Libye: Dernière ligne droite
Fragile, risqué, mais guère impossible. Le processus politique pour la sortie de crise en Libye fixant au 24 décembre 2021 la tenue d’élections législatives s’efforce d’aboutir. Deux grands rendez-vous sont prévus au cours des toutes prochaines semaines. D’abord, la réunion ministérielle internationale, ce 23 juin, sur le modèle de la conférence de Berlin en janvier 2020, en vue de renforcer la coordination internationale et les mécanismes d’appui. Il s’agit de faire le point sur l’avancement des filières politiques, sécuritaires et institutionnelles pour s’assurer des progrès accomplis et baliser la voie aux séquences suivantes. Le second rendez-vous est celui du 1er juillet prochain, date butoir fixée pour la finalisation de la loi électorale et l’élaboration de la base constitutionnelle.
La loi électorale constitue une étape déterminante afin que la haute instance chargée des élections puisse mettre en place le dispositif approprié. A ce jour, le nombre des électeurs libyens est estimé à 3 millions, en tenant compte du registre électoral établi pour les récentes élections municipales. Jusque-là, 2.3 millions de cartes d’électeurs ont été produites. Le budget de l’instance a été voté fin mai par le parlement.
La base constitutionnelle est fondamentale. Si les élections du 24 décembre prochain portent uniquement sur le choix des députés à la future Assemblée nationale, elles reposent également sur un ensemble de dispositions clés devant servir de base à la nouvelle constitution. Un avant-projet est âprement débattu depuis fin avril. Parmi les points de divergence, le mode d’élection du président de la République par le parlement ou directement au suffrage universel. Ou encore l’éligibilité des binationaux à la présidence de la République ainsi qu’à des portefeuilles gouvernementaux. Mais aussi la parité hommes / femmes, avec un quota minimum de 30% au moins pour les femmes.
23 juin 2021
• Conférence ministérielle de suivi et de soutien (sur le modèle de Berlin)
1er juillet 2021
• Finalisation de la loi électorale
• Eléments fondamentaux de la nouvelle constitution
23 décembre 2021
• Elections législatives
En fait, les questions essentielles à résoudre sont encore plus profondes, liées à la sécurité, à la réconciliation nationale, à l’impunité, à la justice transitionnelle, au tribalisme, et autres. Pas moins de quinze partis politiques constitués et une galaxie de composantes de la société civile libyenne s’activent pour mettre en débat des questions cruciales, sur fond de précampagne électorale.
La situation sécuritaire reste préoccupante. Certes, de grands progrès ont été accomplis pour faire respecter le cessez-le-feu, mais de nombreuses questions restent en suspens. La plus importante est sans doute le retrait des forces militaires et des combattants étrangers, turcs, russes, arabes et africains. Des sources proches de l’ONU estiment leur nombre à près de 20 000 hommes. Dans son briefing au Conseil de sécurité, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour la Libye, Jan Kubis, a réitéré le 21 mai dernier la nécessité d’un retrait équilibré et continu de ces forces étrangères. Il a également rappelé l’impératif de cesser tout envoi d’armement en Libye. La question des milices libyennes reste elle aussi posée. Comment les désarmer et les dissoudre ? Certaines, en plus, détiennent des prisons illégales où sont entassés dans des conditions absolument inhumaines et au secret des milliers de Libyens et d’étrangers.
Devant la férocité des affrontements armés, des centaines de milliers de familles libyennes ont dû abandonner leurs maisons pour aller se réfugier chez des parents dans d’autres régions, voire à l’étranger, notamment en Tunisie ou en Egypte. Les déplacés à l’intérieur du pays seraient au nombre de 275 000, estime l’ONU. Ils posent de vrais problèmes qui attendent une solution urgente.
La migration clandestine pèse de son côté de tout son poids sur la Libye. Pas moins de 575 000 migrants, selon l’ONU, en provenance de 41 pays, essentiellement de pays subsahariens, vivent dans des conditions très difficiles. Parmi ceux qui sont tentés par la traversée de la Méditerranée, 500 ont péri en mer au cours des derniers premiers mois de cette année, alors que 9 135 ont été interceptés et ramenés.
Un parlement librement et démocratiquement élu le 24 décembre 2021 pourrait-il s’attaquer efficacement à tant de priorités brûlantes et stabiliser le pays ? De nombreux Libyens y croient fortement. Eprouvés par tant d’affrontements politiques et armés, ils aspirent au retour de la sécurité et d’un minimum de concorde afin que le pays puisse se redresser. Le chemin à parcourir est certes encore long et difficile. Mais, ils ne cessent de réitérer leur détermination à s’y engager. Il faut dire que de nombreuses puissances occidentales, notamment européennes, avec les Etats-Unis et des pays voisins de la Libye, y apportent un soutien substantiel. Rome, Paris, Berlin et Washington notamment, mais aussi Alger et Le Caire, essayent de trouver avec Moscou, Ankara, Doha et Abu Dhabi des leviers communs pour sortir le pays de son enlisement. Jadis au cœur du processus de sortie de crise, avec l’Algérie et l’Egypte, sous l’impulsion du président Béji Caïd Essebsi, la Tunisie a perdu la main sur le dossier libyen. BCE, qui avait discrètement arrangé à Tunis de multiples rencontres avec les différentes parties libyennes et facilité leurs échanges, avait nettement tracé les principes. Il avait préconisé une solution interlibyenne (sans interférence extérieure), politique (et non militaire), et sous l’égide des Nations unies.
Pour certains, les enjeux géostratégiques, mais aussi économiques, énergétiques et de reconstruction l’emportent ouvertement. Le pays reste convoité pour ses ressources pétrolières et gazières, le marché qu’il peut offrir à des produits alimentaires et industriels ainsi qu’aux travaux de BTP et autres.
Au carrefour des intérêts et des enjeux régionaux et internationaux, la Libye cherche résolument le bout du tunnel. Attendre l’aboutissement des débats politiques en vue d’un consensus large risque de se prolonger. Forcer des élections législatives sans un minimum d’entente rendra fragile le processus engagé et favorisera de grandes surprises quant aux futurs élus. Pour les Etats-Unis et leurs alliés, il faut aller droit au but aux élections du 24 décembre 2021... tout en pavant au mieux la voie.
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