Quel avenir pour la culture du colza en Tunisie ?
Par Ridha Bergaoui - L’huile d’olive était jusqu’au début de l’indépendance la seule huile alimentaire disponible en Tunisie. Depuis, il a été décidé d’exporter l’huile d’olive et de la substituer par de l’huile de soja ce qui permet une importante rentrée en devises tout en mettant à la disposition du consommateur une huile de cuisine bon marché.
De nos jours, la Tunisie se trouve dépendante du marché mondial pour son approvisionnement en huiles alimentaires et tourteaux destinés à l’alimentation animale. Ce marché connait de fortes pressions suite à une importante demande en huile alimentaire, le développement de l’élevage intensif, gros consommateur de tourteaux, et à l’utilisation récente des huiles végétales comme biocarburants.
Dans un souci de sécurité alimentaire et de diversification des disponibilités en huiles végétales, le Ministère de l’Agriculture, en association avec différents partenaires nationaux et étrangers, a œuvré pour le développement de la culture et la création d’une filière colza en Tunisie.
Petit aperçu historique de la culture du colza
L’introduction du colza en Tunisie remonte à 1990 suite à un partenariat entre l’ONH et un groupe industriel français. Les emblavures se trouvaient dans la région de Jendouba. Cette expérience a montré que le colza s’adapte bien aux conditions pédo-climatiques locales et les résultats agronomiques étaient encourageants. Le problème se trouvait au niveau de la capacité très réduite de l’usine de trituration (20 tonnes/jour) qui a limité le développement et l’extension de cette culture dont les superficies étaient d’à peine 450 ha.
En 2014, le Ministère de l’Agriculture a relancé la culture du colza en associant différents intervenants nationaux et en partenariat avec des groupes industriels Français qui avaient une longue expérience en matière de culture, de trituration et de commercialisation de l’huile de colza. Un programme « Maghreb Oléaginaux » fut créé et financé par l’Union Européenne, pour le développement de la culture du colza, à partir de semences européennes. Ce programme existe également au Maroc pour la promotion des cultures du colza et du tournesol.
La participation d'une entreprise privée, installée depuis 2000 dans la région de Zaghouan et qui mettait à la disposition de ce programme son usine de trituration des huiles végétales, a été déterminante. Pour motiver les agriculteurs, une entreprise fournissaient les intrants (semences et désherbants), l’encadrement et la formation des agriculteurs et leur garantissait, selon un contrat programme, l’achat de toute leur production de graines de colza à un prix fixé à l’avance. CG triture les graines et vend l’huile brute aux usines de raffinage et le tourteau de colza aux fabricants des aliments du bétail et les éleveurs.
L’Institut National des Grandes Cultures (INGC) a également activement contribué au développement du secteur par la formation et la sensibilisation des agriculteurs à la maitrise de la culture et la lutte contre les mauvaises herbes et les diverses pathologies.
De nos jours, une filière colza commence à se dessiner et à se mettre en place. Cette filière comprend les agriculteurs, les fournisseurs d’intrants (semences, désherbants et engrais), les collecteurs et une usine de trituration.
Depuis 2014, les superficies emblavées en colza ont beaucoup évolué pour atteindre 15 000 ha l’année dernière et probablement 25 000 ha pour la saison agricole en cours.
Quelques données sur la conduite technique du colza
En Tunisie on cultive le colza dit de printemps, semé aux mois d’octobre-novembre et récolté fin mai. En mode pluvial, le colza a besoin d’une pluviométrie annuelle minimale de 400 mm pour avoir un rendement intéressant. La culture est limitée au nord de la dorsale et au Cap Bon (Béja, Bizerte, Jendouba, Le Kef, Siliana, Zaghouan et le grand Tunis) où les conditions climatiques sont favorables à cette culture.
Le colza convient parfaitement comme tête d’assolement du type : colza, blé, céréale secondaire. C’est un excellent précédent culturel qui laisse un sol bien structuré, en très bon état, riche en éléments nutritifs et débarrassé des mauvaises herbes.
Les semences utilisées sont des hybrides à très haut potentiel de production, sélectionnés sur de nombreux critères comme le rendement, la teneur en huile des graines, la résistance aux maladies et aux stress biotiques et abiotiques…. Du fait que la graine est de petite taille, la quantité de semence nécessaire est généralement de 4 à 5 kg/ha.
Le colza est une plante fragile qui ne supporte pas la concurrence des mauvaises herbes. Celles-ci doivent être surveillées de prés et plusieurs passages de désherbants sont parfois nécessaires. Les variétés dites « Clearfield » sont résistantes à certains types de désherbants et permettent de lutter contre l’invasion des crucifères sauvages de la même famille que le colza.
Contrairement aux légumineuses qui fixent l’azote, le colza exige un bon apport en engrais azoté, fonction du rendement attendu. Il faut bien raisonner son apport azoté pour éviter le gaspillage et la pollution.
Le rendement moyen en graines dépend de plusieurs facteurs dont la variété, la pluviométrie, la fertilisation et l’efficacité du désherbage et de la lutte contre les parasites et les maladies. En Tunisie, le rendement moyen l’année dernière était de 13 qx/ha avec des pointes chez certains agriculteurs de plus de 30 qx/ha.
Le colza de printemps libère le sol relativement tôt. Ceci permet d’une part une bonne préparation du sol au blé suivant et d’autre part le redémarrage des centres de collecte en attendant la récolte des céréales.
L’année dernière, le prix de base de vente de colza à CG était de 1140 dinars la tonne de graines (pour un prix fixé par l’Etat de 870 et 670 dinars/tonne respectivement pour le blé dur et le blé tendre). Pour l’année en cours, CG garantit un prix de 1250 dinars la tonne (communiqué du 07 octobre 2021)..
Perspectives de développement de la culture du colza en Tunisie
Selon les données de CG, et à l’horizon 2030, il serait possible d’emblaver 150 000ha. Moyennant un rendement 1,6 tonnes/ha, la production nationale en graines de colza pourrait atteindre 240 000 tonnes. Ce tonnage permettrait d’obtenir environ 96 000 tonnes d’huile de colza et 144 000 tonnes de tourteau.
Les besoins de la Tunisie sont estimés à environ 200 000 tonnes des huiles végétales et 450 000 tonnes de tourteaux destinés au bétail. Le colza permettrait ainsi, dans quelques années, couvrir prés de 50% et 25% respectivement de nos besoins en huiles végétales et tourteaux.CG prévoit également une économie importante en devises (estimée à 500 millions de dinars) et une production de 45 000 tonnes de blé supplémentaire induite par le colza comme précédent cultural.
Nos besoins en huiles végétales seront couverts en grande partie par le colza et l’huile d’olive (consommée localement et estimée à 80 000 tonnes) produits localement. Le reste sera facilement couvert par la trituration sur place des graines du soja importé. La consommation des autres huiles huile de palme, de tournesol et de maïs restent très faible (50-60 000 tonnes environ) et sont destinées en grande partie à un usage industriel.
Le développement de la filière colza en Tunisie permettra ainsi de diversifier l’offre en huiles végétales disponibles et d’acquérir une certaine indépendance par rapport au marché mondial de plus en plus sous pression. Il permettra également de créer de l’emploi (direct et indirect), de la richesse et de réduire la sortie de devises.
L’huile de colza est utilisée pour la cuisson à température modérée et à l’assaisonnement des plats et salades. Elle n’est pas conseillée pour la friture à haute température suite à l’oxydation des acides gras.
Pour une filière colza durable
Afin d’assurer le développement et la pérennité de la filière colza en Tunisie, il est important de sensibiliser et mobiliser tous les acteurs intervenant aux différents niveaux de la chaine de valeur allant de la culture au consommateur.
L’Etat reste le principal moteur de la promotion de la filière. Il doit inscrire définitivement le développement de cette culture dans sa stratégie prioritaire de sécurité alimentaire et y mettre la volonté politique et les moyens matériels et financiers nécessaires. Son rôle dans la régulation, le contrôle, la normalisation et la réglementation seront déterminants. L’Office National de l’Huile, responsable du secteur des huiles végétales, doit favoriser les huiles locales et aider au développement de cette filière.
L’agriculteur doit être placé au centre de la démarche. Des efforts de sensibilisation, encadrement, conseil et suivi sont nécessaires surtout qu’il s’agit d’une culture récente et techniquement exigeante. Il faut également définir des itinéraires techniques adaptés (dates et densités de semis, fertilisation azotée, désherbants à utiliser…) en fonction des conditions climatiques, de la variété, de la pluviométrie… Garantir la disponibilité, à des prix raisonnables, des intrants (essentiellement semences de qualité, fertilisants et herbicides) est un préalable pour une bonne saison agricole et la réussite de la culture. Il est fort souhaitable que les agriculteurs s’associent en sociétés mutuelles ou autres forme d’entraide et de coopération pour pouvoir négocier face aux commerçants, industriels et intermédiaires.
Enfin la mise en place d’un programme de publicité et marketing pour la promotion de l’huile de colza portant sur la motivation et la sensibilisation du consommateur aux vertus de l’huile de colza et à l’importance nationale de cette culture doit être envisagé.
Conclusion
La Tunisie présente des conditions agro climatiques favorables à la culture du colza. Bien maitrisée, il est possible d’atteindre un rendement dépassant les 30 qx/ha. Pour y parvenir, il est nécessaire de bien choisir la variété la plus adaptée et de réussir la lutte contre les adventices, les parasites et les maladies. La culture du colza est bénéfique pour le sol et l’environnement.
Le développement de cette culture permet de couvrir une grande partie de nos besoins en huile végétale et tourteau destiné aux aliments de bétail. Ceci permet de réduire nos importations, la sortie de devises et d’assurer une dépendance par rapport aux marchés mondiaux et notre sécurité alimentaire.
Il est nécessaire d’asseoir une filière durable qui regroupe tous les intervenants et centrée sur l’agriculteur. L’Etat a un rôle déterminant en organisant, encadrant et promouvant ce secteur qui permet de créer de la richesse et de l’emploi. La stratégie du développement de secteur doit s’appuyer sur une recherche et une vulgarisation qui doivent soutenir le secteur et répondre aux soucis des agriculteurs et des professionnels.
Une société privée a été et demeure un acteur principal dans la promotion de cette culture. Elle assure l’achat de toute la production de colza et garantit aux agriculteurs des prix avantageux. Elle représente un véritable moteur pour un ensemble d’industriels (usines de raffinage de l’huile de colza, des conditionneurs, des fabricants d’aliments du bétail…) et de commerçants de gros et de détail.
Pour le financement du développement du secteur colza, il est possible d’envisager augmenter le prix de vente de l’huile de soja subventionnée, conditionnée dans les bouteilles en verre, et de réserver une partie des crédits alloués à la Caisse Générale de Compensation réservés aux huiles végétales (plus de 240 MD) aux actions d’aide, de sensibilisation et de formation des agriculteurs. L’huile de soja subventionnée est peu disponible sur le marché. Elle fait l’objet, depuis longtemps au su et au vu de tous, de spéculation et de pratiques mafieuses malhonnêtes.
Ridha Bergaoui
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