Washington: Le jour d’après! Eléments pour un programme de sauvetage et pour échapper au défaut de paiement!
Par Hakim Ben Hammouda. Universitaire et ancien Ministre de l’Economie et des Finances. Notre pays traverse une crise économique sans précédent depuis quelques années dont l’ampleur et la gravité ont été renforcées par les effets de la pandémie du Covid-19. Ainsi, l’économie tunisienne a enregistré en 2020 la récession la plus profonde de son histoire avec un taux de croissance de -8,8%.
Cette crise a pris plusieurs manifestations dont la baisse profonde de la croissance, le recul de l’investissement ou l’explosion de l’endettement. Mais, la crise la plus immédiate est celle des finances publiques qui, selon les déclarations récentes de responsables gouvernementaux, menace de se transformer en une déroute qui pourrait nous conduire vers le scénario libanais.
Dans cette perspective s’inscrit l’accélération des discussions avec le FMI de la part des pouvoirs publics afin de parvenir à un accord capable de réduire les pressions sur les finances et d’éloigner la perspective du défaut de paiement. De même le renforcement de la diplomatie économique et la multiplication des rencontres entre les responsables gouvernementaux et les ambassadeurs des grands pays développés s’inscrivent dans la même démarche et cherchent à renforcer l’appui financier à des finances publiques mal en point.
Mais, la question la plus importante, qui attire l’attention des acteurs politiques et de l’opinion publique d’une manière générale, concerne notre capacité à sauver nos finances publiques de la déroute et les conditions pour éviter un scénario à la libanaise.
De notre point de vue, et même si la situation des finances publiques est difficile, et désespérée selon certains officiels, la possibilité du sauvetage est encore possible même si les marges de manœuvre sont de plus en plus réduites.
Le sauvetage des finances publiques exige deux dimensions essentielles : la première concerne le programme et les mesures à mettre en place pour sortir de cette impasse et la seconde est relative aux conditions de réussite de cette opération de sauvetage.
Les priorités du sauvetage
Le sauvetage économique exige la mise en place d’une série de programmes et de priorités afin d’arrêter la dérive sans précédent des finances publiques et d’entamer les grandes réformes économiques et la stabilisation. Ce programme sera complexe et exigera des programmes et des actions sur le moyen terme.
De même le sauvetage demandera beaucoup de courage et de détermination afin de poursuivre ce programme et d’en réaliser les objectifs.
Nous indiquerons dans cette contribution une série de programmes et d’actions nécessaires pour entamer au plus vite un véritable sauvetage des finances publiques et échapper ainsi au scénario libanais.
• Un programme de stabilisation économique: Ce programme de moyen terme (sur trois ans) constitue la première pierre dans le projet de sauvetage et devrait se fixer comme objectif de limiter la dérive des finances publiques et des grands équilibres externes. Ce programme nécessite la formulation d’objectifs chiffrés concernant l’évolution des principales grandeurs économiques sur les trois années et particulièrement celles du déficit public, l’endettement et l’inflation.
Parallèlement à ces objectifs, ce programme doit fixer les mécanismes et les politiques qui vont lui permettre de les atteindre.
La préparation de ce programme exigera un travail rigoureux de la part des experts dans les toutes les institutions de l’Etat en charge des questions économiques et financières, et particulièrement celles du Ministère des finances et de la Banque centrale. Ce programme constituera un élément essentiel dans l’appréciation de la crédibilité du gouvernement de la part des grandes organisations internationales et sur les marchés financiers.
• La préparation d’une Loi de finances rectificative: Il a une conviction profonde auprès de plusieurs milieux que la préparation d’une Loi de finances rectificative nécessite la stabilisation économique et devrait attendre la sortie des crises et des tempêtes. C’est ce qui explique chez nous le retard dans la préparation de ces lois au cours des derniers mois pour faire face aux effets de la pandémie. Or, contrairement à cette croyance forte, les lois de finance rectificative sont concoctées au moment des grandes crises pour sauver les finances de l’Etat et permettre à l’Etat de tenir ses engagements financiers.
Il est temps aujourd’hui de faire appel à cet important instrument de politique économique et de préparer une loi de finance rectificative qui nous permettra d’avoir une idée sur l’ampleur des défis financiers et des dangers que se dressent devant nous.
Cette Loi de finances donnera l’opportunité au gouvernement de présenter ses priorités et ses politiques pour faire face à cette crise financière. En même temps, l’approbation de cette Loi de finances donnera au gouvernement le soutien politique nécessaire pour leur mise en place.
• La sécurisation des finances publiques: Pour entamer ce programme de sauvetage et afin d’éviter le scénario libanais, il est important que le gouvernement sécurise les finances publiques jusqu’à la fin de l’année et gère par conséquent les tensions qui vont apparaître tout au long des prochains mois. Il s’agit d’un travail délicat qui demande la mobilisation des experts du Ministère des finances et de la Banque centrale pour planifier l’évolution des ressources de l’Etat. Cette planification doit se baser sur une programmation réaliste de l’évolution des recettes et de l’état des négociations avec les institutions internationales notamment le FMI et les délais d’accès à leurs ressources.
Cette planification doit également étudier les autres solutions notamment le recours au marché local tout en évitant les effets d’éviction à l’encontre des entreprises privées dont les besoins de financement ont été renforcés par la crise actuelle.
Ce plan doit également étudier les possibilités du recours au financement direct de la Banque centrale et les niveaux de cet appui.
• La poursuite des négociations avec le FMI: Après un retard d’une année, le gouvernement a finalement adressé une requête pour entamer les négociations sur un nouveau programme d’appui. Ces négociations vont être longues et âpres et demanderont beaucoup de patience.
Mais, il est nécessaire de poursuivre ces négociations afin de parvenir à une nouvelle relation contractuelle avec le FMI. La préparation par le gouvernement d’un programme de stabilisation facilitera les négociations en cours avec l’institution de Bretton Woods.
La conclusion d’un accord avec le FMI nous ouvrira les portes des autres institutions financières internationales et contribuera à baisser les coûts de notre sortie sur les marchés internationaux ce qui permettra de réduire la pression sur les finances publiques.
Mais, il faut souligner que la conclusion d’un accord avec le FMI et la définition d’un programme de stabilisation ne peuvent pas résumer toute notre politique économique. Parallèlement à ces actions essentielles, il est également urgent de définir un nouveau projet économique pour relancer l’investissement et la croissance.
• L’accélération des réformes économiques: Il faut mentionner que les retards accumulés dans la mise en place des réformes économiques ont largement contribué à la dégradation de la situation financière de notre pays et la détérioration de nos relations avec les institutions financières internationales. Ces retards trouvent leur explication dans le climat politique et social et l’absence de consensus sur les réformes à mettre en place.
Mais, on oublie souvent une dimension essentielle qui est à l’origine des retards dans la mise en œuvre des réformes et qui concerne la vision idéologique qui a dominé la perception et la réflexion sur les réformes imposée par les institutions internationales.
Il est nécessaire de rompre avec cette vision dominante et développer une vision plus pragmatique et réaliste qui s’éloigne de la tentation de copier les politiques suivies par d’autres pays, particulièrement en matière de subventions et de réformes des entreprises publiques. J’ai expliqué depuis plusieurs années que la démarche du ciblage en matière de subventions que les institutions internationales cherchent à nous imposer n’est pas réaliste et pourrait entraîner de graves crises politiques comme c’était le cas dans les pays qui l’ont adopté. Cette nouvelle vision pourrait nous aider à mettre les réformes en place de manière beaucoup plus sereine et dépasser les difficultés que nous rencontrons depuis de longues années.
• Un programme de relance et de solidarité sociale: Le sauvetage des finances publiques ne peut pas se limiter aux efforts de stabilisation mais nous devons également mettre en place un programme de relance de la croissance et de l’investissement.
Une vision étriquée de la gestion de la crise économique a dominé le débat sur la situation économique qui s’est limitée à la gestion des grands équilibres macroéconomiques et qui n’a pas accordé à l’investissement l’importance qu’il devait avoir. Cette vision a montré ses limites non seulement pour relancer la croissance mais aussi dans le sauvetage des finances publiques.
Il faut impérativement prendre les questions de la relance de la croissance, de l’investissement, de la solidarité et de l’inclusion sociale dans cette nouvelle vision de sauvetage de notre économie pour échapper au scénario libanais.
Ces idées constituent quelques propositions sur le contenu d’un programme national de sauvetage de notre économie. Mais, le succès de ce programme et sa capacité à sauver notre pays dépendra de certaines conditions importantes.
Des conditions de sauvetage
La dynamique de sauvetage que nous appelons de tous nos vœux n’est pas une opération technique. Mais, il s’agit d’un processus politique dont la réussite exigera la réunion de certaines conditions essentielles.
• La première condition: Elever l’intérêt national au-dessus de toutes les autres appartenances. Ce principe doit guider l’action publique dans la définition de nos choix de politique économique et les grandes orientations de nos projets de développement futurs.
• La seconde condition: La défense des institutions de l’Etat et la nécessité d’une plus grande coopération et solidarité entre-elles. Ce principe concerne aussi bien les institutions politiques de l’Etat que les institutions économiques comme les rapports entre la Banque centrale et le gouvernement.
• La troisième condition: la nécessité d’une plus grande participation citoyenne et des forces politiques et sociales dans la définition des grands choix politiques économiques et financiers des pouvoirs publics. Cette participation sera à la base d’une large adhésion à ces choix et renforcera la position du gouvernement dans les négociations.
• La quatrième condition: Il est important de favoriser la plus grande transparence sur la situation financière et l’état des finances publiques. Cette transparence est nécessaire dans la mesure où elle contribuera à sensibiliser les acteurs politiques et sociaux sur la gravité de la situation financière du pays et la nécessité de construire un consensus autour des institutions de l’Etat pour sauver nos finances publiques.
Les finances publiques traversent probablement le moment le plus dur de notre histoire moderne qui risque de nous conduire au défaut de paiement. Cette situation exige la formulation d’un programme national de sauvetage et économique, et de financer et de réunir les conditions nécessaires pour sa mise en œuvre et sa réussite.
Hakim Ben Hammouda
Universitaire et ancien Ministre de l’Economie et des Finances