, surtout après le récent incident du canal de Suez, une importance plus que jamais cruciale aux corridors commerciaux terrestres, et à la connectivité de la BRI à travers l’Eurasie. Or pour ce faire, et pour pouvoir rapprocher l’Asie orientale et l’Asie occidentale, le rôle de l’Iran est incontournable d’autant plus que les Iraniens ont une grande influence parmi leurs alliés dans l’Hindu Kush, en Asie centrale, dans le Golfe, dans la mer Rouge et en Méditerranée.  Cela étant dit, il faudra ajouter qu’au-delà de son importance pour l’Iran et la Chine, l’accord est de vaste portée, par ses significations particulières et les incidences qu’il pourra avoir tant sur le plan régional que sur le plan international.

En effet et en premier lieu, il signifie que l’époque où la Chine faisait preuve de prudence dans ses relations avec l’Iran pour éviter de contrarier Washington est, semble-t-il, révolue. En le signant, les deux pays, connus pour leur opposition à l’hégémonisme américain, semblent, en effet, marquer le début d’une nouvelle ère qui se soucie de moins en moins de ce que pensent les États-Unis, et de ses restrictions unilatérales et arbitraires.

Qui plus est, et compte tenu des changements intervenus dans les relations sino-américaines ces dernières années et surtout ces derniers mois, la Chine semble être décidée à non seulement faire face à la pression croissante exercée par les États-Unis, mai à défier Washington dans son propre camp.

A ce titre, il est significatif qu’avant sa visite en Iran, le ministre chinois des Affaires étrangères a effectué une tournée d’une semaine dans six pays du Moyen-Orient, dont l’Arabie Saoudite et la Turquie. D’aucuns pensent que cette tournée s’inscrit dans le cadre de la confrontation actuelle avec les États-Unis et des efforts que le président Joe Biden ne cesse de déployer en vue de constituer un front uni avec ses alliés en Europe et en Asie.

En réponse, la Chine a également intensifié ses efforts pour rallier un soutien à l’échelle mondiale, y compris auprès des pays traditionnellement considérés comme faisant partie de la sphère d’influence de Washington.

Dans ce contexte, il n’est pas fortuit que le ministre Wang Yi ait dit au président iranien Hassan Rohani qu’il était «temps de réfléchir sérieusement aux conséquences négatives de l’ingérence extérieure dans les affaires de la région, et d’examiner ensemble des moyens efficaces de maintenir la sécurité et la stabilité régionales à long terme».

Plus explicite, l’ancien ambassadeur de Chine à Riyad, Wu Sike, a déclaré au Shanghai Observer que le voyage de M. Wang Yi visait à l’obtention d’un rôle plus important dans les affaires régionales, notamment en tant que médiateur entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
C’est pour cette raison que certains analystes estiment que l’accord sino-iranien revêt un caractère éminemment stratégique et semble marquer la naissance d’un nouveau paradigme géopolitique dans les relations internationales et régionales.

Intervenant sur fond de tensions entre Moscou, Pékin et Téhéran d’un côté, et les États-Unis et leurs alliés de l’autre, particulièrement depuis l’arrivée du président Joe Biden à la Maison-Blanche en janvier 2021, il n’est pas exclu qu’il précipite la création, en puissance, d’un axe entre la Russie, la Chine et l’Iran qui concourrait à l’émergence d’un système international multipolaire. Mais en attendant, une coopération plus large et plus profonde entre ce « trio » serait suffisante pour changer les règles du jeu et modifier le paysage stratégique non seulement au Moyen-Orient, mais également en Asie.

Ceci est d’autant plus possible que le partenariat sino-iranien repose sur une vision stratégique partagée qui aspire à éloigner les États-Unis du Golfe autant que faire se peut. Passage maritime par lequel transite un cinquième des approvisionnements énergétiques mondiaux, le détroit d’Ormuz est vital pour les deux pays, et surtout pour la Chine dont la moitié des approvisionnements énergétiques transitent par ce couloir maritime qui demeure l’objet de tension entre les États-Unis, l’Iran et les autres Etats riverains.

C’est peut-être pour cela, entre autres, que l’accord sino-iranien suscite une sérieuse inquiétude de la part des pays arabes du Golfe, d’Israël et des Etats-Unis, qui faut-il le rappeler, sont déjà préoccupés par la «menace» iranienne dans la région, compte tenu de l’élargissement de l’influence de l’Iran en Irak, en Syrie, au Liban et au Yémen, ainsi que de son soutien aux Palestiniens. De même, cette sérieuse inquiétude s’explique par le fait que les Etats-Unis et leurs alliés risquent de perdre une grande partie de leur emprise, ainsi que de leur capacité de faire pression sur Téhéran qui les préoccupe par l’influence qu’il exerce en Afghanistan, d’où Washington vient de décider de se retirer le 11 septembre 2021…

En conclusion, on pourrait dire qu’avec le changement des règles du jeu en Asie centrale, et surtout au Moyen-Orient, et dans la région du Golfe où la Chine est sur le point de devenir l’un des acteurs centraux, l’on s’attend à vivre une nouvelle polarisation qui engendrerait de nouvelles alliances, de nouvelles recompositions et de nouvelles contingences géostratégiques et qui pourrait accoucher de nouveaux équilibres stratégiques régionaux et internationaux.

Espérons que l’accouchement se passera sans trop de souffrances et de douleurs.

Mohamed Ibrahim Hsairi

 

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