L’édito de Taoufik Habaieb: Non-urgence
Naufrage annoncé ! Le paquebot Tunisie risque de prendre l’eau de toute part. Les décisionnaires amorphes en seront alors comptables, et les Tunisiens, résignés, complices, en seront aussi victimes.
Insouciance, négligence, incompétence? En plus du dysfonctionnement au sommet de l’Etat, d’une part, et de l’impunité, faute de rendre des comptes, de l’autre. Peu importe la cause. C’est aux urgences qu’il faut s’intéresser le plus. Appui du FMI, vaccination accélérée et loi de finances complémentaire transparente viennent en tête.
Un accord avec le FMI, en ‘’staff level agreement’’, est la première priorité. L’économie et les finances publiques sont à l’agonie. On ignore encore le montant réel du déficit budgétaire pour l’année en cours, officiellement annoncé à 18 milliards de dinars, mais plus probablement estimé à 20, voire 22 milliards de dinars. Le financement extérieur est d’au moins 5.5 milliards de dollars, avec 1.5 milliard obtenu et près de 4 milliards à trouver.
Face aux bailleurs de fonds, notre vision n’est pas claire, notre programme n’est pas abouti et nos dossiers sont loin d’être prêts. Comme si nous avions tout le temps devant nous. Malgré une certaine bienveillance pour une démocratie d’exception naissante dans le monde arabe, ils s’interrogent, s’impatientent et nous relancent.
L’accélération de la vaccination contre le Covid est un impératif majeur. Point de reprise économique, de réouverture pleine et entière des cafés, restaurants, hôtels et autres et de retour des touristes avant d’immuniser la moitié de la population concernée, estimée à 3 millions de personnes. Sur 1.9 million de Tunisiens inscrits, 570.000 seulement parmi eux ont reçu jusqu’à fin mai une première dose, soit 19% de l’objectif. On est loin du compte. La rupture de stock de certains types de vaccins en juin sera pénalisante. La Tunisie aurait pu faire de la vaccination une stratégie d’attraction des touristes libyens, algériens et autres, en leur proposant de venir recevoir leur injection en one shot aux frontières. Imaginez alors l’impact sur le tourisme.
La loi de finances complémentaire ne saurait souffrir le moindre retard. Promise pour mars dernier, elle est renvoyée aux calendes grecques. Ce recadrage est d’une grande importance, et urgence, pour annoncer en toute transparence l’état des finances publiques et nous dire à quoi nous devons nous attendre.
Priorisation, oui mais...
Sans perspective rapprochée de dénouement, le blocage persistant entre Carthage, le Bardo et la Kasbah plombe l’Etat. L’issue est incertaine, lointaine, sans qu’une personnalité d’envergure ne s’emploie à peser de tout son poids. Le risque est grand et les dégâts sont lourds.
Le chômage explose ! Plus de 17.8% de la population active! Les grands chantiers à haute teneur d’emplois tardent à être lancés. Tant que les villageois n’auront pas vu des grues et des bulldozers construire des routes, des logements et des écoles, ils n’auront rien perçu des dividendes de la révolution. Des zones industrielles se vident. Des entreprises tirent la langue quand elles ne ferment pas.
L’effet Covid s’y est ajouté. Trop peu, trop tard est le soutien dû par le gouvernement aux entreprises, aux petits métiers et autres.
Dans cette société de l’immédiat qu’est devenue la nôtre, le temps réel s’érige en nouvelle norme. Plus rien ne saurait attendre.
La pire des postures est de ne pas agir, ni de réagir. Plus rien ne pousse en avant, ne presse... Cette dérobade, qui vient s’ajouter à un long processus de désintégration, met à nu la défaillance de nos systèmes de prise en charge. Et en même temps expose des vies et des entreprises au danger.
La non-urgence a un coût ! Lourd et irrattrapable. Le gouverneur de la Banque centrale, Marouane El Abassi, l’a martelé devant les élus de la Nation. L’ont-ils entendu, écouté. Toute la machine se bloque, se disloque. La déliquescence pointe.
Rompre avec l’habituation. Qu’est-ce qui pourrait secouer de leur torpeur les décisionnaires et le commun des Tunisiens, les réveiller, les responsabiliser ? La redevabilité immédiate pour les uns, la mise en cause de la zone de confort pour les autres ? Sans doute, mais beaucoup plus que cela.
Taoufik Habaieb
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