Ahmed Friaa : Inquiets oui, mais gardons espoir !
‘’Prenez soin de l’éducation, prenez soin de la Tunisie », cette phrase n’a cessé de résonner dans ma tête. Et c’est l’illustre ministre de l’éducation de Bourguiba, le défunt Mahmoud El Messaadi qui me l’avais dite, en 1994, au moment où je l’accompagnais pour l’inauguration du lycée qui portera désormais son nom, à Nabeul.
Oui, effectivement, il est du devoir de tout patriote de prendre soin de ce pays qui nous est cher.
Nombreux sont les Tunisiens, dont beaucoup sont aujourd’hui à la retraite, qui ont préféré rentrer au pays, après de laborieux efforts pour décrocher des diplômes auprès de prestigieuses universités occidentales, alors qu’ils avaient largement la possibilité d’embrasser de belles carrières bien rémunérées à l’étranger. Ils avaient un rêve en partage: participer à l’édification d’une Tunisie moderne et prospère où il fait bon vivre, dont elle est grandement digne.
Malheureusement, voici quelques chiffres(*):
• Un chômage, certes aggravé par la pandémie du coronavirus, touchant 17,8% de la population, dont 24,9% de femmes et 40,8% de jeunes, entre 15 et 24 ans.
• Une dette publique de 107% du PIB, en 2020 contre 54% en 2010, qui ne fut point l’année des meilleures performances durant l’ancien régime. Ce qui compromet l’avenir des générations futures.
• Une inflation de 5,6%, en 2020
• Une baisse de revenu par habitant de 25%, depuis 2010.
• Une pauvreté galopante
• Un classement Pisa, qui mesure l’aptitude des jeunes de 15 ans, au terme des études obligatoires, à la bonne utilisation des connaissances apprises dans des domaines clés, qui place la Tunisie en 2016 à la 65ème place sur 70 pays concernés.
• Et j’en passe.
Face à ces chiffres, on ne peut qu’être inquiets et révoltés. Néanmoins peut-on malgré tout garder espoir ?
La réponse à cette question, que beaucoup de patriotes se posent, est un oui conditionné.
Oui, si la sagesse retrouve la place qui lui convient, et si, collectivement, on se débarrasse de cet esprit de haine, d’adversité et de ces idées populistes qui caractérisent malheureusement notre société, fortement polluée par les fakenews que véhiculent quotidiennement les différents réseaux sociaux.
Il est inutile de redécouvrir la roue !, si d’autres moyens existaient pour passer d’un pays qui souffre d’une décadence endémique à un pays prospère où il fait bon vivre, d’autres les auraient sans doute adoptés. Si bien qu’il suffit de bien s’inspirer des bons exemples de pays qui nous ont précédés et qui ont réussi à trouver leur chemin vers le progrès.
Ces exemples, et ils sont nombreux, reposent sur des idées simples :
• Etablissement d’un consensus autour d’une vision claire et audacieuse, tenant compte des évolutions que vit le monde et des spécificités socioculturelles du pays concerné.
• Instauration d’un véritable état de droit, qui se trouve être la clé de voûte de toute politique de progrès et de développement durable.
• Rassemblement des forces vives de la nation autour d’un rêve collectif, traduisant la vision retenue et s’atteler à le concrétiser au quotidien.
• Option pour un raccourci historique, autrement dit, ne pas suivre le même chemin suivi par les pays qui sont plus avancés, et ce par l’adoption de nouveaux paradigmes en rupture avec les anciens modèles de penser, en phase avec les évolutions rapides des savoirs et des technologies.
• Prise de conscience quant à l’accélération du temps. En effet, dans notre monde contemporain, caractérisé notamment par la concurrence des intelligences, celui qui n’avance pas rapidement recule. Que dire alors de celui qui passe son temps à regarder dans le rétroviseur et vouloir se venger du passé, pourtant révolu !
Bien entendu, une question pertinente se pose tout naturellement : Comment rendre réalisable dans la pratique ce beau discours et où peut-on trouver les financements nécessaires pour sa réalisation, alors que le pays se trouve face à une situation financière des plus critiques ?
D’abord quelle vision ? A ce sujet ce ne sont vraiment pas les bonnes idées qui manquent. Il serait long de rentrer ici dans les détails, mais je dirai brièvement que cette vision doit reposer sur une exploitation intelligente des ressources les plus adaptées à un monde dominé par le savoir, à savoir, les ressources humaines bien formées et les énergies renouvelables et leurs multiples applications, de même que sur les secteurs où le pays est en mesure d’être à l’avant-garde.
Quant au financement, je dirai que, d’une part, leur carence n’a jamais été un frein pour le progrès, cette carence des moyens matériels peut être largement compensée par les bonnes idées, par ce que le grand leader Bourguiba appelait « la matière grise ». J’ouvre une parenthèse pour dire que les personnes les plus riches au monde aujourd’hui ont commencé leurs projets dans des baraques, dotées d’un minimum de confort. Je dirai, d’autre part, que tout pays stable, où règne une paix sociale et surtout doté d’un véritable état de droit, n’a aucun problème pour attirer les investisseurs les plus récalcitrants. Ceux-ci n’ont qu’une seule préoccupation principale, la rentabilité et la sécurisation de leurs investissements.
Ceci étant, je suis loin d’ignorer les difficultés que ne manqueraient pas de rencontrer la mise en pratique des idées ci-avant développées. Néanmoins j’ai du mal à accepter l’idée qu’un pays comme le nôtre, avec ses 3000 ans de riche histoire, qui a été le berceau de la plupart des civilisations les plus brillantes que l’humanité a connues, qui compte parmi ses enfants d’illustres personnalités, ayant laissées des empreintes indélébiles dans différentes branches du savoir, soit condamné à demeurer parmi les derniers de la classe ‘’monde’’.
Oui, tout en restant vigilants, prenons soin de notre Tunisie, gardons espoir et que la sagesse l’emporte.
(*) Source : TEMA, n°37, 2021.
Pr. Ahmed Friaa
Universitaire et ancien Ministre
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