News - 25.10.2021

Tunisie: Que doit faire le gouvernement en priorité?

Tunisie: Que doit faire le gouvernement en priorité ?

Par Karim Sethom - La Tunisie est à la croisée des chemins, sur le plan économique la prise de décision a été reportée à maintes reprises, ce qui a entrainé une dégradation de plus en plus grave des indicateurs économiques.

En étalant certains chiffres marquants, il n’est pas dans mon intention de choquer le lecteur, mais plutôt de proposer des solutions pour redresser rapidement la barre, en orientant les décideurs vers les réformes qui s’imposent depuis de nombreuses années.

Si les chiffres présentés ne sont pas objectivement la responsabilité du nouveau gouvernement, il lui incombe de ne pas tarder à engager les réformes nécessaires, on préconise ci-dessous celles qui nous apparaissent comme prioritaires.

Privatisation des entreprises publiques et refonte de leur mode de gouvernance

Selon un rapport du ministère des finances en annexe du projet de loi de finances de 2020, pour un échantillon composé de 80 sociétés publiques sous forme de SA et établissements publiques le total des pertes reportées à fin 2018 atteindrait 9 220 millions dinars, dont 2 341 millions de dinars pour la STEG, 1 477 millions de dinars pour la STIR et 897 millions de dinars pour Tunisair.

Selon ce rapport, 37 entreprises publiques ont enregistré fin 2018 une trésorerie nette négative d'une valeur totale de 5 426 millions de dinars. La STEG est classée au premier rang en termes de faiblesse de la  valeur de la trésorerie nette, qui s'élevait à -1 503 millions de dinars, suivie par la  STIR dont la trésorerie nette a été de -1 227 millions de dinars puis suivie par l’ONH avec une trésorerie nette de -339 millions de dinars.

Vu ce bilan désastreux, il devient primordial que l’Etat se désengage du secteur concurrentiel par la privatisation de plusieurs entreprises publiques comme : El Fouladh, RNTA, MTK, SNDP, Tunisie Télécom, SNIPE, SNR, El Bouniane, Société Tunisienne de Sucre, Les Ciments d’Oum El Kelili, Cimenterie de Bizerte, Siphat, SOMATRA GET, PROMOSPORT etc……

Le produit de la cession de ces entreprises pourra servir à sauver les entreprises ou les établissements qui rendent un véritable service publique, on peut penser à  des actions urgentes tels que:

Renouveler le parc des sociétés de transport régional.

Améliorer les équipements des hôpitaux publics.

Rénover les bâtiments des institutions scolaires et universitaires.

En parallèle, il faudrait revoir le système de gouvernance des entreprises publiques et notamment la composition des conseils d’administration et leurs modes de fonctionnement en suivant certaines pratiques internationales:

L’OCDE recommande que les conseils d’administration des entreprises publiques ne soient plus composés en majorité de fonctionnaires mais essentiellement d’administrateurs indépendants souvent des compétences du secteur privé (universitaires, experts…etc).
Ce modèle a été suivi avec succès par plusieurs pays tels que : l’Allemagne, le Danemark, la  Corée de sud, l’Australie, la Norvège ou les Pays-Bas.

Il est également préconisé que les salariés soient représentés dans les conseils d’administration des entreprises publiques, selon l’OCDE, cette représentation permet aux salariés de participer à la négociation des stratégies tout en gardant à l’esprit les objectifs financiers généraux et l’obligation de service.

L’OCDE recommande que les conseils d’administration soient aussi consultés dans les décisions stratégiques des ministères de tutelle et ne soient plus appelés systématiquement à entériner des décisions des autorités centrales. Cela concerne notamment la décision de nommer la direction générale, de fixer ses pouvoirs et de déterminer son niveau de rémunération.

Mettre en place une stratégie orientée vers les énergies renouvelables

La part de l’énergie renouvelable dans la production d'électricité en Tunisie est de 3%. Comparativement, selon une étude réalisée par Agora Energiewende et le think-thank britannique Ember, 38% de l'électricité produite dans l'Union européenne en 2020 provenait d'énergies renouvelables contre 37% pour les énergies fossiles.

Le Danemark est le champion avec 62% de son électricité générée par le renouvelable, viennent ensuite l'Irlande (35%), l'Allemagne (33%) et l'Espagne (29%).
Pour chacun des exercices 2018 et 2019, le résultat d’exploitation de la STEG est  en moyenne déficitaire de 548 millions de dinars, ce déficit d’exploitation serait chaque année de l'ordre de 1 770 millions de dinars si on faisait abstraction de la subvention d’équilibre de l’Etat.

Le combustible fossile représente 90% du coût de production de l’électricité, ce qui rend urgent de revoir le rôle stratégique de la STEG afin qu’elle devienne progressivement plus un distributeur d’électricité qu’un producteur, ceci en supprimant toutes les contraintes légales et administratives qui continuent à handicaper le développement des énergies renouvelables et faciliter le transfert technologique des investisseurs étrangers.

Supprimer les contraintes en rapport avec l’investissement étranger dans l’agriculture

En Tunisie, le total des investissements directs étrangers destinés au secteur de l’agriculture et de la pêche a atteint pour la période 2010-2017, un montant de 199 millions de dinars soit 1.2 % du total des IDE tous secteurs confondus s’élevant à 16 066 millions de dinars. Ces investissements ont tout de même créé 2 189 postes d’emplois dans 81 projets agricoles ou de pêche.

Il est recommandé de revoir le dispositif législatif en permettant aux fonds d’investissement et aux multinationales agricoles d’investir massivement dans la filière agricole, on peut citer des actions comme:

Donner accès à la location des immenses parcelles de terres domaniales non exploitées.

Supprimer l’interdiction aux sociétés de participer dans le capital social des sociétés anonymes agricoles.

Faciliter le remembrement de terres agricoles à travers des mécanismes financiers qui ont fait leurs preuves dans d’autres pays.

Réforme  profonde de la législation de change

La  plateforme de paiement PayPal compte 377 millions de comptes actifs dans 200 pays. La multinationale déclare traiter par trimestre 235 milliards de dollars de paiements à partir de quatre milliards de transactions effectuées.

Il est désolant de constater que la législation de change actuelle a empêché les entreprises tunisiennes d’intégrer cet énorme espace économique depuis plusieurs années.

Il est urgent de revoir l’intégralité de la législation de change dans un sens large, afin de permettre aux résidents de conquérir les marchés étrangers et de faciliter l’investissement pour les non-résidents, il s’agit des actions concrètes suivantes:

Résoudre la problématique nationale des services de paiement en ligne comme PayPal, Amazoon pay ou Stripe.

Permettre aux banques tunisiennes d’accompagner les sociétés tunisiennes qui obtiennent des marchés à l’étranger.

Supprimer la déchéance de qualité de non résident pour les personnes physiques après deux ans de séjour en Tunisie.

Supprimer les autorisations en matière de change pour la prise de participation des étrangers dans les secteurs non régis par la loi d’investissement.

Refonte de la législation relative à l’importation des voitures

Il est aussi important de supprimer le système de quotas à l’importation des véhicules et réduire les droits de douanes et les droits de consommation à l’importation à un niveau raisonnable qui ne doit pas dépasser le seuil de 20% sans compter la TVA.

L’Etat récupérera ses recettes par l’augmentation de l’imposition directe et indirecte sur les bénéfices issus de la nouvelle dynamique du secteur.
Ceci entraînera une amélioration de l’offre par une plus grande compétitivité entre les concessionnaires, réduira  le vieillissement du parc automobile national et diminuera drastiquement la nuisance du secteur informel.

Faire de la Tunisie un pôle universitaire en matière d’enseignement des TIC

La reconversion du système éducatif pour former plus d’ingénieurs informatiques.

Les besoins ont été estimés par l’UTICA à 20 00 ingénieurs par an.

Cela pourrait passer par la libéralisation de l’investissement étranger dans le secteur universitaire, ce qui en quelques années fera de la Tunisie un des plus importants exportateurs de logiciels et de TIC dans le bassin méditerranéen.

Conclusion

La situation actuelle ne permet plus de retarder les réformes, nous l’avons appris à nos dépens en dix ans de léthargie et de complaisance.

Les solutions sont connues de tous et l’éventail des choix se restreint de jours en jours.

Nous devons avoir une attitude courageuse de visionnaire et cesser d’agir au plus pressant, comme le dit si bien Georges Clemenceau: « Il faut savoir ce que l'on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire, quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. »

Karim Sethom
Expert-Comptable et associé Horizons Audit and Consulting