News - 21.08.2021

Tunisie - Loi sur la relance économique: Crise de confiance, crise de conscience, crise de croissance

Tunisie - Loi sur la relance économique: Crise de confiance, crise de conscience, crise de croissance

Par Mohamed Derbel - Vive controverse ! La Banque centrale de Tunisie, réputée pour sa discrétion, est publiquement montée au créneau. A peine votée par l’Assemblée des représentants du peuple, le 12 juillet dernier, le projet de loi n° 104 de 2020 relative à la relance de l’économie et la régularisation des infractions de change est l’objet de nombreux recours en inconstitutionnalité. Des appels sont lancés au président de la République pour ne pas la promulguer. Que lui reproche-t-on ? Pour la Banque centrale, «ce projet impacte directement les principes et les mécanismes d’action de la BCT ainsi que la réalisation des objectifs dont elle est directement responsable, conformément à la législation en vigueur.» Il «comporte, souligne-t-elle, des mesures de nature à entraver la bonne conduite de la politique monétaire et à affecter les engagements internationaux de la Tunisie et sa capacité à continuer de mobiliser les fonds extérieurs nécessaires, outre ce qu’il soulève comme problématiques de mise en application.»

D’autres griefs contre ce projet de loi ont été formulés par nombre de corporations fiscales, comptables et financières, ainsi que des composantes de la société civile.
Analyse.

Qui pourrait nier que nos crises actuelles sont le refus des questions d’hier ?

Qui ignore encore que les questions économiques ont été reléguées aux oubliettes au détriment d’une guerre de territoires ?

Qui n’est pas conscient que notre croissance anémique ne nous fait qu’engouffrer davantage dans l’endettement ? Désormais, la seule bouée de sauvetage que nos bailleurs dégonflent chaque jour… quand bien même nous nous accrochons!

Qui n’est pas gêné du malaise général que nous vivons ? Jeunes et moins jeunes souffrent à longueur de journée d’un langage de sourds souvent musclé et parfois violent sous une coupole censée les représenter.

Qui n’attend pas la relance économique et ne cherche pas à améliorer ses revenus et son bien-être ?

Qui mérite notre confiance pour aplanir les obstacles d’un chemin parsemé de problèmes et de crises que nous créons nous-mêmes ?

Voilà encore une loi avec un titre accrocheur qui résonne comme un cri dans un puits : «La loi 2020-104 relative à la relance économique & la régularisation des infractions de change».

Vingt-six articles controversés seront, semble-t-il, notre porte de sortie de cette crise économique! Une amnistie de change et une amnistie fiscale qui ne laissent personne indifférent !

On dit souvent «mieux vaut tard que jamais», mais en temps de crise, le temps est précieux. Ce qui ne se fait pas à temps n’aura pas l’effet escompté et pourrait même se retourner contre nous.

Quels sont les effets des décisions prises le 13 janvier 2011 si ce n’est de l’embrasement ? Et pourtant elles étaient exceptionnellement bonnes…mais trop tard !

Le timing dans la gestion des crises est extrêmement important et l’histoire de notre chère Tunisie en est l’exemple.

La relance économique tant espérée depuis des années n’est pas encore là ! Cette loi n’est qu’un mix de dispositions intéressantes avec d’autres qui nous feront probablement retourner à des listes grises et noires desquelles nous avons peiné pour nous soustraire.

Qui n’a pas pointé du doigt la caducité de notre réglementation de change… un dur pavé de textes où on se noie sous les houles des interdictions et des conditions étouffantes ? Est-ce qu’avec la possibilité d’ouvrir des comptes en devises, tout sera réglé ?
Qui n’est pas conscient du volume effrayant des billets et monnaies en circulation, signe d’une économie de cash fuyante des radars ? Est-ce qu’avec l’amnistie sur les espèces, nous reviendrons aux seuils de 2010 ?

Sommes-nous avec ces amnisties parachutées en train de remuer un couteau dans une plaie déjà née d’une fracture entre ceux qui ont toujours respecté le pays et payé leurs impôts et ceux qui y vivent aux frais de la princesse ?

Est-ce que la relance économique tant espérée est tributaire d’une amnistie de change et une amnistie fiscale ?

Ceux qui vont relancer l’économie tunisienne et nous faire sortir du gouffre sont des «citoyens hors la loi». C’est ce qu’on déduit de cette loi !

Il y a plus de 17m de dinars qui circulent en dehors du système bancaire et il y a des devises qu’on n’arrive pas à chiffrer qui ont échappé à tous les radars de contrôle. Si on réussit à les contenir, notre économie sera sauvée ! Mais est-ce que ce sera possible avec ces amnisties ?

La relance économique dont on parle aujourd’hui ne se trouve malheureusement tributaire  d’une ambition, d’une vision et d’actions multi-front, il faudrait juste une amnistie et par magie nous serons tous sauvés ! De la pure illusion.

«Le pardon est la plus belle fleur de la victoire», disait S.Paddisson, sauf que la forme avec laquelle cette grâce a été conçue ne laisse personne indifférent. Elle sera une victoire écrasante de ceux qui se sont toujours soustraits à leurs obligations fiscales au détriment de ceux qui l’ont fait sans même rien attendre en retour.

Elle sera une victoire déprimante pour l’État lui-même et son administration qui se verront garder le silence et faire table rase à vie.

Sans aucun engagement à entreprendre l’argent et le patrimoine occultés, sans aucune demande d’excuse pour tous les bons contribuables qui se sentent trahis, sans aucun engagement de ne pas récidiver… la loi 2020-104 se limitera à des contributions forfaitaires de 15%, 10% et 7% et qui pourraient encore être réduites de 50% pour effacer un passé de cavale et tourner une page sur laquelle probablement rien ne sera écrit.

Les solutions économiques dans notre contexte politique actuel seront difficilement trouvées. La crise de confiance qui imprègne la relation citoyen-État-administration ne jouera pas en faveur de la réussite des amnisties prévues par la 2020-104 relative à la relance économique & la régularisation des infractions de change.

Qui pourrait s’autodéclarer dans le cadre de cette amnistie au risque d’être répertorié «fraudeur gracié» et se trouver dans quelques années interrogé sur ses revenus et son patrimoine en vertu d’une nouvelle loi s’attaquant à la loi 2020-104. On aura tout vu !

Le rafistolage ne tient pas beaucoup quand le tissu est usé…Se rendre à l’évidence n’est  malheureusement pas à l’ordre du jour.

Mohamed Derbel
Expert-comptable
-partner- BDO Tunisie