Tunisie: Peut-on encore sauver la révolution ?
Par Hédi Béhi - Au terme de ces dix ans, l’heure est au bilan pour la révolution. Des questions s’imposent : dans quelle mesure a-t-elle changé la vie des Tunisiens. Qu’est-ce qu’il lui a manqué pour réussir, le jeu en valait-il la chandelle ?
Que de souvenirs, que d’images ont émaillé ce parcours erratique que fut celui de la révolution depuis un certain 14 janvier 2011 pour conquérir cette liberté si chérie qui nous manquait terriblement sous les précédents régimes. Des images et des souvenirs défilent sous nos yeux qui nous renvoient pêle-mêle à des pans entiers de notre vie. Il n’est pas sans intérêt d’en rappeler les temps forts ; la chute du dictateur, les sit-in de Kasbah 1 et 2, la passation du pouvoir dans le respect des dispositions de la constitution, l’hommage appuyé du Congrès américain à la révolution tunisienne, le puissant élan de sympathie et de soutien à notre pays, l’initiateur inattendu du printemps arabe, l’invitation du président Caïd Essebsi au Sommet du G8 à Deauville et enfin les dithyrambes dont on a été abreuvés pendant des années au point de nous déréaliser. On avait même cru, à un certain moment, que nous venions de changer le face du monde.
Que d’énergie dépensée, que d’évènements survenus pour accéder au saint des saints, le club très fermé des démocraties. D’emblée, les choses se présentaient sous les meilleurs auspices. Toutes les fées s’étaient penchées sur le berceau de la révolution. On était chouchoutés par les Européens, les Américains. Nos voisins nous enviait. Partout dans le monde, on nous prenait en exemples. Mais très vite, les querelles de chapelle où nos politiciens se complaisaient allaient nous détourner de ses vraies raisons, ce pour lesquelles les Tunisiens se sont soulevés : la dignité, l'emploi, les conditions de vie. La démocratie arrivait au dernier rang. Ce sera le péché originel de cette révolution. Lors d’un talk-show diffusé aux premiers jours de la révolution, un politicien chevronné s’est fait apostropher par un jeune : «Arrêtez de parler de politique, il y a d’autres sujets plus importants, comme l’économie». Réponse du politicien : «Parlons d’abord de la politique, le tour de l’économie viendra plus tard». Il n’est jamais venu.
Cette révolution aura été le révélateur du hiatus entre le pays légal et le pays réel, entre la classe politique et le peuple. Alors que la première était obnubilée par les grands principes, la liberté d'expression, les droits humains, le second est obsédé par les problèmes de survie, tout simplement par instinct de conservation. Faute de s’y intéresser, la révolution russe en était morte alors qu'elle était à son apogée. Lorsque dans les années 80, Gorbatchev avait essayé d’améliorer les conditions de vie, de remédier aux problèmes de ravitaillement récurrents, la cherté de la vie, il était trop tard. La seconde puissance mondiale s’est écroulée comme un château de cartes. George Bush Sr avait centré sa campagne électorale sur ses succès diplomatiques qui n’intéressaient personne. Mal lui en a pris. Il perdra les élections pour n’avoir pas parlé de la situation économique où pourtant il avait enregistré des succès, d’où le fameux reproche de son conseiller qui est passé à la postérité : «It’s the economy, stupid».
Il importe aujourd’hui de rectifier le tir, de sauver cette révolution pour s’être fourvoyée dans les méandres de la politique politicienne, de lui donner du contenu en répondant aux attentes des citoyens, les vraies, la lutte contre la vie chère, tout en se gardant de jeter le bébé avec l’eau du bain, en essayant de sauver ce qui peut l’être. Car cette révolution a des acquis, même s'ils sont en deçà des attentes.
Hédi Béhi