Le 6 ème rapport du GIEC sur le climat: il faut sauver le vaisseau Terre !
Par Mohamed Larbi Bouguerra - Plongés dans les délices des interprétations constitutionnelles à la douzaine et abîmés dans la lecture du marc de café pour deviner les intentions présidentielles, celles d’Ennahda et de son gourou, celles de l’UGTT et des partis, les Tunisiens ne semblent guère intéressés par le 6ème Rapport du GIEC – un organisme des Nations Unies- sur l’évolution du climat de la planète publié le 9 août 2021.
Rédigé par 234 auteurs provenant de 65 pays (28% de femmes et 72% d’hommes) qui ont épluché 14000 publications scientifiques, ce travail monumental est alarmant. Percutant et précis- grâce à l’avancée des connaissances scientifiques- ce document sur le changement climatique mondial est «sans précédent» et annonce «des conséquences irréversibles». Des évènements extrêmes accompagnent ce bouleversement du climat de la planète Terre.
En un mot comme en cent, «la maison brûle» mais nous regardons ailleurs!
Pourtant, après les journées de canicule sans précédent du mois d’août (plus de 50°C à Kairouan, 49°C à Jendouba…) et les incendies qui ont sévi plusieurs jours d’affilée au nord-ouest, les Tunisiens se rendent bien compte, à leur corps défendant, des réalités du réchauffement climatique at home. Sans oublier les douloureux problèmes de gouvernance récurrents concernant l’eau, les faibles réserves derrière les barrages mal entretenus, les 500 écoles sans eau, les agriculteurs à court pour l’irrigation des cultures (souvent destinée à l’exportation du reste) alors que l’on parle à tort et à travers de «stress hydrique» et «pénurie d’eau» à longueur de colonnes et sur tous les plateaux. Mais soyons attentifs aussi au fait que la canicule annoncée augmentera l’évaporation dans les barrages, les lacs, les canaux….
Le message du GIEC est terrible: en raison de l'histoire industrielle du monde industrialisé qui a craché du dioxyde de carbone et d'autres gaz à effet de serre (méthane notamment) dans l'atmosphère pendant des années, certains effets catastrophiques, comme l'élévation du niveau de la mer, sont désormais inévitables.
Certains effets du changement climatique sont inévitables. "Quelle que soit la rapidité avec laquelle nous réduisons nos émissions, nous devrons probablement faire face à une élévation moyenne du niveau de la mer d'environ 15 à 30 cm jusqu'au milieu du siècle", a déclaré Bob Kopp, directeur du Rutgers Institute of Earth, Ocean, and Atmospheric Sciences (Etats Unis), lors d'une conférence de presse tenue le 8 août. "Si nous limitons le réchauffement à bien moins de 2 °C, il faudrait plusieurs siècles pour que l'élévation du niveau de la mer dépasse 2 m, ce qui serait une situation bien plus gérable."
L’Afrique aux premières loges
Pour notre région, l’Afrique du Nord, le rapport du GIEC avance ces terribles prévisions:
• Diminution des précipitations moyennes
• Augmentation des incendies du fait de conditions atmosphériques qui leur sont favorables et diminution des vitesses moyennes du vent.
• Augmentation de l’aridité
• Sécheresse hydrologique, météorologique et agricole.
Mais tout ceci passe par-dessus la tête des politiques, des constitutionnalistes et des décideurs dans notre pays. On ne cause que de «feuille de route», de «référendum», de «régime présidentiel» et du «cabinet noir» d’Ennahda.
Bien sûr, il y a des priorités mais de là à ignorer superbement ce rapport du GIEC…..
Notre sagesse populaire tacle bien ce comportement de nos responsables quand elle dit : « la vieille emportée par l’oued en crue s’extasie: c’est une année bien pluvieuse» promettant de belles récoltes !
Le changement climatique est en train de se dérouler sous nos yeux, on en a confirmation – méga-incendies (Australie, Algérie, Etats Unis….), inondations (Bousalem, Nabeul…), glissement de terrain- de l’Oregon à la Californie (Etats Unis) en passant par la Belgique, l’Allemagne** et le Japon.
Les points saillants du rapport du GIEC
On peut résumer le Rapport du GIEC ainsi (mais cela ne remplace pas la lecture de ce document):
1- Les changements récents du climat sont largement répandus, rapides et s’intensifient. Ils n’ont pas de précédents depuis des milliers d’années.
2- A moins de procéder à des réductions des gaz à effet de serre (GES) immédiates, rapides et sur une grande échelle, la limitation du réchauffement à 1,5°C sera hors d’atteinte. [Cette limitation avait fait l’objet d’un consensus international à Paris en 2015 et prend comme repère la période préindustrielle.]
3- Il est incontestable que les activités humaines sont la cause du changement climatique. Celles-ci provoquent des évènements climatiques extrêmes tels des vagues de chaleur, de fortes pluies et des sécheresses plus fréquentes et plus rigoureuses.
4- Le changement climatique affecte déjà chaque région de la terre de façons multiples. Les changements que nous vivons iront en croissant avec tout réchauffement supplémentaire.
5- On ne peut pas revenir en arrière s’agissant de certains changements dans le système climatique. Cependant, quelques changements pourraient être ralentis et d’autres pourraient être stoppés en limitant le réchauffement.
Vers une autre politique de l’eau aux Etats Unis
Face au changement climatique, le New York Times du 27 août 2021 a longuement décrit le cas du grand et magnifique fleuve Colorado qui alimente 40 millions d’Américains et arrose quatre Etats : le Nevada, la Californie, l’Arizona et le Nouveau Mexique.
Ce cours d’eau est en train de s’assécher rapidement alors qu’il contribue à 8% du PIB américain. 40 millions d’Américains sont menacés dans leur quotidien et leur mode de vie. Début août, les autorités fédérales ont déclaré l’état d’urgence pour le fleuve Colorado du fait de son débit réduit qui conduit à la pénurie d’eau dans son bassin. Ce qui n’avait été jamais fait pour cette splendide voie d’eau. De ce fait, les Etats ont vu leur allocation d’eau réduite.
Le grand journaliste spécialiste de l’environnement Abrahm Lustgarten écrit: «Il y a péril en la demeure: une des sources d’eau les plus importantes du pays est en train de s’assécher, autre victime de l’accélération de la crise climatique…. Ainsi, les Américains sont sur le point de faire face à toutes sortes de difficultés: comment et où vivre alors que le réchauffement continue; des Etats seront contraints de choisir quelles côtes abandonner à la montée des eaux de la mer; de quelles banlieues sujettes aux feux de forêt se retirer et quelles villes moyennes sont incapables de se doter* de nouvelles infrastructures de protection contre la chaleur et la canicule ou les inondations. Que faire dans les régions du pays qui sont en train de perdre leur approvisionnement essentiel en eau pourrait bien être le premier de ces choix….
La désagréable vérité est que des décisions difficiles et impopulaires sont désormais inévitables. Interdire certaines utilisations de l'eau comme étant inacceptables - longtemps considérées comme contraires aux libertés individuelles et aux règles du capitalisme - est maintenant ce dont nous avons le plus besoin.»
Une réflexion de ce type sur nos cours d’eau, sur les barrages et les lacs collinaires du pays serait le bienvenu.
La Science peut cependant encore aider: des batteries plus performantes, des voies plus efficaces pour capturer, emmagasiner ou convertir le gaz carbonique et mettre au point des panneaux solaires de meilleur rendement. S’agissant du méthane (Effet de serre 80 fois plus important que le CO2 sur 20 ans), on pourrait lui faire la chasse sur les sites de production des hydrocarbures, les fuites sur les canalisations de gaz naturel voire- et cela est contre-intuitif- l’oxyder en gaz carbonique même si le CO2 a une durée de vie plus longue. (Lire K. Bourzac, Chemical & Engineering News, 20 août 2021)
Mais rien ne remplace la vigilance des citoyens pour préserver leurs lieux de vie et défendre leur environnement, la qualité de l’air qu’ils respirent et l’eau qui les maintient en vie. Mais c’est aux politiques d’initier le mouvement en donnant la priorité aux recommandations du GIEC.
Mohamed Larbi Bouguerra
** Avec parfois de possibles conséquences grosses de menaces pour l’industrie chimique avec risques d’accidents graves : en juillet 2021, les pluies extrêmes ont interdit la navigation sur le Rhin. La grande multinationale allemande de la chimie BASF n’a plus été capable d’exporter ou de recevoir du matériel sur son énorme site de Ludwigshafen. (Chemical & Engineering News, 20 août 2021)