Les assignations à la résidence surveillée et les restrictions de voyage: les inquiétudes de l'ATNU
L’Association tunisienne pour les Nations unies (ATNU), qui œuvre afin de promouvoir les principes et les buts consacrés dans la Charte des Nations Unies, suit avec le plus grand intérêt la situation prévalant depuis le 25 juillet, date à laquelle le président de la République a pris la décision de suspendre provisoirement l’application des règles qui régissent ordinairement l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics en invoquant l’article 80 de la Constitution relatif au « péril imminent menaçant l’intégrité nationale, la sécurité ou l’indépendance du pays et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics » , avec pour conséquence l’application d’autres règles, évidemment moins libérales, qui conduisent à une plus grande concentration du pouvoir et à des restrictions à certains droits.
L’ATNU affirme, à cet égard, son attachement au respect de l’État de droit et des droits et libertés fondamentales et appelle, dans cette phase transitoire, à la consultation des parties prenantes, y compris les organisations de la société civile, en vue de restaurer les bases de l’Etat de droit et redonner vigueur à l’expérience démocratique de la Tunisie moderne.
L’ATNU, tout en se félicitant de la position clairement exprimée par le Chef de l’Etat quant à la pleine application en cette période du Chapitre II de la Constitution relatif aux libertés et droits de l’homme, appelle en même temps à mettre un terme au recours à l’assignation à la résidence surveillée, aux restrictions de voyage d’un nombre important de citoyens, sans fondement légal clair, ainsi qu’à la poursuite de civils devant les tribunaux militaires.
Il est du devoir de l’ATNU de rappeler, par ailleurs, que la Tunisie reste liée par les dispositions des instruments internationaux des droits de l’homme, y compris le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dont l’article 4 autorise les Etats parties, dans le cas où un danger public exceptionnel menace l'existence de la nation et est proclamé par un acte officiel « ...à prendre, dans la stricte mesure où la situation l'exige, des mesures dérogeant aux obligations prévues dans le présent Pacte, sous réserve que ces mesures ne soient pas incompatibles avec les autres obligations que leur impose le droit international... ».
L’ATNU rappelle, enfin, les observations finales adoptées le 27 mars 2020 par le Comité des droits de l’homme, à l’issue de l’examen du sixième rapport périodique de la Tunisie au titre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, où le Comité s’est dit « préoccupé par le fait que la réglementation sur l’état d’urgence n’est pas conforme aux dispositions de l’article 4 du Pacte et à son observation générale no 29 (2001) sur les dérogations au Pacte en période d’état d’urgence, et note :
a) La prorogation régulière de l’état d’urgence depuis 2015, sans notification précisant les dispositions auxquelles l’État partie a dérogé ainsi que ses motifs ;
b) Le recours abusif au décret no 78-50 du 26 janvier 1978, réglementant l’état d’urgence et les pouvoirs conférés à la police pour exécuter des ordonnances exécutives restreignant substantiellement les droits et libertés fondamentales ;
c) L’absence de contrôle juridictionnel adéquat de ces ordonnances exécutives, privant ainsi les personnes qui y sont soumises de leur droit de contester la légalité, la nécessité et la proportionnalité de ces mesures (art. 4, 7, 9, 10, 14, 18 et 19) ».
L’ATNU souscrit en conséquence aux recommandations du Comité des droits de l’homme selon lesquelles l’État partie devrait :
« …a) Envisager de cesser la prorogation continuelle de l’état d’urgence ;
b) Accélérer le processus d’adoption d’une loi qui soit conforme aux dispositions de l’article 4 du Pacte et à l’observation générale no 29 (2001) du Comité sur les dérogations au Pacte en période d’état d’urgence ;
c) Garantir la primauté du droit et le respect des droits intangibles consacrés dans le Pacte durant l’état d’urgence, en particulier le droit à l’application régulière de la loi ;
d) Mettre un terme à l’usage abusif de l’assignation à résidence, aux restrictions à la liberté de circulation et aux violations du droit à la vie privée » (Cf. CCPR/C/TUN/CO/6, Para. 29 et 30).