La bioéthique face aux croyances et aux cultures : Souci d’universalité ou prétention d’universalité
Par Pr. Mohamed Salah Ben Ammar. Ancien vice-président du Comité International de Bioéthique de l'UNESCO
“ Tout ce qui s’élève converge“. Theillard de Chardin
L’universalité est la particularité des humains. Tout le monde meurt, tous les humains sont astreints à la souffrance. Ils rient et pleurent tous, certes pas pour les mêmes raisons, mais le font tous. Tout le monde croit, tout le monde a une religion et même, les primitifs, l’agnostique le plus pur, l’athée le plus résolu croit en l’existence d’une transcendance.
Certes l’humanité ne s’est pas développée au même rythme sur les différents continents, mais les valeurs qui ont mis tant de temps (13 000 ans au moins) à se construire, ne peuvent qu’être respectées. Par ailleurs qu’on l’accepte ou non toutes les sociétés sont aujourd’hui confrontées aux mêmes types de problèmes de santé, équité d’accès aux soins, avortements, procréation médicalement assistée, de transplantation d’organes…et même si l’acuité de certains problèmes varie d’une région à une autre ou d’un moment à un autre de l’histoire des peuples, elle reste réelle partout.
Plus généralement, l’éthique établit sa légitimité sur le fait que toutes les sociétés ont une conscience du bien et du mal. Mais, les notions de bon et de mauvais renvoient aux valeurs des sociétés et induisent des codes de conduites différents selon les groupes et qui sont à l’origine de tensions en raison de la diversité des opinions religieuses et politiques.
Dés lors quelle serait la signification de l’appartenance à toute la communauté humaine ?
Les humains partagent une universalité et des particularités mais autant les particularités sont respectables, autant elles ne peuvent et ne doivent pas s’ériger en universalité et parallèlement l’universalité de valeurs essentielles n’aura de sens que si elles ont fait l’objet d’un processus d’appropriation local.
“Entre l’universalisme abstrait et le relativisme démagogique… il y a une troisième voie “ Didier Sicard. Il ajoute, “il y a un consensus universel, sur l’abord de l’humain débarrassé de toute certitude. Et si l’on ne ressent pas le sentiment du manque, on ne peut pas rencontrer l’autre. “ Éprouver le sentiment du manque, nous fait rencontrer l’autre. L’écoute des autres cultures est un enrichissement car la différence culturelle au mérite de révéler au grand jour ce qui reste enfui au sein sa propre culture.
Pour Françoise Héritier, la reconnaissance de l’existence universelle de valeurs morales pose la question du relativisme culturel et nous oblige à distinguer:
• Les règles morales (honnêteté, courage, etc.)
• Des règles sociales (modes de vie, codes de politesse et de bienséance, etc.) qui relèvent de logiques de convention.
Cette distinction est importante puisque d’aucuns considèrent comme universelles les règles morales et comme relatives les règles de convention, celles qui organisent les rapports sociaux [JP Changeux, 1997]. Nous y reviendrons plus loin.
Les hommes et femmes sont des êtres socialisés (produits de tradition et mœurs) et de vérités multiples, des particularismes régionaux, nationaux et religieux, qui nient toute possibilité d’universalité : la vérité est multiple.
Mais “les droits de l'homme sont universels, le commun des droits de l'homme doit les traiter différemment, l'universel est toujours pensé à l'intérieur d’une communauté particulière“ (Vienne 2003).
Pour clore cette première partie on peut réaffirmer que l’éthique dont : la “visée“ et une vie accomplie ou bonne dans des institutions justes, doit aujourd’hui plus que jamais prétendre à un fondement et une visée universelle et par-delà jouer un rôle normatif à l’échelle locale et internationale dans:
• La construction d’un cadre de référence pour réguler et orienter la gouvernance du savoir technologique et scientifique,
• Et permettre une clarification sociale des alternatives éthiques.
(À suivre)
Mohamed Salah Ben Ammar
Ancien vice-président du Comité International de Bioéthique de l'UNESCO
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