Migration: Ce qu’il faut demander à l’Europe, ce qu’il faut accorder aux migrants en Tunisie
Exiger de l’Europe le droit au regroupement familial, un programme annuel de régularisation des sans-papiers, un quota significatif de nouvelles cartes de séjour et de travail et une prime au recrutement de compétences spécialisées, s’impose désormais aux autorités tunisiennes. Se contenter de ronronner dans la vieille rhétorique de traque aux organisateurs de traversées clandestines et la pourchasse des bateaux de la mort, moyennant de maigres euros au titre de contribution au développement, est plus qu’une erreur stratégique, une impuissance politique, estiment de nombreux analystes.
Une tragédie inhumaine hallucinante
Regardons la réalité en face. Ce ne sont plus uniquement des jeunes qui se jettent à l’eau, au péril de leur vie, pour atteindre les rivages italiens. Ce sont désormais des familles entières qui s’y risquent. Il s’agit de Tunisiens, d’Arabes et d’Africains subsahariens, tous compagnons d’infortune dans cette aventure sans garantie, ayant pourtant payé le prix cher à leurs négriers qui les livrent à leur sort en pleine mort. Le nombre de migrants parqués dans des camps aux conditions très difficiles s’ajoute à celui des cadavres repêchés en mer ou retrouvés sur les plages, dans une tragédie inhumaine hallucinante.
A zéro frais, l’Europe draine nos compétences
Ceux qui sont pourchassés, refoulés, extradés sont les indésirables. Il y a les autres. Ceux que l’Europe draine, par besoin urgent et intérêt national. Déficit démographique, forte demande dans certains secteurs et certaines spécialités, impératif à peine avoué : l’Europe puise généreusement dans le vivier du Sud, notamment nord-africain. Bienvenue alors aux médecins, techniciens supérieurs, ingénieurs, informaticiens, juristes et autres financiers.
Par centaines, par milliers, chaque année, ils quittent la Tunisie pour s’installer en France surtout, mais aussi dans d’autres pays. Combien ont-ils coûté à la Tunisie, depuis leur naissance, pour leur santé, leur éducation, leur formation et leur perfectionnement dans leurs postes d’origine ? La facture est lourde, entièrement supportée par le contribuable, au détriment d’autres urgences, aussi vitales. Combien ont-ils coûté à leur pays d’accueil ? Même pas le prix du billet d’avion. Quel vide laissent-ils en Tunisie ? Combien de temps va-t-il falloir attendre pour préparer la génération de relève et avec quels montants de dépenses publiques et familiales ? Et qui paiera ? Les questions attendent réponse.
Si la décision de départ relève du droit inaliénable de chaque Tunisien, le pays d’accueil doit reverser à son pays d’origine un montant à convenir, au titre de contribution aux frais de sa formation. Il est inéquitable que des pays attractifs jouissent pleinement de ressources humaines qualifiées sans mettre la main à la poche. A ce rythme-là et cette même logique, les pays d’origine se trouvent doublement pénalisés : former à l’export et se priver des meilleurs.
Regarder l’Europe, les yeux dans les yeux
Il est grand temps d’interpeller l’Europe sur tant de questions cruciales de migration «voulue et nécessaire» mais aussi les autres. Refuser le droit au regroupement familial, ou laisser des milliers Tunisiens résider en Europe sans papiers ne sauraient être conformes à un traitement humain acceptable. Mettre la pression sur la Tunisie pour accepter leur retour de migrants tunisiens, mais aussi de ressortissants parfaitement en règle, ayant cependant purgé une peine de prison, n’est ni à la hauteur des relations d’amitié et de bon voisinage, ni tolérable. Rien n’autorise l’Europe, même si elle est en proie à une dangereuse montée en puissance de l’extrême droite, encore plus à l’orée de nombreuses élections, ici et là, à soumettre la Tunisie à pareille exigence, sans cesse réitérée avec insistance.
Sans la moindre hésitation, la Tunisie a ouvert, dès début 2011, ses portes et ses maisons et à plus d’un million et demi de voisins libyens, fuyant le chaos. Sans s’en plaindre aussi, elle subit son lot de migrants subsahariens qui affluent notamment à partir de la Libye. Non-identifiés pour la plupart, ils ne sauraient être refoulés à l’extérieur, leur pays d’origine n’étant pas connu.
Et, d’un autre côté, sachons accueillir des migrants sur notre sol
Toujours dans ce regard en face de la réalité, la Tunisie doit élaborer sa vision et son plan d’action pour l’accueil sur son territoire de ressortissants étrangers, pour des séjours de longues périodes. Étudiants, patients ou simples «migrants économiques» et leurs familles ne sauraient être livrés à leur propre sort, n’obtenant ni carte de séjour, pour les uns, ni permis de travail pour les autres. Une doctrine est à forger, édicter et mettre en œuvre, en la matière. Des accords consulaires, avec réciprocité, sont à négocier et signer. Des droits, notamment du travail et de la protection sociale sont à garantir. Et un dispositif d’accueil des migrants est à activer.
Si le gouvernement hésite à sauter le pas, il appartient à la société civile de s’emparer de ce dossier, global, et de porter sa cause. Nous sommes tous des migrants, parents de migrants, et devant accueillir des migrants.