Les brevets sur les vaccins : 57 ans pour vacciner le monde entier !
Par Mohamed Larbi Bouguerra - Ce dimanche 11 juillet 2021 restera dans l’Histoire comme le jour où la démesure et l’orgueil d’un être humain, le britannique Richard Branson, milliardaire de son état, ont atteint des sommets. Alors que le genre humain subit l’assaut d’une pandémie catastrophique et que des phénomènes climatiques sans précédent ravagent bien des pays, Branson a dépensé une fortune pour atteindre l’altitude de 80 km, considérée comme la frontière de l’espace, et inauguré le tourisme spatial avant ses très riches concurrents et savouré trois minutes sans gravité.
Des milliardaires dans l’espace
Mais il n’y a pas que Branson ! Un super riche anonyme a payé 28 millions de dollars (!!) une place mise aux enchères pour accompagner Jeff Bezos et son frère dans le premier vol touristique spatial de la société Blue Origin le 20 juillet 2021.
Comment parler du climat quand la fusée de Virgin Galactic de Branson répand dans la haute atmosphère - jamais perturbée par le vent - les tonnes de particules de son carburant solide ? Le New York Times se lamentait le 17 juillet 2021 face aux inondations cataclysmiques qui ont frappé l’Allemagne (165 morts et des centaines de disparus dans l’économie la plus puissante d’Europe) la Belgique, l’Autriche et la Suisse : «Personne n’est en sécurité. Les conditions météorologiques extrêmes s’abattent sur les pays riches.»
Comment parler de faim dans le monde quand une fortune est dépensée pour satisfaire les rêves d’enfant d’un seul homme et que cette même faim tue au Yémen, au Sud Soudan, à Madagascar et ailleurs et que les agronomes nous prédisent des réductions de la production agricole du fait du changement climatique ?
Combien de vaccins anti-Covid auraient pu avoir les pauvres dans le monde avec cette somme de 28 millions de dollars pour un siège spatial et la fortune dépensée par Bezos et Branson dans cette course à l’espace ?
Mais, il n’y a pas que les pauvres du Sud. Le grand diplomate algérien Lakhdar Brahimi note dans Le Monde (11 janvier 2021, p. 19), expliquant ainsi les fortunes obscènes de Bezos et Branson par exemple, pour lesquels l’accumulation illimitée du capital est le but suprême dans la vie : «Dans les pays occidentaux, les inégalités de classe sont devenues excessives. Les Etats Unis sont le seul pays où les 50% les moins riches n’ont cessé de s’appauvrir ces trente dernières années. Ce monde-là dominé par l’ultra-capitalisme ne peut pas fonctionner.»
Brevets Sur Les Vaccins Et Les Medicaments
Le chimiste Louis Pasteur n’a jamais empoché un sou pour sa découverte du vaccin antirabique. Il en est de même pour le Dr Alexander Fleming qui découvrit la pénicilline en 1928, un héros de la Science et de la médecine à l’origine des antibiotiques. Ce qui n’empêcha pas Pfizer et d’autres d’accumuler de gigantesques fortunes après-guerre grâce à l’instauration des brevets sur les médicaments et la propriété intellectuelle. C’est qu’a été installé le sacro-saint secret des affaires si cher à Big Pharma et qui a conduit à des drames comme celui du Médiator de Servier en France. Pourtant, le vaccin anti-Covid d’Astra Zeneca développé à l’Université d’Oxford a bénéficié de 99% de fonds publics. Ce laboratoire est le seul cependant qui a décidé de ne pas faire de bénéfices sur les vaccins en les vendant à prix coûtant soit 2,50 € X 2.
Depuis 2019, l’OMS a adopté une résolution visant la transparence sur les coûts et les prix des médicaments.
M. Macron et Mme Ursula van der Leyen, lyriques, ont affirmé vouloir «promouvoir le vaccin comme un bien public mondial» afin de permettre un «accès, pour les pays à revenus faibles ou intermédiaires, aux vaccins en quantités suffisantes et à des prix bas.» Mais dans la rédaction des contrats avec les géants pharmaceutiques pratiquement rien de ces intentions n’a été concrétisé. La députée européenne finlandaise Silvia Modig relève: «Au début de la pandémie, les dirigeants européens ont promis que les vaccins Covid-19 seraient un bien public. Pourtant notre étude [du Groupe de la Gauche au Parlement Européen sur les lamentables tractations de la Commission avec les producteurs de vaccins] montre que ces accords signés par la Commission n’exigent pas des entreprises pharmaceutiques qu’elles partagent leur savoir-faire, leurs données ou leur technologie dans l’intérêt du public. Ces actifs restent entre les mains des entreprises.» Dans les faits, les grandes puissances se sont approprié l’écrasante majorité des premiers stocks disponibles : dès l’automne 2020, elles détenaient déjà virtuellement, via leurs commandes, près de 6 milliards de doses. Avec la multiplication des variants, les inégalités vont perdurer et même s’amplifier, prévoit l’Humanité (15 juillet 2021, p. 4-5). L’Inde et l’Afrique du Sud demandent une levée provisoire des brevets à l’OMS.
A souligner : ils sont épaulés par les Etats Unis de Joe Biden mais l’Union Européenne bloque des quatre fers et s’ingénie à retarder toute discussion sur ce sujet. Lors de sa visite d’adieu au Président Biden à Washington, Angela Merkel, la chancelière allemande, opposée à toute dérogation sur la propriété intellectuelle, a été accueillie par des manifestants et neuf députés démocrates lui demandant de cesser cette obstruction qui coûte si cher aux pays du Sud notamment. Mme Merkel, physico-chimiste de formation en Allemagne de l’Est connaît parfaitement les aspects négatifs de ces droits, elle qui a, en outre, soutenu une deuxième thèse en 1986 ayant pour sujet : «Qu’est-ce que le mode de vie socialiste?».
Résultat: Dans les pays riches, 86 doses ont été injectées pour 100 habitants alors que dans les 29 pays les plus pauvres, ce rapport chute à une unique injection pour 100 habitants. Ainsi, en Tunisie, 5% de la population a été vacciné. Pour les membres de la coalition internationale «The People’s Vaccine», la situation est scandaleuse et intenable : «C’est proprement dégoûtant, s’insurge Nick Darden, de l’ONG anglaise Global Justice: «Sur la tendance actuelle, il faudrait en réalité 57 ans pour vacciner le monde entier !» Pour Fatima Hassan, sa collègue sud-africaine: «C’est une crise de la distribution des vaccins, mais également une crise politique des gouvernements les plus riches.» Mais Anna Marriott, porte-parole d’Oxfam, pose et le bon diagnostic et la bonne question: «Les pays riches ont été si faibles face aux entreprises pharmaceutiques. Pourquoi ne se sont-ils pas mis ensemble juste pour négocier une réduction du prix des vaccins?» Les lobbys et les hommes politiques corrompus seraient probablement à la manœuvre.
Le mahatma Gandhi enseignait : «Le monde contient bien assez pour les besoins de chacun, mais pas assez pour la cupidité de tous.»
Mohamed Larbi Bouguerra