News - 15.09.2021

Comment comprendre les prochaines élections en Allemagne et quel impact sur la Tunisie du départ d’Angela Merkel

Comment comprendre les prochaines élections en Allemagne et quel impact sur la Tunisie du départ d’Angela Merkel

Par Sami Bahri - Le 26 septembre 2021 les Allemand/es sont appelé/es aux urnes pour élire un nouveau parlement fédéral - le „Bundestag“ - un des organes principaux de la gouvernance allemande. Cette élection sort un peu de l’ordinaire car pour la première fois depuis presque deux décennies, Angela Merkel ne sera pas candidate à la chancellerie. Le nouveau parlement à élire devra donc choisir un/e remplaçant/e pour celle qui a gouverné l’Allemagne pendant 16 ans. Contrairement aux dernières élections où personne ne doutait vraiment de son succès vu son immense popularité, c’est sa décision de se retirer qui change complètement la donne et qui rend ce scrutin intéressant.

Quelques précisions sur le régime politique allemand

Au lendemain de la 2ème guerre mondiale, les constituants allemands qui ont élaboré la constitution allemande de 1949 - la Loi Fondamentale ou „Grundgesetz“ - ont opté pour un régime parlementaire, afin de mettre la gouvernance du pays à l’abri du populisme qui avait fait sombrer la République de Weimar dans la dictature nazie. Un principe central a guidé ces constituants : on ne peut pas faire confiances aux hommes, il faut donc donner le pouvoir à des institutions. Et ce sont des institutions élues, bien moins sensibles au populisme, qui choisissent les dirigeant/es. C’est donc le Bundestag qui élit le/la chancelier/e (tout comme c’est une assemblée élective - la „Bundesversammlung“ - qui élit le président de la République). Pour compléter cette revue rapide du système politique allemand: le/la chancelier/e doit non seulement composer avec le parlement, mais aussi avec les présidents des 16 „Länder“ qui composent la République Fédérale d’Allemagne - Et tous ces acteurs sont soumis à la justice constitutionnelle, qui arbitre les conflits de pouvoir mais assure aussi que toutes les décisions politiques sont en accord avec la constitution.

Après une période de „rodage“ qui a duré une bonne quinzaine d’années, le régime politique allemand fonctionne presque parfaitement, tous les acteurs et dirigeants politiques ayant compris qu’ils ont 1) besoin de collaborer pour réussir et 2) qu’ils ne peuvent sortir du cadre constitutionnel.

Ce système garantit à l’Allemagne une gouvernance efficace et stable et quand les dirigeants savent bien faire fonctionner cette machine, les Allemand les maintiennent au pouvoir, même si le mandat électoral ne dure que 4 ans. Cette spécificité du système fait qu’un même personne peut gouverner l’Allemagne bien plus longtemps par exemple qu’un président français ne peut diriger la France ou un président américains les Etats-Unis. Konrad Adenauer, 1er chancelier de la RFA, est resté au pouvoir 14 ans, Helmut Kohl est resté 16 ans, tout comme Angela Merkel.

Quelques précisions sur le système électoral allemand

C’est une manie assez typique des Allemands de vouloir tout optimiser. Le système électoral allemand le reflète parfaitement: il combine les avantages du scrutin majoritaire - sensé faciliter l’établissement d’une majorité claire (comme son nom l’indique) - avec celui du scrutin proportionnel - sensé garantir une meilleure représentativité de la diversité d’un électorat. Et cela en un seul tour, pour réduire les couts d’une élection. Voila pourquoi en Allemagne, on peut/doit faire 2 choix sur le même bulletin de vote : celui pour une personne et celui pour un parti - Il est par exemple parfaitement possible de voter pour un parti et une personne qui n’est pas de ce parti.

Mais un parti, pour pouvoir siéger au Bundestag, doit obtenir au moins 5% des votes. Ce seuil permet d’éviter l’éclatement des groupes parlementaires et de faciliter les majorités gouvernementales. Sur les 47 partis qui se présentent aux prochaines élections, seule une petite dizaine a des chances de passer ce cap.

L’institution chargée de gérer les élections - le „Bundeswahlausschuss“ - est placée sour l’égide du ministère de l’Intérieur - une preuve flagrante de la confiance des Allemands dans leurs institutions - et - preuve flagrante de la confiance des allemands dans leur système politique - est composé, entre autre, de représentants des partis politiques. Cette entité supervise les élections dans 299 circonscriptions.

Tous les citoyens de nationalité allemande de plus de 18 ans et qui n’ont pas été déchus de leur droit de vote sont automatiquement inscrits dans le registre électoral de la circonscription de leur résidence (la déclaration de résidence est obligatoire en Allemagne). En cas de résidence á l’étranger, ils doivent activement s’inscrire dans le registre de la circonscription où ils ont vécu avant de partir. Depuis 1957, les Allemands ont aussi la possibilité de voter gratuitement par correspondance, ce qu’ils font de plus en plus souvent : en 2017, 28,6% des votes ont été envoyés par voie postale.

Même si on peut penser que le système électoral allemand est bien rodé depuis la 1ère élection d’un Bundestag en 1949, le code électoral est régulièrement amendé et une nouvelle reforme est en discussion pour réduire le nombre de circonscription mais aussi le nombre d’élus, car le système électoral mixte ne donne pas un nombre fixe de parlementaires : Celui de 2017 à 709 député/es, celui de 2013 avait 631 député/es. Le prochain pourrait théoriquement aussi avoir 1000 députés.

L’élection du 20eme Bundestag

Le 26 septembre prochain, les Allemands vont élire leur 20éme parlement depuis 1949. Et même si les thématiques des campagnes électorales sont multiples : réchauffement climatique, fiscalité, transformation numérique, transformation énergétique, immigration, politique européenne, politique étrangères, etc. elles sont toutes éclipsées par un sujet central, que j’aime appeler le „Zeitgeist électoral“ : qui va remplacer Angela Merkel? Et comme c’est très souvent le cas dans les campagnes électorales, ce „Zeitgeist“ est implicite : aucun parti ou programme électoral ne l’adresse ouvertement. Et si il y’a quelques mois encore, les sondages ne le reflétaient pas, c’est lui qui dicte actuellement d’une façon très visible les tendances.

Il y’a encore 3 mois, 2 partis caracolaient en tête des sondages : la CDU/CSU (ou Union, car c’est une alliance entre 2 partis) de Angela Merkel et Die Grünen - les Verts - (car la problématique climatique est perçue comme un vrai danger par les allemands et c’est le domaine des Verts). Le parti social-démocrate SPD, le plus ancien parti d’Allemagne qu’on surnomme aussi „la vieille dame“, semblait hors du coup avec 11 points de retard sur la CDU. Puis vint le choix des candidats de chaque parti pour la chancellerie, la CDU/CSU choisissant Armin Laschet, actuellement président du land Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Die Grünen choisissant Annalena Baerbock, la „co-cheffe“ du parti et le SPD choisissant Olaf Scholz, vice-chancelier et ministre des finances de la „grande coalition“ actuellement au pouvoir.

Les Allemands ont très vite fait leur choix entre ces 3 candidats : Olaf Scholz est celui qui pour eux représente le plus la continuité d’une politique „merkelienne“. Et celui-ci mène une campagne intelligente pour renforcer cela sans le dire ouvertement : très calme, presque aussi flegmatique que Merkel, très factuel et posé dans son argumentation et allant même jusqu’à mimer une pose très classique d’Angela Merkel : la fameuse „Raute“ qu’elle fait avec ses mains, il répond d’une façon très directe au Zeitgeist de ces élections en exprimant : je suis Merkel 2.0.

Et la popularité de Scholz a entrainé le SPD avec lui et le parti social-démocrate est passé en quelques semaines à la „pole position“ des sondages, décrochant CDU/CSU et Die Grünen. Et brusquement, la faiblesse du „junior partner“ SPD, qui a gouverné dans l’ombre de Merkel dans des grandes coalitions pendant 12 ans, se transforme en avantage car il incarne maintenant aussi la continuité d’une politique merkelienne*.

La CDU/CSU, dont le candidat Armin Laschet a par contre choisi l’option de vouloir se démarquer de Merkel, est en train de payer la facture de ce choix électoral.

Moyenne des différents sondages (source : Der Spiegel)

Olaf Scholz et le SPD ont maintenant de très fortes chances de gagner les élections dans un peu moins que deux semaines. Mais cela ne sera pas suffisant pour gouverner et devenir chancelier. Pour cela, les deux doivent aussi réussir l’examen coalitionnaire, c.a.d d’être capable de créer une coalition gouvernementale stable et solide, qui s’entend sur un programme et un gouvernement commun. Ceci dépendra aussi du score que fera chaque parti aux élections. Au vu des sondages actuels, il y’a pas moins de 6 options de coalition qui permettraient d’avoir plus de 50% des députés pour faire une majorité gouvernementale, dont une pourrait se faire sans Olaf Scholz et le SPD.

Les différentes options de majorité gouvernementale (source : Der Spiegel)

Vu le système électoral, il est pratiquement impossible de pouvoir prédire exactement le nombre de députés et leur répartition avant que tous les votes ne soient comptés. Il faudra donc pour cela attendre les résultats officiels.

Et dans l’expectative de ce type de résultat, les potentiels „junior partner“ d’une future coalition commencent déjà à se positionner et faire des „appels du pieds“ pour signaler leur disponibilité ou pas à participer à un gouvernement ou a une certaine forme de coalition.

Mais, même si une certaine tendance est claire, les campagnes électorales et les élections gardent une grande part d’imprévisibilité. En politique, tout est possible. Attendons donc le soir du 26 mais aussi les négociations de coalition entre les partis pour être définitivement fixé sur la succession de Merkel. Le nouveau parlement fait sa 1ere séance 30 jours après les élections, mais la durée des négociations pour former un nouveau gouvernement n’est pas limitée et cela peut prendre plusieurs mois. Il est donc possible que ces négociations durent et que Angela Merkel reste en poste jusqu’en 2022 ou, théoriquement, même plus longtemps.

Quel impact pour la Tunisie?

Ce qui est sur, c’est qu’avec le départ de Angela Merkel, la Tunisie perd un fervent soutien : Pour elle, la coopération tuniso-allemande était non seulement une question de cœur, mais aussi un projet stratégique, un „pied de pont“ de l’idéal européen en Afrique. Elle était déjà en poste en 2011 et elle a suivi de près toute notre évolution depuis.

Si Olaf Scholz lui succède, il est très fort probable qu’il assurera une forme de continuité, car le SPD en tant que parti s’est lui aussi énormément engagé dans le soutien de la coopération tuniso-allemande. Sans oublier que l’actuel président de la république allemande - Frank Walther Steinmeier, SPD lui aussi— a visité plusieurs fois la Tunisie quand il était ministre des affaires étrangères et vice-chancelier des précédents gouvernements Merkel.

En tous les cas, les responsables politiques allemands continuerons à observer avec beaucoup d’attention ce qui se passe actuellement en Tunisie, tant que celle-ci restera dans son objectif démocratique. Et pour avoir assimilé 2 révolutions depuis 49 (la tombée du nazisme et la chute du mur), ils savent pertinemment que le chemin est difficile et sinueux.

Sami Bahri

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* Nous reviendrons sur cette politique „merkelienne“ dans un prochain article