Assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi - Le procureur suspendu et déféré à la justice: Le crime d’État sera-t-il élucidé ?
Un grand tournant est pris non seulement dans l’affaire des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, mais aussi celle de l’organisation secrète du mouvement Ennahdha. Est-ce le dernier quart d’heure dans l’affranchissement de la justice ?
Le tout-puissant procureur de la République près le tribunal de première instance de Tunis 1, Béchir Akremi, est suspendu de ses fonctions. Son dossier est transmis au parquet. La décision prise à son encontre, au forceps et par vote «à visage découvert» par le Conseil de l’ordre judiciaire présidé par Malika Mazari, fera date. Ancien juge d’instruction (à la tête du fameux cabinet 13), chef du pôle antiterroriste, Béchir Akremi, avant de diriger le parquet, est largement incriminé par le rapport de l’Inspection générale du ministère de la Justice. Après avoir été mis en cause, depuis plus de 5 ans, par le collectif de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.
Le rapport de l’Inspection générale est accablant. Auditions de magistrats, témoignages, interrogatoires dans le cadre d’affaires terroristes, plaintes reçues et autres pièces : le dossier a gagné en épaisseur et la vérité en lumière. Pas moins de 6 268 dossiers de terrorisme et 1 361 affaires de terrorisme ont été occultés, pressions sur des magistrats et diverses graves manœuvres sont reprochés à l’ancien procureur de la République.
Réunir des éléments éparpillés, examiner chaque détail
La suspension de Béchir Akremi, déféré à la justice, est l’aboutissement d’un long combat mené avec détermination par le collectif de défense des martyrs Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Mandaté par le parti Watad et Attayar et Mbarka Aouania, la veuve de Mohamed Brahmi, Me Ridha Raddaoui est à l’origine de la constitution de ce collectif qui s’est rapidement enrichi de nombreux confrères ainsi que d’experts de diverses spécialités, tous volontaires et bénévoles. Bravant dissuasion, harcèlement, menaces, usure et autres manœuvres dilatoires, le collectif a fait montre de professionnalisme, de patience, de perspicacité et de persévérance.
La stratégie adoptée a été payante : chercher dans tous les dossiers d’affaires liées au terrorisme tout élément utile, aller au fond du moindre détail, réunir et confronter les informations éparpillées dans des centaines de dossiers autres que ceux relatifs aux deux assassinats politiques, relever toutes les failles, dénoncer les pressions, alerter la justice, déposer plainte sur plainte, mobiliser la société civile et l’opinion publique. Et internationaliser.
Deux en un
L’enchevêtrement des faits met en évidence une deuxième importante et grave affaire, celle de l’organisation secrète du mouvement Ennahdha, profondément ancré dans les entrailles de la justice, la sécurité et l’ensemble des rouages de l’État. Dans ce deux en un, assassinats politiques et organisation secrète, un véritable appareil parallèle tentaculaire est pleinement impliqué dans une véritable affaire d’État, restée à ce jour sans jugement. Ses auteurs, initiateurs, commanditaires, préparateurs, logisticiens, exécuteurs, protecteurs, influenceurs du cours de la justice et leurs complices, à tous niveaux, échappent encore à la justice et bénéficient de l’impunité.
En publiant de larges extraits du rapport de l’Inspection générale du ministère de la Justice, relatifs à Béchir Akremi, le collectif a mis tous les protagonistes devant le fait accompli, sous le regard de l’opinion publique. Plus encore, en saisissant le Comité des droits de l’Homme (ONU, Genève), et le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (Hcdh), l’internationalisation de la cause gagne en mobilisation et appui à travers le monde.
Toujours dans l’action, dans l’anticipation, jamais dans la riposte
Ce combat de longue haleine, de grand courage et de forte volonté est l’œuvre de tout un collectif. Chacun de ses membres s’y est investi de toute son énergie, a apporté sa contribution, réconforté ses confrères dans des moments difficiles et joué un rôle déterminant dans l’aboutissement de cette importante et significative séquence. Chaque partition, déterminante, a été réussie. Humbles et demeurant très professionnels, bien organisés, les membres du collectif ont réellement joué collectif, gardant leurs discours précis, documentés, argumentés et leur ton apaisé, serein, ne cédant jamais à la provocation.
Parmi les multiples voix du collectif, Leaders a choisi Maître Imen Gzara, un exemple parmi tous ses autres coéquipiers, qui exprime la valeur d’un engagement. Jeune quadra, mère de deux enfants, issue de la société civile locale de Jammel au cœur du Sahel, sans aucune appartenance politique, gardant pleinement son indépendance et préservant sa liberté (voir son portrait en encadré), elle constitue un véritable fil rouge qui retrace un parcours du combattant. Toujours dans l’action, dans l’anticipation, jamais dans la riposte. Elle perpétue une valeur familiale fondatrice héritée de son père, qui est aussi adoptée par le collectif.
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