News - 13.08.2021

Me Imen Gzara: Le combat d’une femme irréductible, tant que la justice ne sera pas affranchie…

Me Imen Gzara: Le combat d’une femme irréductible, tant que la justice ne sera pas affranchie…

Des mots clés ont façonné le caractère de Maitre Imen Gzara. Jammel, sa ville natale, son père, enseignant très respecté, le handball, la robe d’avocat portée par un ami de ses frères, son mari et ses deux enfants, le mouvement protestataire des avocats en 2010, l’association Voix de la femme qu’elle a fondée à Jammel et l’assassinat de Chokri Belaïd : l’ADN en a fait une icône. Son attachement profond à sa liberté, à son indépendance et à ses valeurs fondatrices s’est conjugué à une règle de conduite: rester toujours dans l’action, dans l’anticipation, jamais dans la riposte.

Silhouette fine, discrète, sereine… Le visage, malgré un léger sourire, cache mal de profondes blessures subies dans la chair. Il inspire confiance et exprime la détermination. Le ton est calme, le verbe précis et l’argument, implacable, toujours percutant. Drapée de sa robe d’avocate, Me Imen Gzara est en fait en tenue de combat, comme celui de son oncle paternel, le général Mohamed Gzara, ancien chef d’État-major de l’armée de terre (Cemat), puis inspecteur général des forces armées (Igfa), à l’aube de l’indépendance. Il avait choisi le glaive, elle, le livre de droit. Au service de la Patrie.

Le père

Tout Jammel l’appelle Sidi pour avoir enseigné à des générations successives, les conduisant à la réussite scolaire avec un taux inégalé. Chef scout, très actif au sein de l’association des sourds-muets, bourguibien, mais non dépourvu de critique à l’égard de certaines de ses décisions, moderniste, très ouvert, favorise l’esprit critique et le débat.

Imen, ses trois frères et sa sœur baigneront dans le bonheur familial. La maison est grande ouverte à leurs amis, le papa les conduit lui-même assister à des concerts et autres spectacles à Sousse et même à Tunis. Il les encourage, dès leur jeune âge, à fréquenter le club d’enfants où les animateurs Kamel Sarraj et Samira Garbèje les initient à différents arts.

Jammel 1

Un temple du savoir et un bouillon de culture qui ont donné à la Tunisie d’illustres figures : Mohamed Mili, grand ingénieur, secrétaire général pendant 18 ans de l’Union internationale des télécommunications (UIT, Genève), Béchir Salem Belkhiria (BSB), Amor Belkhiria, et parmi les jeunes générations, Hakim Ben Hamouda et Hichem Ben Ahmed (un cousin du côté de sa maman), tous deux ministres après 2011. Une ville, agricole à l’origine, devenue industrieuse comptant aujourd’hui pas moins de 100 unités industrielles rien que dans la confection à l’export.

C’est à Jammel que la future avocate fera toutes ses études primaires et secondaires. D’abord, à l’école des Martyrs, puis au lycée, section lettres.

Handball

Jammel est aussi une ville sportive. Rugby, insaturé par BSB, handball et bien d’autres disciplines. Imen Gzara succombera au hand et brillera dans l’équipe locale avant de se faire recruter par celle des Meubles Zaoui à Sousse. Une voiture viendra spécialement la chercher chez elle pour les entraînements et les matches à Sousse, puis la ramener à la maison.

La robe

Encore lycéenne, elle était déjà subjuguée par cette magnifique longue robe noire, avec un col blanc que portent les avocats. Il y a vu une valeur cardinale : la justice. C’est un ami de l’un de ses frères - un jeune avocat - qui l’avait ramenée pour la première fois à la maison, venant directement du Palais de Justice. Elle l’essayera : coup de foudre.

Bac en poche, Imen Gzara fera du droit le premier choix de son orientation universitaire. Débarquant à la faculté des Sciences juridiques, sociales et politiques de Tunis, et hébergée au foyer universitaire d’El Menzah 1, tout proche, elle verra son vœu exaucé. Ses enseignants l’ont beaucoup impressionnée: les Ben Achour, Amor, Bouraoui, Meziou, Laghmani, Klibi, Hamrouni, Monia Ben Jemai… Sana Ben Achour la captivait particulièrement par sa manière d’exposer et de présenter les cours. Les autres par leur érudition.

La cour de la faculté grouillait d’activisme politique. Imen Gzara suivait les évènements de près. Présente dans les assemblées et mouvements, elle n’a pas sauté le pas pour adhérer à une faction donnée. Toujours soucieuse de son indépendance…

Maîtrise, plus diplôme d’études approfondies, ouvrent à Imen Gzara la voie du barreau. En mai 2004, Me Abdessettar Massoudi l’accueillera dans son cabinet pour l’indispensable stage de trois ans. Rigoureux, sélectif dans l’acceptation des clients, attentif aux détails, il l’avait bien initiée aux ficelles du métier. C’était pour elle comme des années de service national, tant la formation était dense et la discipline de mise (dans le traitement des dossiers).

Fin de stage juillet 2007 et ouverture de son cabinet d’avocat…

En couple

Elle était encore étudiante lorsqu’elle épousera en 2001 un ami de ses frères, Helmi Ben Salah. Sa famille est originaire de Métouia, ayant pris racine à Tronja au cœur de la capitale, mais ses parents étaient installés de longue date à Jammel. Helmi est un commissaire aux comptes et comptable…féru de rugby (membre national de la fédération). Ensemble, ils ont eu deux magnifiques enfants et partagent un grand cabinet à la lisière du Centre Urbain Nord. Imen Gzara doit beaucoup à son mari. C’est sur lui qu’elle s’est toujours déchargée pour lui confier la garde des enfants lorsqu’elle tardait dans les réunions du collectif de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. C’est aussi lui qui la conduisait avec les enfants pratiquement toutes les semaines à Jammel où elle a fondé l’association Voix de la femme. Et c’est encore auprès de lui qu’elle trouve réconfort dans sa lutte, et bonheur dans sa vie.

La robe 2

En 2010, le foyer d’Imen et Helmi est égayé par la naissance de mignons jumeaux, une fille et un garçon. La jeune maman, très affectueuse, suivait aussi le mouvement protestataire contre la dictature mené par ses confrères du barreau. Intuitivement, elle sentait la révolte monter et s’engouffrera dans la brèche. Toujours en toute indépendance partisane. Le 14 janvier 2011 sera alors pour elle une journée mémorable.

Jammel 2

Cherchant à entreprendre une œuvre utile dans cet élan d’affranchissement, Imen Gzara pensera immédiatement à Jammel et la femme. Elle a toujours été convaincue que toute action porteuse doit se déployer à la base et se rendre immédiatement utile. Avec des amies, elle constituera en novembre 2011 l’association Voix de la femme. S’intéressant aux questions de l’enfance, de l’éducation, de la santé et des droits civiques, elle sera la première du genre dans la ville. Les résultats des élections pour l’Assemblée nationale constituante, le 23 octobre 2011, lui démontreront l’ampleur de l’effort de conscientisation civique à fournir.

Séminaires de réflexion, ateliers de formation et actions sur le terrain vont alors s’enchaîner, dans une approche scientifique et une démarche pragmatique. C’est ainsi que l’association publiera une étude sur la participation politique et le comportement électoral de la femme à Jammel. Cette analyse de fond attirera l’attention du Centre des femmes arabes pour la formation et la recherche (Cawtar) qui la publiera pour une large diffusion dans de nombreux pays. Capitalisant sur cette expérience, l’association élargira son horizon en élaborant une monographie sur la participation politique de la femme dans les gouvernorats de Monastir et Sousse.

Chokri Belaïd à Genève en 2001

Fin décembre 2001. Jeunes mariés, Imen et Helmi partent en voyage de noces en Europe, les conduisant notamment à Genève où un couple d’amis était ravi de les recevoir. Un frère d’Imen installé en Allemagne devait les rejoindre. Ces amis en Suisse avaient également invité un jeune couple tunisien résidant à Paris, pour partager les fêtes de fin d’année. Ce n’étaient autres que Chokri et Basma Belaïd. Connaissances pour la première fois rapidement faites, ambiance festive, balades, sorties pour les courses, cuisine à plusieurs mains…
En quatre jours, ils se connaissent déjà comme si c’était depuis des années.

Puis, un long moment de silence. Des années après, Chokri et Basma sont rentrés de Paris pour s’installer en cabinet. Imen a terminé ses études et commencé son stage d’avocat. Retrouvailles chaleureuses au Palais de Justice. Les deux couples se fréquenteront en famille, emmenant leurs enfants respectifs jouer ensemble. Les liens tissés sont encore plus renforcés.

Plus grande est l’amitié, plus dure sera le choc de l’assassinat de Chokri, le 6 février 2013. Un crime d’État, étouffé, à ce jour non élucidé, comme celui de Mohamed Brahmi, quelques mois après, le 25 juillet 2013. Me Imen Gzara en fera sa cause.

Un puzzle énigmatique et fatal qui commence à livrer ses mystères

Surmontant sa douleur, elle s’emploie avec ses confrères du collectif à rechercher toutes les pièces du puzzle pour décrypter ses mystères codés et le reconstituer. Le dossier n’est pas technique et le combat de Me Gzara n’est pas contre une poignée de criminels, mais face à une puissante organisation secrète aux bras longs et tentaculaire. Une course contre la montre pour la démanteler, afin que la justice puisse s’affranchir et paver la voie à la démocratie. Un premier grand pas vient d’être affranchi.

Vacances?

Loin d’observer une pause de combattant bien méritée, point de vacances cet été aussi pour Imen et Helmi. Me Gzara est constamment sur la brèche. Avec le soutien constant de son époux qui partage avec elle cette noble cause.

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