Sublime exposition -Divas- à l’institut du monde arabe à Paris
Par Mohamed Larbi Bouguerra - Ah ! Quel bonheur ! Les voix sublimes d’Oum Kalthoum, de Fayrouz, d’Asmahan, de Warda… nous accueillent. Nostalgie ? Nostalgie peut-être mais plongée garantie dans le tarab, à deux doigts de la Seine!
L’IMA consacre en effet une belle exposition aux plus grandes artistes de la musique et du cinéma arabes de 1920 à 1970 et ce jusqu’au 26 septembre.
Dans cette exposition, le visiteur, ravi, découvre la vie et l’œuvre des plus importantes chanteuses et actrices du monde arabe. Mounira -al- Mahdiyya (1885-1965), Badia Massabni (1892-1974), Oum Kalthoum, Asmahan, Fayrouz, Warda, Tahyyia Carioca, Samia Gamal, Leïla Mourad, Sabah, Souad Hosni, Faten Hamama, Hind Rostom, mises à l’honneur, sont là et tendent les bras au visiteur ébloui. Les photos, les disques, les enregistrements, les robes viennent de Beyrouth, du Caire et d’Alger. Parmi les pièces les plus émouvantes de cette exposition figurent des objets personnels de Warda et de Hind Rostom, les plus belles robes de Sabah, les célèbres lunettes noires et quelques tenues de scène d’Oum Kalthoum, la coiffeuse de Leïla Mourad, un salon littéraire cairote, reconstruit comme du temps de l’éconoiste Talaat Harb et des photos jamais montrées des débuts de Dalida, née au Caire en 1933.
Alors que la scène artistique au XIXème siècle était essentiellement accaparée par les hommes, à partir des années 1920, les femmes sont de plus en plus présentes, nombreuses et respectées. Pionnières de cette émancipation, Houda Chaaraoui et Céza Nabaraoui seront les premières femmes à abandonner le voile après avoir fondé l’Union féministe égyptienne en 1923.
La légendaire Mounira -al-Mahdiyya - surnommée la «Sultane du tarab» -, sera la première chanteuse musulmane et égyptienne à enregistrer et à se produire sur une scène de théâtre au début des années 1910. Avant Oum Kalthoum, «l’Astre de l’Orient», elle est considérée comme la reine du tarab (extase musicale). Elle ose défier en 1923 le patriarcat et chante ces audacieuses paroles: «Moi, quand quelqu’un me plaît, je me fiche bien de Papa.» Quant à la danseuse, actrice et femme d’affaires Badia Massabni, en ouvrant sa «Sala Badia, [un cabaret] elle incarne la révolution qui se joue dans les rues du Caire où se multiplient alors les cabarets, les salles de concert et les music-halls» (Lire «Divas : les voix et les visages du monde arabe» de Hanna Boghanim et Elodie Bouffard) dont un pâle reflet végète aujourd’hui sur le chaotique Charaa -al- Ahram. Célébrée alors dans tout le monde arabe, Badia Massabni chantera en Tunisie au début de l’année 1933 (Lire la revue Al Kawakib du 6 mars 1933) et bien des années après, ces chansons s’entendaient encore chez nous dans les cafés, la radio et lors des traditionnelles awadas de mariage et de circoncision.
Avant Oum Kalthoum, ces artistes ont accompagné la Nahda intellectuelle qui se manifestait au Caire et ailleurs et s’inspirait des intellectuels arabes de New York et d’Amérique du Sud. Elles sont nombreuses à chercher la voie de l’émancipation. Dans le même temps, des revues sont publiées et les productions cinématographiques se multiplient.
C’était «une période où tout était possible, où les femmes et leurs corps prenaient de la place grâce à un mouvement féministe puissant au Caire» écrit Elodie Bouffard, commissaire de l’exposition «Divas» avec Hanna Boghanim.
Des héroïnes de la cause nationaliste
Ces femmes incarnaient la cause nationaliste alors que l’empire ottoman était dépecé par les puissances colonialistes. Elles personnifiaient un monde arabe uni de l ‘Atlantique au Moyen-Orient et que tenait le ciment de la langue arabe. Badia Massabni était libano-syro-égyptienne, Asmahan (1917-1944) était princesse druze et syro-libanaise, sœur de Farid Latrache et résidait au Caire où elle essayait de faire de l’ombre à Oum Kalthoum, Warda était algérienne formée dans le cabaret parisien de son père le TAM TAM (pour Tunisie, Algérie, Maroc) en plein Quartier Latin. Cet établissement sera fermé en 1956 et l’artiste expulsée à Beyrouth, la police française soupçonnant son père de fournir des armes aux moujahidines algériens. Le FLN n’hésitera pas à l’engager… et on lui octroiera, à l’indépendance, un passeport diplomatique en reconnaissance de ses gros dons financiers à la cause algérienne. Sa carrière a connu une longue éclipse, son mari s’opposant à ses activités artistiques. A la demande du président Houari Boumédiène, divorcée, elle remontera sur les planches et tournera deux comédies musicales au Caire. Warda, née à Puteaux, fait partie des 318 personnalités «issues de la diversité» que M. Emmanuel Macron souhaiterait honorer.
Et puis, il y a Fayrouz, «l’ambassadrice du Liban auprès des étoiles», dernière grande diva vivante qui nous remue tant quand elle chante Jérusalem et qui nous enivre quand elle «aime en hiver» et quand elle «aime en été.»
Chrétiennes comme Fairouz, juives comme Leïla Mourad ou musulmanes comme Oum Kalthoum, elles défendaient à l’unisson la cause arabe et exprimaient leur soif de liberté. Tahiyyia Carioca était communiste et fera quelques mois de prison en 1953.
La vie et la carrière artistique d’Oum Kalthoum n’ont pratiquement fait qu’une, mais, surtout, l’une et l’autre indissociables du destin de l’Egypte, celle de Gamal Abel Nasser et bien au-delà. Gamal Abdel Nasser n’a-t-il pas rétorqué à un ministre de l’Information qui voulait censurer la diva: «Quand comptes-tu déplacer les Pyramides de Giza?» et la revue américaine Time la qualifiera d’«arme secrète» du Colonel Nasser. Ses apparitions dans les capitales du monde arabe et à l’Olympia à Paris, en 1967, soulevaient les foules et s’inscrivaient dans la mémoire collective. Nationaliste, elle versa son cachet parisien de 14 000 dollars à l’effort de guerre de son pays. Cette fille d’imam du saïd égyptien (la province) révolutionna la musique arabe en rejetant la taqtûqa (chanson légère, réservée à la gent féminine) et en adoptant le temps long du raga indien pour accéder au tarab. Elle maîtrisa à la perfection les maqâmat (système nodal des échelles mélodiques) «mais aussi son image, chignon laqué, diamants et robes longues, mouchoir en soie comme seul accessoire scénique, jusqu’à l’intégration au look de lunettes noires, portées pour soulager un glaucome. » (Bruno Lesprit, « L’IMA sublime les étoiles étincelantes de l’Orient», Le Monde, 31 mai 2021). Elle sera adoptée très vite par les mélomanes arabes qui apprécient aussi les chansons dues à la plume d’Ahmed Rami, son auteur préféré. Elle donnera des concerts dès 1932, à Tripoli, à Tunis, à Damas et Beyrouth.
L'exposition de l’IMA a aussi associé des artistes contemporains chez qui le souffle des divas est bien présent. Notre concitoyen le grand couturier Ezzedine Alya travaillait toujours en fredonnant Oum Kalthoum. Lamia Ziadé nous offre un «Mur des curiosités» et Nabil Boutros ses incomparables photomontages réalisés à partir de copies de films d’époque. Enfin, la scénographie rend compte de la richesse et de l’effervescence musicale et cinématographique de l’époque, sans oublier ces pochettes de disques (Baidaphon), photos, affiches….
En un mot comme en cent, ces Divas nous prouvent bien que «la vie sans musique est tout simplement une erreur, une fatigue, un exil.»
Ah! Puisse l’exposition de l’IMA à Paris inspirer en Tunisie pour rappeler le souvenir de ces divas bien de chez nous comme Hassiba Rochdi, Habiba Messika, Fathia Khairi, Saliha, Choubaïla Rachèd….et j’en oublie.
Mohamed Larbi Bouguerra