Après l’agression israélienne sur Gaza: quel bilan?
Le phénix renaît de ses cendres. «C’est la définition des Palestiniens… Nous protestons parce que nous voulons vivre» (Omar Barghouti, dirigeant du mouvement BDS)
Par Mohamed Larbi Bouguerra - Il ne s’agissait pas de « guerre » mais d’« agression » caractérisée contre un peuple désarmé confiné dans 365 km2 de sable et de dunes. Ce peuple ne dispose ni d’avions ni de chars ni de soutiens.
Face à lui, une puissante armada suréquipée soutenue par les Etats Unis, la puissance majeure de ce monde. Ce peuple a subi cinq agressions punitives: 2006 (Pluie d’été); 2008-2009 (Plomb durci); 2012 (Pilier de défense); 2014 (Bordure protectrice); et 2021 (Gardien des murailles) mais ce peuple demeure quand même bien «debout» précise Serge Halimi (Le Monde Diplomatique, Juin 2021, p. 1).
Benjamin Netanyahou, qui a voulu cette atroce agression de 11 jours pour échapper aux graves poursuites judiciaires de corruption qui le visent, exulte et parle d’«un succès exceptionnel». Succès contre des victimes palestiniennes (230) dont la moitié des morts sont des femmes (29) et des enfants (70). La Cour Pénale Internationale (CPI) a mis ces horreurs à son ordre du jour. La doctrine militaire de Netanyahou et de ses généraux est claire: punir sans relâche les Palestiniens: soumission passive, exil ou une mort certaine. Utiliser une force disproportionnée et la technique la plus avancée pour terroriser voire annihiler le Palestinien…. mais sans jamais exposer ses soldats tant l’opinion israélienne est frileuse à cet égard.
Un succès exceptionnel?
«Le succès exceptionnel» clamé par Netanyahou fait l’impasse cependant sur la baisse du shekel- la monnaie israélienne- sur les marchés, la fermeture de l’aéroport international de Tel Aviv, la vie chamboulée de ses concitoyens dans les abris- même à Jérusalem et à Tel Aviv l’hédoniste- les désordres post-traumatiques, le coup porté au tourisme et le manque à gagner des entreprises de la «start up nation» du fait des missiles en provenance de Gaza alors qu’au cours des quatre élections générales israéliennes depuis 2019, la question palestinienne était absente des débats des Israéliens; orthodoxes et laïcs confondus. Plus fort encore: Donald Trump n’a-t-il pas conçu le «deal du siècle» pour mettre fin au conflit… sans y associer le moins du monde les Palestiniens?
Netanyahou a voulu cette guerre en chassant les jeunes de la place de Damas et de l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, en autorisant les incursions de fanatiques juifs au cri de «Mort aux Arabes» parce que leurs partis extrémistes et racistes le soutiennent à la Knesset, n’hésitant pas à profaner un des liens saints de l’islam en plein ramadan.
Netanyahou s’est conduit en conquistador, méprisant et arrogant vis-à-vis d’un peuple qu’il croyait soumis et qu’il voulait dépouiller de ses biens à Cheikh Jarrah pour judaïser la ville chère aux trois religions et qui compte aujourd’hui 40% de Palestiniens (musulmans et chrétiens) dans sa population alors qu’en 1967, ils n’étaient que 25%.
Rachida Brakni et Eric Cantona relèvent que le peuple palestinien n’a pas rendu les armes alors que «le monde avait détourné le regard. Et voilà que les évènements, cette escalade guerrière, ces ratonnades, ces bombardements, ces morts nous rappellent que là-bas un peuple est condamné à l’exil permanent, dans l’indifférence» et nos deux acteurs -partisans de la solution à deux Etats- de préciser, à propos du conflit: «Il s’agit d’une question politique, non religieuse.» (L’Humanité, 26 mai 2021, p. 18)
Soutenir l’injustice
De Biden à Macron en passant par Merkel, même litanie et même soutien débridé face à une criante injustice: «Israël a le droit de se défendre» avec des armes sophistiquées et des avions supersoniques contre des civils désarmés, contre une population emprisonnée par Israël et qui compte 50% de chômeurs et dont 80% ne survivent que grâce aux aides humanitaires. Macron, Biden et les Occidentaux oublient qu’en vertu des Accords d’Oslo, l’Etat de Palestine aurait dû voir le jour le 13 mai 1999 et susurrent que le nombre des colons ayant été multiplié par 3 depuis Oslo, la solution à deux Etats serait morte et enterrée. Il suffit de leur rappeler que les colons ont quand même quitté l’Algérie après 130 ans d’occupation et que c’est au peuple palestinien de décider, en dernier ressort, de la forme de ses institutions. Par exemple, Edward Saïd affirmait : «Il n’y a aucun moyen concevable qu’ils (les Arabes et les juifs) puissent être physiquement séparés sans apartheid… C’est pourquoi je dis que nous devrions avoir un Etat dans lequel tous les citoyens auraient une voix, comme le modèle sud-africain l’a fait pour mettre fin à l’apartheid. Sans cela, vous aurez la perpétuation du conflit, sous une forme ou une autre.» (L’Humanité, 31 mai 2021, p. 17)
Les gesticulations des Egyptiens et les réunions du Caire à l’heure actuelle, n’ont guère de sens car c’est ailleurs que les choses se décident. Les factions palestiniennes n’ont plus la confiance des jeunes comme le prouvent les marches de retour du 30 mars à la fin août 2020 à Ghaza.
Mais Israël se défend-il en détruisant à nouveau Ghaza?
Cela a-t-il eu jamais un sens dans le passé que ce soit à Ghaza ou au Liban?
Pour Haim Bresheet, chercheur à l’Ecole d’études orientales et africaines de Londres (SOAS): «Le conflit palestinien n’est pas un conflit symétrique, ni entre deux Etats, ni entre deux armées. C’est un conflit entre la société coloniale militarisée des colons sionistes- une politique raciste, d’apartheid- et le soulèvement de la population indigène de Palestine, les Palestiniens colonisés.» (L’Humanité, 28-30 mai 2021, p. 22). La solution, affirme Bresheet, réside dans la décolonisation de la Palestine mais celle-ci est compliquée par «l’énorme soutien que la population juive d’Israël apporte aux crimes de guerre continus commis par son Etat et son armée contre le peuple palestinien. Les Palestiniens ont le droit de résister à l’occupation brutale qui leur refuse tout droit à une vie normale en paix…. Un droit que la plupart des sociétés européennes et autres ont utilisé pendant la Seconde Guerre Mondiale pour résister à l’occupant fasciste…. Partout dans le monde, les progressistes et les libéraux devraient soutenir la lutte des Palestiniens contre le régime militariste de l’apartheid…» De fait, aujourd’hui, cinq partis siégeant à la Knesset (Parlement) sont partisans d’une extension des colonies illégales et du vol des terres palestiniennes. Ils totalisent 56 sièges et il ne leur manque que 5 voix pour atteindre la majorité parlementaire et rendre pérenne l’occupation. Un sondage conduit l’an dernier et réalisé par Israel Democratic Institute montre que 30% des Israéliens sont contre l’occupation de la Cisjordanie.
L’unité paye
Unis, les Palestiniens de Ghaza, de Cisjordanie, de Jérusalem et au sein même d’Israël, ont redécouvert leur force et se sont retrouvés. La mobilisation populaire trouve sa raison d’être dans le manque de légitimité des dirigeants palestiniens. La grève générale du 18 mai a été un franc succès et a montré la dépendance d’Israël Du labeur palestinien. Unis, les Palestiniens ont soudé le monde arabe en leur faveur en Tunisie, au Maroc, au Koweït, à Qatar, au Liban, en Irak et au Yémen. Oubliée alors la question palestinienne messieurs les dirigeants des Emirats, de Bahreïn, du Soudan, du Maroc?
En fait, les Palestiniens ont mis la communauté internationale au défi d’être à la hauteur de leur courage en faisant pression sur les gouvernements occidentaux pour qu’ils retirent leur soutien obscène à «Netanyahou et à sa coterie de bouchers» affirme Ronnie Kastrils, ancien ministre des présidents Mandela et Thabo Mbeki, membre de la branche armée de l’ANC. Des manifestations sans précédent aux Etats Unis, réunissant Black Lives Matter et Palestine Solidarity et une fronde inédite de plusieurs membres démocrates du Congrès ont forcé Biden à faire pression sur Netanyahou pour le contraindre à accepter un cessez-le-feu voire à bloquer un marché d’armes de 750 millions de dollars destinées à Israël. Mme Alexandria Ocasio-Cortez, élue démocrate de New York à la Chambre des représentants, fustigeait Biden sur Twitter le 13 mai : «En n'intervenant que pour parler des actions du Hamas- qui sont condamnables- et en refusant de reconnaître les droits des Palestiniens, Biden renforce l’idée fausse que les Palestiniens sont à l’origine de ce cycle de violences. Ce n’est pas un langage neutre. Il prend parti pour un camp- celui de l’occupation.»
En outre, de plus en plus de juifs américains s’éloignent de l’Etat d’Israël et abandonnent sa défense (Ben Samuels, Israël’s brutal month with the Democratic Party- and its impact on public opinion, Haaretz, 31 mai 2021). Ils détachent les valeurs juives de l’Etat d’Israël et de ses crimes. Ainsi, pour le grand linguiste américain Noam Chomsky, «il existe des moyens d’agir [contre Israël] ; tels les embargos sur les armes et le commerce» (L’Humanité, 1 juin 2021, p. 16)
The Economist (29 mai 2021, p. 31- 33 et éditorial p. 9) écrit: «De nombreux critiques de la politique israélienne – y compris les juifs libéraux- comparent maintenant le traitement des Palestiniens à l’apartheid. La demande des Palestiniens pour leurs droits trouve maintenant un écho à l’étranger et a franchi les couloirs et les travées mêmes du Congrès américain.»
Au contraire, en France, on assiste à un alignement officiel sur la «légitime défense» et on empêche les manifestations en faveur de la Palestine à Paris mais pas à Marseille ou à Bordeaux. La déclaration de Jean-Yves Le Drian, ministre des Affaires Etrangères, affirmant que si la solution à deux Etats ne voit pas le jour, Israël deviendra un Etat d’apartheid a eu le don de mettre en colère Netanyahou qui, derechef, a sommé l’ambassadeur français de fournir «des explications».
Quels résultats?
«Succès exceptionnel»?
Comme en réponse à Netanyahou, Ami Ayalon, un amiral israélien à la retraite et un ancien commandant en chef de la marine, les frappes israéliennes ont apporté une «quiétude artificielle». Et Ayalon d’ajouter: «Les questions fondamentales au cœur du conflit israélo-palestinien- l’absence d’un Etat palestinien souverain, les millions de Palestiniens de Cisjordanie sous occupation militaire, le blocus de Ghaza- demeurent inabordées et en l’état. L’idée de faire une photographie de la victoire est une absurdité. A chaque guerre, le but est de créer une meilleure réalité politique. Dans le cas du conflit de Gaza, nous n’atteindrons aucune sorte de réalité politique. » (The New York Times, 21 mai 2021).
De son côté, Aluf Benn, rédacteur en chef du quotidien Haaretz, considère que «c’est l’opération la plus ratée et la plus inutile d’Israël à Ghaza» car l’armée et les multiples services de renseignement n’ont rien vu venir et Benn d’ajouter: «l’armée n’a pas la moindre idée de la manière de paralyser le Hamas et de le déstabiliser.»
Du reste, à quoi sert le Dôme de Fer si les villes «mixtes» d’Israël -de Nazareth à Oum el Fahm- vivent des affrontements entre Palestiniens et juifs israéliens ? Aucune arme, aucune bombe ne garantira à Israël – Etat colonial- la tranquillité tant que son genou écrasera la nuque de la Palestine.
L’éditorialiste du New York Times (21 mai 2021) constate: «Il n’est pas de l’intérêt d’Israël, des Etats Unis ou du reste du monde de rendre invivable Ghaza ou de voir une autre génération d’enfants atteindre l’âge adulte et ne connaître comme gouvernement que le Hamas et comme économie que le blocus et de n’avoir comme certitude pour l’avenir que les bombardements périodiques.»
Les Palestiniens sont de retour et veulent vivre car «le phénix renaît de ses cendres». L’injustice et la violence qui les frappent finiront par cesser. Regardez l’Algérie ou le Vietnam!
Mohamed Larbi Bouguerra