Tunisie: Quel retour sur investissement dans les instances constitutionnelles indépendantes pour la gouvernance et pour la nation ?
Par Riadh Zghal - Aujourd’hui que les défaillances de la gouvernance économique du pays obligent le gouvernement à négocier un crédit —encore un— auprès du FMI et autres bailleurs de fonds et que ces bailleurs continuent à exiger des réformes permettant d’alléger le coût de fonctionnement de l’Etat, l’on peut s’interroger sur certains coûts autres que celui de la fonction publique. Parmi ces coûts, il y a celui que représentent les instances dites indépendants et constitutionnelles.
En effet, outre la Cour constitutionnelle qui n’a pas encore vu le jour, cinq instances indépendantes ont été prévues par le titre six de la constitution de 2014. Cela s’inscrit, a priori, dans un souci d’instituer un système qui protège contre l’autoritarisme du pouvoir exécutif. Ces structures ont, en principe, pour mission de contrôler les déviations éventuelles en matière de scrutin, de communication audiovisuelle, de droits de l’homme, de développement durable, de droit des générations futures et de gouvernance si exposée à la corruption.
Seulement si ces instances bénéficient institutionnellement d’une autonomie administrative et financière, leur indépendance pose question. Elles sont doublement dépendantes du parlement dans leur constitution et leur performances et donc, du ou des partis dominants. C’est le parlement qui élit leurs membres constitutifs et c’est à lui qu’elles rendent compte de leurs activités. En revanche, elles sont financées par le contribuable et devraient être redevables devant lui d’abord.
Toutefois, l’indépendance de ces instances n’est pas à l’abri des intrusions des pouvoirs en place. En témoigne cette levée de boucliers par trois présidents d’instances lorsque le parlement, sous prétexte d’instituer un cadre juridique commun, a adopté le 5 juillet 2017 par la majorité de ses membres un projet de loi organique relatif au code des instances constitutionnelles indépendantes. Le projet de loi prévoit que ces dernières soient soumises au contrôle du Parlement qui peut révoquer un membre, voire l’ensemble du conseil d’une instance avec l’accord des 2/3 des députés. Puis 30 députés, contestant plusieurs articles du projet de loi, ont déposé un recours à l’Instance provisoire du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi (Ipccpl). Des présidents d’instances ont vu dans cette loi une menace pour leur autonomie dans l’exercice de leur activité et un révélateur des tactiques des partis qui soutiennent le gouvernement en vue de les contrôler, en plus de les inclure dans leurs conflits partisans.
Un autre évènement a soulevé la colère des présidents des instances dites indépendantes. C’était la décision du président du gouvernement de limoger le chef de l’Instance Indépendante de la gouvernance et de la lutte contre la corruption. Sept d’entre eux ont menacé de démissionner, jugeant une telle décision illégale, car contraire au décret 120 de 2011 qui stipule que le mandat du président de l’instance dure 6 années consécutives non renouvelables.
Tout cela reflète des tentatives des pouvoirs législatif et exécutif de neutraliser l’indépendance d’instances conçues pour empêcher justement l’intrusion de ces pouvoirs dans leur gestion et leurs décisions. Or de nombreuses failles le permettent et affectent la performance de ces instances. C’est ce que révèle l’étude réalisée en 2017 par deux auteurs qui se sont frottés, voire ont exercé au sein de telles instances.
Au-delà des querelles de palais, ce qui intéresse le citoyen lambda, c’est justement la performance de ces instances et le retour sur investissement dont elles bénéficient. En quoi ont-elles servi aussi bien en ce qui concerne l’avancement du processus démocratique dont des élections, libres, justes et transparentes, le chemin parcouru en matière de lutte contre la corruption, de bonne gouvernance, de respect des droits de l’homme et de la sauvegarde de celui des générations futures grâce à un développement durable respectueux de la nature ? C’est à ce sujet que le citoyen est le moins informé. Alors il s’interroge sur l’intérêt de l’existence de telles instances.
Il est encouragé dans son scepticisme lorsque, épisodiquement, des informations «fuitées», généralement sans preuves à l’appui, dénoncent des pratiques frauduleuses de financement des campagnes électorales, l’existence de lobbies qui contrôlent et l’économie et les institutions politiques et administratives. Le coup de fouet est donné à ce scepticisme ambiant, sur fond de défiance généralisée, par les discours multipliés du Président de la République qui ne rate pas une occasion pour crier sa colère contre des voleurs et des corrompus jamais désignés par leurs noms, qui refuse de recevoir des ministres accrédités par le parlement comme le stipule la constitution, qui refuse de signer des lois votées, qui refuse de dialoguer pour sortir le pays de ses crises pluridimensionnelles, invoquant sans cesse sa pureté d’âme qui le maintient loin des «corrompus»!
Face à cette impasse, peut-on alors compter sur les instances indépendantes pour mettre les choses au clair, contribuer un tant soit peu à la sortie de crise, donner la preuve de leur utilité ? Sinon faut-il attendre un audit honnête pour apprécier ce que la nation aurait pu retirer de l’investissement que lui a coûté l’institution de telles structures ?
Riadh Zghal