Monique Cerisier-Ben Guiga, une grande amie de la Tunisie vient de nous quitter
Par Habib Mellakh - Monique Cerisier- Ben Guiga s’est éteinte à Paris, le 9 mai, à l’âge de 79 ans, à la suite d’une longue maladie. L’annonce de la triste nouvelle sur les réseaux sociaux m’a fait beaucoup de peine et a endeuillé, en Tunisie, tous ses amis et ceux qui l’ont connue et aimée. Elle a beaucoup aimé la Tunisie et elle a tant apporté à notre pays. Professeur de lettres françaises au Lycée de jeunes filles d’El Omrane, à son arrivée en Tunisie en 1965, puis au Lycée de Grombalia de 1969 à 1986 avant de rejoindre le Lycée Pierre- Mendès France à Mutuelle ville, elle a formé et marqué plusieurs générations d’élèves. C’était «une femme qui aimait son métier et donnait envie à ses élèves d’apprendre la langue de Molière» et dont il «garde un souvenir impérissable» selon le témoignage de l’un de ses élèves au Lycée français. Son élève au Lycée de Grombalia, pendant l’année scolaire 1972 – 1973, le doyen Habib Kazdaghli, lui est, comme ses camarades, redevable de la maîtrise de la langue française mais elle lui a surtout inculqué le sens de l’engagement. Avec son mari Habib Ben Guiga, neveu de Bahri Guiga, l’un des fondateurs du Néo-Destour, et jeune médecin, ravi à la fleur de l’âge, qui avait ouvert un cabinet à Grombalia et qui était apprécié pour son respect scrupuleux du serment d’Hippocrate et son empathie pour ses malades, elle incarnait, pour ces lycéens de Grombalia, une Tunisie plurielle et tolérante à laquelle elle a énormément donné.
C’était une femme exceptionnelle, altruiste à souhait, toujours engagée dans la défense des causes justes et nobles et particulièrement des droits du peuple palestinien. En 1981, elle a participé à la création de l'Association Démocratique des Français à l'Etranger (ADFE, rebaptisée, en 2013, Français du monde-ADFE) qu’elle a présidée de 2009 à 2015. Dans ce cadre et ailleurs, elle a milité pour la reconnaissance, par la France et la Tunisie, des droits civiques, sociaux et culturels des Français établis en Tunisie et, plus particulièrement, des Françaises conjointes de citoyens tunisiens et de leurs enfants. Elle a été élue en octobre 1992 puis réélue en septembre 2001, sénatrice des Français de l’étranger, mandat qu’elle a exercé jusqu’en 2011 et dans le cadre duquel elle a fait partie de plusieurs commissions où elle défendu de nombreuses causes nobles.
Je l'ai connue en 2012 lorsqu'elle a défendu avec beaucoup d’acharnement les valeurs universitaires menacées par les salafistes à la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba, au moment de l'affaire du niqab. Elle a, alors, pris fait et cause pour le doyen Kazdaghli lors du procès inique qui lui a été intenté par les obscurantistes. C’est autour d’elle que s’est constitué le comité international de soutien à la Manouba, qui a regroupé des universitaires de plusieurs pays européens et qui a été le vis-à-vis de l’Association tunisienne de défense des valeurs universitaires. Nous avons bénéficié, à l’occasion de ce combat pour les Lumières, de sa solidarité sans faille pendant l’occupation de la faculté par les salafistes durant l’année universitaire 2011-2012.
Elle a tenu, en guise de soutien, à assister, à l’automne 2012, à l’une des audiences du procès. Elle a même proposé au doyen Kazdaghli de mettre à sa disposition, pour les besoins du procès, tout l’argent disponible dans son compte-bancaire tunisien. Après l’annonce de l’acquittement du doyen, elle m’a envoyé ce mot très touchant et très révélateur de son grand amour pour la Tunisie: «J'ai appris l'acquittement d'Habib Kazdaghli avec une très grande joie. Il aura fallu presque une année de combat pour faire justice de l'accusation mensongère des étudiantes en niqab. Quelle épreuve pour Habib mais, in fine, quel triomphe pour l'Université tunisienne qui s'est mobilisée avec vigueur pour défendre, en la personne d'un des siens, les libertés fondamentales sur lesquelles reposent la recherche, la transmission du savoir ! Quel triomphe pour la nouvelle justice républicaine tunisienne, pour l'ordre des médecins aussi, qui ont triomphé des habitudes de soumission inculquées par tant de décennies de dictature !
Ce 2 mai 2013 est un grand jour pour la nouvelle Tunisie, un jour d'espoir pour ses citoyens, un jour où la dignité que réclamaient les premiers révolutionnaires s'incarne enfin dans une décision de justice.
Tunisienne de cœur, je m'associe à la joie d'Habib Kazdaghli, de sa famille, de ses amis et collègues».
Elle m’a également invité, en février 2013, à présenter à l’Institut de recherches et d’études Méditerranée Moyen-Orient iReMMO, dont elle est restée la vice-présidente jusqu’à son décès, mes Chroniques du Manoubistan, récit de la résistance au quotidien des enseignants de la Manouba pour la défense des libertés académiques.
En ces circonstances douloureuses, je présente, en mon nom personnel et au nom de l’Association tunisienne de défense des valeurs universitaires, à ses enfants Youssef, Wassila et Amel ainsi qu’à ses proches et ses amis dont je partage la douleur, mes condoléances les plus attristées!
Habib Mellakh