Vient de paraitre - ‘’L’ère Bourguiba’’, de Khalifa Chater : l’histoire et les révélations
Revisiter le parcours militant du ‘’Combattant suprême’’ Habib Bourguiba, et analyser sa gestion du pouvoir à l’épreuve de successives crises : Khalifa Chater, en historien et en analyste, s’y emploie utilement. Dans son récent ouvrage ‘’L’ère de Bourguiba’’, paru chez AC Éditions, il livre des éclairages intéressant sur la vie et l’œuvre du leader tunisien. La partie sur la main étrangère, réelle ou supposée dans le coup d’Etat du 7 novembre 1987 est particulièrement croustillante.
L’essai de Khalifa Chater, préfacé par le Pr Abdelbaki Hermassi, se veut un récit historique, mais aussi agrémenté d’histoires, révélatrices d’autres facettes de Bourguiba et de son entourage, de témoignages, et de faits peu connus. On apprend encore plus sur le Zaïm, pendant la lutte pour l’indépendance, et le chef de l’État au sommet du pouvoir. Grâce à de multiples témoignages, notamment ceux de Abdelmajid Karoui, chef de Protocole, Taher Belkhodja et autres proches, l’auteur restitue l’emploi de temps quotidien de Bourguiba, depuis sa levée à 5 heures du matin, son mode opératoire et ses relations avec ses ministres. Mais, le plus important, c’est la pensée qui a fondé son action et l’habilité de sa mise en œuvre.
Khalifa Chater revient longuement sur le retour triomphal du ‘’Combattant suprême’’ à Tunis, le 1er juin 1955, soigneusement préparé et scénarisé, (mentionnant comment il s’était entraîné en France à monter le cheval). Le plébiscite populaire recueilli sera sa légitimité renforcée pour arracher l’indépendance, puis abolir la monarchie. L’auteur considère les années 1956 – 1980, comme la période d’apogée du régime, malgré les péripéties de l’union tuniso-libyenne avortée et la crise syndicale du 26 janvier 1978. La mise en épreuve ne tardera pas, avec « la gestion mzaliste » qui préfigurera le coup d’État du 7 novembre 1987.
Rome, Alger et Paris
La main de l’étranger n’est pas absente, souligne Chater, citant divers éléments. Au moins, les Algériens, les Américains et les Italiens étaient au parfum, avance-t-il. Il mentionne d’abord, la visite à Tunis, la veille du 7 novembre, du ministre algérien de l’Intérieur, Hédi Khedhiri, mais aussi et surtout le témoignage de l’Amiral Fluvio Martini, alors chef des services secrets italiens (SISMI), sous le gouvernement de Bettino Craxi. Dans une interview accordée au quotidien romain La Repubblica, le 11 octobre 1999, il relate avec détails la visite de Craxi à Alger en 1984 et l’inquiétude des Algériens de la déstabilisation croissante en Tunisie, les rendant prêts à intervenir, quitte à envahir la partie du territoire tunisien où transite le pipeline qui conduit le gaz naturel algérien jusqu’en Sicile… Pour éviter pareille décision, Craxi avait dépêché l’Amiral Martini à Alger, puis à Paris, afin d’envisager la succession de Bourguiba, par l’homme qui paraissait le mieux placé, Ben Ali.
Craxi ne manquera pas de démentir vigoureusement cette version, largement reprise par l’AFP. Trois avions auraient été prêts pour assurer la fuite des comploteurs, en cas d’échec, indique Khalifa Chater : un avion Tunisair, réquisitionné par Ben Ali, un avion italien et l’avion du ministre algérien de l’Intérieur…
Parmi les témoignages insérés en annexes figurent ceux de Sid Ahmed Ghozali, Gisela Baumgratz, l’ancien ambassadeur américain à Tunis Robert Pelletreau (1987 – 1991). Ce dernier raconte comment il a été prévenu par Hédi Baccouche, tôt à l’aube le 7 novembre 1987, de la déposition de Bourguiba.
L’album photo, puisé notamment aux Archives nationales, comprend des photos pour la plupart inédites.
Par petites touches supplémentaires, Khalifa Chater lève un autre coin de voile sur Bourguiba. A lire.
L’ère Bourguiba
de Khalifa Chater
Préface du Pr Abdelbaki Hermassi
AC Éditions, 2021, 200 p, 25 DT.