Tunisie: Pour une réhabilitation des « intrapreneurs » publics en temps de crise
Par Karim Saïd - La gestion chaotique de la campagne de vaccination massive organisée lors des fêtes de l’Aïd révèle, s’il en était besoin, le déficit chronique de savoir-faire managérial dans le secteur public oh combien indispensable dans la gestion des crises. Les intentions du décideur «politique» sont bien évidemment louables et visent à rattraper les ratés d’une stratégie de vaccination qui ne sont pas exclusivement dus à un manque de réactivité. Pour autant, force est de constater que les implications organisationnelle et logistique de cette décision n’ont pas été bien calibrées.
Dans ce contexte, nous avons grand besoin aujourd’hui d’intrapreneurs dans le secteur public qui ne se limitent pas aux décisionnaires «politiques» mais qui s’ouvrent également aux managers intermédiaires. Ces derniers doivent se charger de reconfigurer et recombiner les ressources humaines, technologiques, financières et organisationnelles qu’ils sont censés gérer pour les mettre au service de la performance globale de leur institution.
La responsabilisation des niveaux intermédiaires est essentielle car c’est à ce niveau que l’on peut agir le plus efficacement possible en s’émancipant des contraintes bureaucratiques pour développer la confiance et l’apprentissage et ainsi favoriser l’innovation locale. Cette «déviance positive» des acteurs de terrain pourra être mise au service de ce que Norbert Alter appelle l’innovation ordinaire. Celle-ci renvoie à des adaptations voire à des transgressions «positives» (Babeau et Chanlat 2011) justifiées dans un contexte de forte inertie organisationnelle.
Il s’agit de faire preuve d’une capacité à gérer simultanément des problèmes complexes en étant capable d’associer l’ensemble des parties prenantes impliquées sans s’enfermer dans des solutions bureaucratiques inscrites dans un cadre figé. L’intrapreneur prend des risques et démontre sa capacité à négocier avec toutes les catégories d’acteurs susceptibles d’être concernées par les décisions qu’il compte prendre. Il s’assure, en outre, d’avoir des relais légitimes et compétents à tous les niveaux de l’organisation pour faciliter la mise en œuvre opérationnelle de ses choix stratégiques. Il ne faut pas avoir peur de réajuster sa démarche en tenant compte des flux informationnels issus de la base et qui peuvent contribuer à améliorer son efficacité sur le terrain.
En donnant du sens et de la cohérence aux décisions prises, l’intrapreneur s’assurera des conditions de réussite de son action et pourra ainsi la légitimer auprès de ses parties prenantes. Aussi la prise de décision publique ne doit-elle plus se focaliser exclusivement sur le résultat escompté mais doit également intégrer l’architecture et les process organisationnels adéquats pour l’atteindre. En cantonnant les niveaux hiérarchiques intermédiaires à un rôle passif, on se prive de leur capacité à fluidifier la mise en œuvre des décisions prises.
L'étendue des défaillances et lacunes constatées ces derniers mois dans la gestion de certains dossiers stratégiques s’est malheureusement accompagnée d'un plus grand cloisonnement entre les différentes administrations publiques, que le déficit de management rend saillant. Confrontée à des problèmes de coordination et de contrôle intimement associés à des dysfonctionnements organisationnels, l’administration publique tunisienne doit faire sa mue. Celle-ci regorge de compétences humaines dotées de capacités managériales et entrepreneuriales qui ne demandent qu’à être soutenues et encouragées dans leurs initiatives. Donnons-leur les moyens de mettre leur savoir-faire et leur expertise au service d’une ambition collective !
Karim Saïd
Professeur Universitaire et consultant en stratégie