Moody's et ses acolytes: Les nouveaux parrains de l’impérialisme
Par Ezzeddine Ben Hamida - La dégradation de la note souveraine de la Tunisie de B3 à Caa1 avec perspectives négatives sonne comme une sanction, une double revanche à l’égard d’un élève récalcitrant, désobéissant :
• La mise en cause de la légitimité des agences de notation par le Président n’a pas été appréciée outre Atlantique : Kaïs Saïed, connu par son franc-parler, n’y est pas allé en effet de main morte, il a mis en doute leur utilité et par la même dénoncé vigoureusement leurs critères d’évaluation et surtout leur façon de s’immiscer dans les affaires internes des nations souveraines.
• Une sanction aussi à l’égard de l’inertie des différents gouvernements et leurs promesses de réformes structurelles non tenues.
Voilà donc la toile de fond, le cadre dans lequel la contestable décision de Moody’s a été prise : Une ambiance délétère, méphitique, aggravée par une atmosphère politique nauséabonde. Dans ces conditions qui doit être blâmé ? K. Saïed, un souverainiste qui défend son pays et sa population avec passion et patriotisme qui forcent le respect ou le Parlement qui ressemble plus à une école du cirque, où chaque jour porte son lot de spectacle, qu’un hémicycle digne de ce nom ou encore les agences de notations qui sont de plus en plus contestées et accusées de tous les maux.
1/ Des agences américaines conspuées pour leur rôle dans les crises économiques
La dégradation de la note est toujours mal acceptée par les Etats, qui se retrouvent contraints à payer plus cher le service de leurs dettes. En février 2012, un peu plus de 3 ans après la crise financière qui avait secoué l’Europe fin 2008, neuf pays d’un seul coup, de la zone euro, de la France à l’Allemagne en passant par la Belgique, ont connu une dégradation de leur note. Ce qui a provoqué chez ces « mauvais élèves de la classe » une levée de bouclier contre ces agences, les responsables politiques de ces pays avaient qualifié « d'"aberrant", "à contretemps" ou "suspect" la dégradation d'un seul coup de neuf pays de la zone euro ». Et ils avaient appelé à "examiner le rôle des agences de notation" et même envisagé de créer une agence de notation européenne, face aux organismes américains accusés de « jeter de l'huile sur le feu ». Près de dix ans après, cette agence n'a toujours pas vu le jour ! Pourquoi ? Quels accords ont-ils conclu ?
Pis, après la faillite de Lehman Brothers en 2008, les agences de notation ont été mises au banc des accusés « pour avoir contribué à la crise financière la plus grave depuis celle de 1929 en surévaluant la qualité des produits dérivés adossés aux emprunts immobiliers à risque ("subprimes") achetés par de nombreuses banques et fonds dans le monde. » Quand la bulle immobilière américaine s'est dégonflée, cela s'est traduit par des défauts de paiements par centaines de milliers. Des défauts de paiements ayant à leur tour entraîné de très lourdes pertes pour de nombreuses banques qui avaient acheté des dérivés de ces crédits risqués.
2/ Dagong: Une agence de notation chinoise qui se veut une alternative aux standards américains
Les Big Three américaines, S&P Global Moody’s et Fitch, dominent outrancièrement le marché de la notation. Elles concentrent, à elles seules, plus de 85% du marché international. De ce fait, on a affaire à un oligopole, en réalité plutôt un monopole ! Ainsi, ces agences de culture anglo-saxonne représentent avant tout les intérêts et la vision économiques des États-Unis, en particulier, et de l’Occident, en général.
La décision de créer Dagong fut prise en 1992 par les autorités chinoises. L’objectif est de s’accaparer et maîtriser les techniques financières et d’évaluations des Big Three pour mieux s’en détacher. Dès 1993, une équipe chinoise, présidée par Liu Jizhong, s’est rapprochée de S&P Global (ancien Standard & Poor’s) et Moody’s afin de parfaire la stratégie de création de Dagong. Un partenariat avec Moody’s allait même être signé en 1999, avant de prendre fin pour « incompatibilité » – selon la version américaine.
Guan Jianzhong, PDG en 2011 de l’agence de notation chinoise Dagong livre, en septembre de la même année, son point de vue sans marcher ses mots : «Depuis toujours, disait-il, elles [les Agences de notations] utilisent le principe du « deux poids, deux mesures ». Le niveau de la dette américaine augmente rapidement et va bientôt dépasser son PIB. Sa solvabilité réelle continue de se détériorer et sa volonté de remboursement s’est nettement émoussée. Le fait d’avoir recours à la planche à billets afin de transférer la dette contribue à altérer encore davantage les intérêts des créanciers. Les trois agences ont choisi d’ignorer ces faits et conservent la notation Triple A des États-Unis1. Avant d’ajouter avec agacement : « En revanche, elles ont diminué de manière significative la note des pays de l’Eurozone, tels que la Grèce, l’Espagne, le Portugal, etc., auxquels Moody’s et Standard & Poor’s avaient auparavant accordé des évaluations de premier ordre. En réalité, la capacité des États-Unis à rembourser sa dette est devenue très, très faible. Cette observation à elle seule indique que ces agences cherchent à protéger les intérêts des États-Unis en exploitant leur position dominante et qu’elles ont perdu tout semblant d’impartialité et d’objectivité. Par conséquent, l’utilisation de leurs informations de notation douteuses pour réaliser des opérations de crédit provoquera un dérèglement du marché.» (institutdesactuaires.com)
3/ La dégradation de la note de la Tunisie est contreproductive, impulsive et par-dessus tout inutile
L’action de Moody’s, qui va être suivie sans doute par Fitch Ratings et S&P Global, est :
• Contreproductive : car elle va braquer davantage les autorités tunisiennes contre ces agences ; le divorce désormais est presque consommé ;
• Impulsive : car on ne rend pas des décisions de cette nature à peine 3 jours après les déclarations du Président qui les mettait en cause. Une action qui discrédite a fortiori l’Agence.
• Inutile : car la Tunisie consciente de sa fragilité financière s’est abstenue depuis un moment de recourir aux emprunts à court termes sur les marchés financiers internationaux parce que le coût est prohibitif : le taux d’intérêt avoisine les 16%. La Tunisie privilégie les emprunts bilatéraux même si le prix politique peut être parfois pénible.
Nous y reviendrons dans notre notre prochaine chronique sur les solutions, qui sont nombreuses qui s’offrent à la Tunisie ; encore faut-il avoir la volonté et la fermeté politique pour les mener à bien. K. Saïed semble vouloir sortir des standards fixés par les puissances occidentales. Le peuple semble aussi le soutenir pour relever les défis. Il est temps justement de revoir de fond en comble notre stratégie de développement.
Ezzeddine Ben Hamida