De Ghomrassen à l'Australie, Ali Karrèche, l'ingénieur qui voyait grand
Mais que fait donc Ali Karrèche, jeune tunisien issu de Souitir, petit village du sud-est tunisien, près de Médenine, à Perth, capitale de l’Australie-occidentale ? Récit d’un parcours jalonné de distinctions et de réussites.
C’est d'un père autodidacte, entrepreneur actif de la région de Ghomrassen, malheureusement parti trop tôt qu’Ali Karrèche dit tenir son esprit de défi, d’ambition et de compétition. L’accident mortel du père laissera des séquelles dans toute la famille qui essaya tant bien que mal de se reconstruire et de poursuivre le chemin. L’entraide familiale ne suffisant pas, Ali fut amené à consacrer ses week-ends et ses vacances à toutes sortes de petits boulots (cueilleur d’olives, berger, ouvrier dans les champs, etc.).
Une passion pour la logique et la technologie
A l’école, Ali n’était pas l’élève brillant qui se distinguait par des résultats exceptionnels. Il n’était pas doué pour les matières littéraires. Néanmoins, il se passionnait pour la logique et la technologie, cherchant toujours à comprendre les principes de fonctionnement des appareils électroniques, réparant tout ce qui lui tombait entre les mains, des poste-radio aux téléviseurs en passant par les mobylettes. Rien d’étonnant donc qu’il se soit fortement épanoui en choisissant la branche Technique. « Là, je me suis retrouvé dans mon monde, raconte-t-il à Leaders. Je suis devenu l’un des meilleurs de ma classe et j’ai commencé à recevoir des certificats de remerciements ».
Doué et travailleur, Ali Karrèche sort major de la section technique de son lycée en 1996. Une distinction qui lui ouvre les portes des meilleures institutions universitaires du pays. Seulement, dans le village de Souitir, peu de personnes pouvaient l’aider à effectuer le bon choix, la plupart des habitants étant illettrés. Et c’est en faisant confiance à son bon sens et son intuition qu’Ali opta pour l’Institut Préparatoire des Etudes d’Ingénieurs de Nabeul qu’il intégra sans problèmes. Mais le niveau d’exigence y était très élevé et les abandons fréquents. Ali se rappelle encore de ces années harassantes au stress éprouvant, où à l’époque le redoublement n’était pas permis.
Ses efforts s’avèrent payants puisqu’il se classe troisième à l’échelle nationale au concours d’accès aux écoles d’ingénieur, une position qui lui permet de rejoindre les rangs de l’Ecole Polytechnique de Tunisie.
Pour le jeune homme issu de Souitir qui vient de passer deux années de travail acharné à l’IPEIN, le cadre de vie de l’EPT apparaît d’un grand luxe : chambre individuelle, bourse conséquente, environnement agréable, … Il profite alors de ces années pour faire connaissance avec la beauté des villes balnéaires de la Marsa et Sidi Bou Saïd, découvrir des trésors comme le palais du baron d’Erlanger et «Beit El Hekma», … mais aussi visiter de grandes entreprises comme la CPG, British Gas, Poulina ou Cofat et partir en voyages d’études en Allemagne. Ali Karrèche garde encore vivace le souvenir de ces années studieuses et de tous ces professeurs qui font le prestige de cette Ecole d’élite tels que Mokhtar Laatiri, Mohammed Jaoua, Taieb Hadhri, Jmaiel Ben Brahim, etc.
C’est à Poulina, en tant qu’ingénieur projets qu’Ali commence sa carrière. Cinq mois après, le voilà parti pour l’Université du Sultan Kabus à Mascat pour faire de la recherche sous la direction du Professeur Abdennour Siebi, lui aussi tunisien. Nous sommes en 2002 et Ali ne compte pas arrêter là son cursus universitaire. Il contacte huit universités françaises qui acceptent toutes sa candidature. Ali choisit alors d’intégrer l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées pour des études approfondies en mécanique des structures et matériaux solides, décrochant même une bourse dans cette grande école. S’ensuivent alors des publications dans des revues scientifiques internationales de renom et même des prix de l’American Society of Mechanical Engineers – Pressure and Piping Division (ASME-PVP) à deux reprises: en 2004 en Californie et en 2005 au Colorado. Le jeune chercheur n’en revient pas, surtout lorsqu’il se rappelle tout le chemin parcouru depuis que, tout petit, il aidait sa modeste famille, frappée d’un grand malheur, à s’en sortir par des petits boulots saisonniers.
Une envie sans cesse renouvelée de se surpasser
Fort de ces distinctions, Ali redouble d’efforts et réalise une thèse à l’UMR Navier à Paris qui portait sur la vibration des matériaux granulaires. Dans ce cadre, il découvre, notamment, une nouvelle méthode de calcul numérique qui accélère la dynamique moléculaire qu’il publie dans des journaux prestigieux tels que Computer Methods in Applied Mechanics and Enginnering ou Granular Matter. Malgré de nombreuses propositions de post-doc à Paris, Ali succombe encore une fois aux sirènes du voyage et du dépaysement en acceptant un poste d’Assistant Professor au Petroleum Institute d’Abu Dhabi.
Il parle de cette expérience en disant : «J’avoue que la vie à Abu Dhabi m’a permis de savourer certains plaisirs. Avec un salaire gonflé, une voiture Chevrolet toute neuve et un appartement de luxe face à la mer pour moi tout seul, j’ai failli oublier le sens de la vraie vie. Je donnais des cours, je m’amusais bien avec mes collègues et amis et je rentrais plusieurs fois par an en Tunisie ».
Mais le petit garçon de Souitir se rend compte, après une année, qu’il n’est pas fait pour vivre dans tout ce luxe qui tue en lui toute créativité et envie d’avancer et de se dépasser. Il postule alors pour un poste de Research Scientist au «Commonwealth Scientific and Industrial Research Organization » à Perth en Australie où il débarque en Mars 2009, se consacrant de nouveau à ses recherches qui portent sur les grandes transformations des matériaux et structures, la thermodynamique des géométraux, l’écoulement dans les milieux poreux, etc.
Ali Karrèche vient d’être nommé «Asjunct Associate Professor» à la «University of Western Australia», l’une des universités les plus respectables au monde. Il a également été « Invited Plenary Lecturer» à une conférence en Ausralie (CSS-TCP 2009) et «Invited Keynote Speaker» à une conférence au Portugal (Geomod 2010).
L’histoire continue pour le jeune villageois venu de son village du sud-est tunisien armé de sa seule passion pour la recherche.
Anissa Ben Hassine