Abdelaziz Kacem: Hamas en hausse, Abbas en baisse
Par-delà les vérités formelles qu’induisent parfois les figures de style, par-delà le triomphalisme des belligérants, les choses ont bougé. Cette énième guerre entre le Hamas et Israël a un avant et aura sans doute un après. Nous ne savons pas de quoi demain sera fait, mais nous connaissons la partie visible des pertes et dégâts.
Comme d’habitude, l’aviation sioniste a fait ce en quoi elle s’est toujours surpassée, le massacre des populations et la dévastation de leurs habitations : 247 morts dont 66 enfants, 40 femmes, 15 vieillards, plus de mille blessés et d’énormes destructions dans le patrimoine urbain de Gaza. Moralement corrompus par le Talmud, la mort des goïs ne suscite en eux aucun état d’âme. Dans leurs communiqués militaires, on insiste sur l’anéantissement du potentiel militaire de la résistance, notamment bien des km de tunnels souterrains qu’ils appellent le métro du Hamas et du Jihad. Mais alors, comment expliquer que les missiles et les roquettes n’aient pas cessé de pleuvoir sur de nombreuses villes et sites de l’État hébreu? On reconnaît la mort de douze Israéliens dont deux enfants. Comment en est-on arrivé là ? Depuis que Donald Trump, faisant fi du droit et des résolutions internationales, a reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël, depuis que son gendre, le gamin Jared Kushner, a annoncé l’«Accord du siècle» visant à liquider la cause palestinienne, Netanyahu se mit à accélérer le processus de judaïsation d’El Qods: les élections législatives palestiniennes n’y sont pas autorisées, des familles maqdisites du quartier Sheikh Jarrah sont sommées de céder leurs maisons à des colons juifs, l’esplanade de la Mosquée El Aqsa, voire la mosquée elle-même, est investie, avec la complicité de la police, par des hordes d’extrémistes israélites, qui, régulièrement, harcèlent et molestent les fidèles. Trop, c’est trop !
Devant l’incurie de l’autorité palestinienne, le Hamas prend les affaires en main et réussit à fédérer tous les Palestiniens, y compris ceux de 48. La grève générale du vendredi 14 mai, en commémoration de la Nakba, toute la Palestine historique y participe. Le Président de l’État hébreu parlera de guerre civile. Sous la fenêtre de Mahmoud Abbas, le Tout Ramallah a bruyamment manifesté, trois jeunes tombent sous les tirs à balles réelles de la police sioniste. Ce sursaut national constitue la vraie victoire du Hamas et sa réconciliation avec Bachar El Assad. Tout le monde sait qu’à la prochaine déflagration, l’axe de la Résistance (Syrie-Hezbollah-Iran) sera encore plus présent dans la bataille.
Abou Mazen, constamment humilié par le Premier ministre israélien et par l’Administration américaine, voit les maîtres de Gaza lui couper l’herbe sous le pied. Il n’a jamais aimé le Hamas, qui l’agace au plus au point par son discours excessivement théologisé, son extrémisme irréductible, son obédience indéfectible au mouvement des Frères musulmans. Il en connaît surtout la genèse, il ne lui pardonnera jamais d’avoir, dans le sang, évincé le Fath de la bande de Gaza.
Témoignage de Chedli Klibi, ancien secrétaire de la Ligue arabe : «Il faut se rappeler, écrit-il, que le Hamas, à ses débuts, a bénéficié de l’indulgence des services secrets israéliens, qui voulaient affaiblir l’OLP. Des calculs analogues avaient été faits ailleurs, dans plusieurs endroits du globe, dont les intégristes ont largement profité. […] Jusqu’à maintenant, on n’a pas fini de récolter les tempêtes qui résultent de cette stratégie» (Chedli Klibi, Orient / Occident, la paix violente, p.43).
Le général Yitzhak Segev, ancien gouverneur militaire de Gaza (1973), confirme cette connivence : «Nous offrions un peu d’aide financière à certains groupes islamiques. Nous soutenions des mosquées et des écoles dans l’intention de développer une force de réaction contre les forces de gauche qui soutenaient l’OLP» (Cité par R. Labévière, Les dollars de la terreur, p. 219).
L’historien israélien Shlomo Sand entérine: «Dans les années 1970, Israël a encouragé les organisations musulmanes dans les territoires occupés et a même aidé à créer les premières structures du Hamas, avec l’objectif d’affaiblir le nationalisme laïque et la gauche palestinienne. Les résultats ont largement dépassé ses espérances ; la même chose vaut pour les Américains en Afghanistan» (Shlomo Sand, La fin de l’intellectuel français ?, p. 239). Le soutien logistique israélien à Daech et à Nosra en Syrie n’est un secret pour personne. Les colombes arabes ont vibré, le 13 septembre 1993, à la poignée de main entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, sur la pelouse de la Maison-Blanche, devant Bill Clinton. Nous nous sommes remis à espérer la paix. L’enthousiasme dura deux ans, un mois et vingt-deux jours. Le 4 novembre 1995, est organisée une manifestation à Tel-Aviv en faveur des accords d’Oslo, Rabin y prononce un grand discours dans lequel il dit souhaiter voir le gouvernement dont il est le chef «déployer tous les efforts possibles pour promouvoir et conclure enfin une paix globale. Avec la Syrie, même, nous parviendrons à conclure la paix». Il ajoute en guise de conclusion : «Ce rassemblement doit constituer un message transmis au peuple israélien, au peuple juif à travers le monde, aux nombreux peuples du monde arabe, et au monde entier : le peuple israélien aspire à la paix, affirme sa volonté de paix. Et pour tout cela, un immense merci à tous». Il est immédiatement démenti. À 21h30, Rabin se dirige vers sa voiture. Un jeune intégriste israélien, pur produit des écoles rabbiniques, lui tire dessus. Trois coups de feu retentissent. Deux d’entre eux atteignent leur cible. C’est à Benyamin Netanyahu que profite le crime. Pour lui aussi, Rabin brade la Terre Promise, il a cessé d’être juif. Israël est plus que jamais en danger de paix.
Dès l’accession de Sharon au pouvoir en Israël, la question était : aura-t-il assez de grandeur gaullienne pour conclure la paix ? La réponse ne se fit pas attendre. Faisant preuve d’un opportunisme éhonté, il n’a pas cessé, depuis le 11 septembre, d’appeler à combattre cet autre «Ben Laden» qu’est le « terroriste» Arafat, amalgame rabâché à satiété. Eût-on voulu revigorer l’intégrisme, perçu depuis lors comme l’unique force de résistance, qu’on ne se serait pas pris autrement. On aurait pu mettre cette fixation anti-palestinienne sur le compte de la dureté et de l’inculture du personnage, n’eût été l’appui inconditionnel de G. W. Bush. Mais le président américain perd le sens de la mesure et décide de se mêler de ce qu’il connaît le moins, la sémantique. Il s’échine à nous donner une définition du terrorisme, qui criminalise toute résistance aux forces d’occupation. Est terroriste celui qui désobéit aux diktats du plus fort.
Mahmoud Abbas n’a rien obtenu des négociations qu’il n’avait eu de cesse de mener avec Netanyahu. Il a certes réussi à faire reconnaître l’État de Palestine comme membre actif à l’Unesco et comme observateur à l’ONU. De même, la CPI a jugé recevable sa plainte contre Israël pour crime de guerre. Mais il n’a pu empêcher la puissance colonisatrice de faire de la Cisjordanie ce que l’ONG israélienne B’tselem appelle «un morceau de gruyère, où le fromage est offert aux Israéliens, et les trous aux Palestiniens ».
Que peut encore Mahmoud Abbas? Prenant appui sur la cohésion palestinienne retrouvée, et sur le fait que la cause palestinienne est remise sur le fil de l’actualité, il peut taper du poing sur la table et retourner la situation en faveur d’une solution négociée. La Cisjordanie est plus que jamais récupérable. Pour le reste, on consultera la Pythie et Zarqâ al-Yamama...
Abdelaziz Kacem