André Parant, ambassadeur de France: La France, partenaire attentif et bienveillant de la Tunisie
«Une visite au total très réussie», affirme l’ambassadeur de France à Tunis, André Parant, à propos de celle effectuée début novembre dernier à Paris par la cheffe du gouvernement, Najla Bouden, la première du genre après le 25 juillet 2021. «La tonalité a été très positive», a-t-il ajouté dans une interview accordée à Leaders. «Toutes les raisons nous poussent, nous confie-t-il, à souhaiter que la Tunisie surmonte ses difficultés et réussisse dans ses efforts de redressement, qu’il s’agisse de la gestion de son économie et de ses finances publiques, ou du fonctionnement de ses institutions».
Au sujet de la situation en Tunisie, l’ambassadeur souligne : «Nous n’avons pas à nous ingérer dans la vie publique tunisienne. En revanche, rien de ce qui concerne la Tunisie ne peut nous laisser indifférents. Par conséquent, nous suivons ce qui s’y passe en observateurs bienveillants, mais aussi attentifs, et vigilants (...) Nous ne commentons pas les décisions qui relèvent de la souveraineté tunisienne, mais nous formulons des espoirs ou des attentes sur certains points» qu’il n’a pas manqué de détailler.
Evoquant l’octroi des visas, il a indiqué que «l’objectif n’est pas de porter atteinte à la mobilité entre nos deux pays, qui est consubstantielle à notre relation ; mais elle doit s’exercer de façon maîtrisée, dans le respect des lois qui régissent l’entrée et le séjour sur notre territoire». «Les discussions avancent » sur les questions touchant à la réadmission des Tunisiens en situation irrégulière en France. «Dès qu’elles seront achevées –nous en avons, de part et d’autre, la volonté– les choses reprendront progressivement leur cours normal. Je ne suis pas inquiet.»
L’entretien avec l’ambassadeur de France a également porté sur l’accompagnement de la Tunisie dans la préparation de ses négociations avec le FMI ainsi que sur l’élaboration des réformes et leur mise en œuvre, la relance des divers autres domaines de coopération et l’encouragement de l’investissement français.
Interview.
Tapis rouge à Paris pour la cheffe du gouvernement...
Ça a été une très belle visite. Le président Saïed avait été convié à deux grands rendez-vous multilatéraux : le Forum de Paris sur la Paix et la Conférence pour la Libye. Mme Bouden, qui le représentait, a rencontré les plus hautes autorités françaises : le Président de la République, Emmanuel Macron, et le Premier ministre, Jean Castex. A l’hôtel Matignon, elle a eu un long entretien - dont une grande partie en tête-à-tête - avec son homologue, pour passer en revue les divers aspects de la coopération bilatérale. La tonalité de ces échanges a été très positive, avec, du côté français, l’expression d’une volonté forte d’appuyer la Tunisie. Par conséquent, une visite au total très réussie.
Quelles sont les prochaines étapes?
Des visites ministérielles auront lieu au cours des prochains mois, dans les deux sens. Pour le moment, je n’ai pas d’annonce précise à vous faire, mais nous y travaillons. Nous attendions qu’un nouveau Gouvernement tunisien se mette en place. C’est désormais chose faite, et la densité de nos liens justifie l’existence d’un dialogue continu.
Où en sont les grands dossiers bilatéraux?
Bien entendu, les entretiens de Mme Bouden à Paris ont porté principalement sur la manière dont la France pourrait venir en aide à la Tunisie dans cette période très difficile, notamment sur le plan économique et financier. La cheffe du Gouvernement a présenté la situation et expliqué la démarche engagée par son Gouvernement pour y faire face. Elle a notamment évoqué le plan de réformes en cours d’élaboration, en concertation avec les partenaires sociaux, dans la perspective des négociations à venir avec le FMI.
Le Président de la République, comme le chef du Gouvernement, ont assuré Mme Bouden du soutien sans faille de la France à cette démarche. Que ce soit dans la phase de préparation du plan de réformes, dans le cadre du dialogue avec le FMI, ou encore au stade de la mise en œuvre des réformes, la France se tient prête à accompagner les autorités tunisiennes si elles le souhaitent. Et je suis convaincu que c’est également le cas de nombreux partenaires et amis de la Tunisie. Mais le temps presse, et il est donc nécessaire d’avancer rapidement.
Et au sujet de la migration ?
Je voudrais insister sur ce point ; nous sommes convaincus de la nécessité de faciliter la mobilité entre nos deux pays. La mobilité, c’est la respiration de notre relation. En 2019, nous avons délivré quelques 150 000 visas à des ressortissants tunisiens, ce qui faisait de la Tunisie le 4e pays au monde pour la délivrance de visas français. Il est vrai qu’ensuite les flux réguliers se sont réduits, mais c’est uniquement du fait de la crise sanitaire.
Donc, la mobilité est consubstantielle à notre relation. Mais elle doit s’exercer de façon maitrisée, dans le cadre des lois qui régissent l’entrée et le séjour sur notre territoire. La contrepartie des mesures que nous mettons en œuvre pour faciliter la mobilité doit être la possibilité de renvoyer dans leur pays d’origine les personnes qui sont entrées illégalement en France et y séjournent de façon irrégulière, a fortiori si elles y ont été condamnées pour des délits ou des crimes, et peuvent représenter un danger pour l’ordre ou la sécurité publics. C’est pour nous un principe non négociable.
De combien de personnes s’agit-il?
Il est difficile de répondre, dans la mesure où le nombre des personnes concernées par une décision d’éloignement du territoire français évolue constamment. Mais s’agissant de la Tunisie, il est de l’ordre de plusieurs centaines de personnes par an, toutes catégories confondues. Je précise que, bien entendu, toutes les mesures d’éloignement sont prises au terme de procédures très longues, menées dans le strict respect des lois et règlements en vigueur, dans le respect aussi des engagements internationaux de la France, et sous le contrôle de l’autorité judiciaire.
Quelles sont les questions qui sont à régler à leur sujet avec les autorités tunisiennes?
Elles touchent à la délivrance par les consulats tunisiens des laissez-passer consulaires, sans lesquels le retour en Tunisie n’est pas possible. Nous souhaitons que plus de ces LPC soient délivrés en plus grande quantité, et plus rapidement. Elles touchent aussi à la possibilité de recourir à des dispositifs adaptés pour les personnes potentiellement dangereuses. Elles touchent enfin à la possibilité, pour les personnes qui refusent de soumettre à un test PCR au départ, d’entrer sur le territoire tunisien dans le respect de règles sanitaires adaptées.
La délivrance des visas d’entrée en France sera-t-elle accélérée?
Encore une fois, il n’y a aucune volonté de la France de remettre en cause par principe la mobilité entre nos deux pays.
Les discussions sur les différents points que je viens d’évoquer avancent. Elles se déroulent dans un esprit d’amitié et de respect mutuel. Elles s’inscrivent aussi dans le cadre plus large défini par notre accord de 2008 sur la gestion concertée des flux migratoires et le développement solidaire.
Dès qu’elles seront achevées –nous en avons, de part et d’autre, la volonté- les choses reprendront progressivement leur cours normal. Je ne suis pas inquiet.
Comment la Tunisie post-25 juillet est perçue par Paris?
Nous ne sommes pas des acteurs de la vie publique tunisienne. Nous n’avons pas à nous y ingérer. En revanche, compte tenu des liens très anciens et profonds d’amitié qui nous unissent, de la densité de notre relation, de nos intérêts dans la région et de l’importance que nous attachons à sa stabilité –qui recouvre pour nous des enjeux majeurs sur les plans économique, migratoire, sécuritaire,… il est évident que rien de ce qui concerne votre pays ne peut nous laisser indifférents.
Par conséquent, je dirais que nous suivons ce qui s’y passe en observateurs bienveillants, mais aussi attentifs et vigilants.
Bienveillants, parce que toutes les raisons nous poussent à souhaiter que la Tunisie surmonte ses difficultés et réussisse dans ses efforts de redressement, qu’il s’agisse de la gestion de son économie et de ses finances publiques, ou du fonctionnement de ses institutions. Et aussi parce que, comme je l’ai dit, nous sommes animés d’une forte volonté d’appuyer la Tunisie dans cette phase déterminante de son histoire.
Dans le même temps, nous sommes aussi attachés à une certaine image de la Tunisie, qui correspond d’ailleurs à la réalité : celle d’un pays tolérant, ouvert sur l’extérieur, moderne, démocratique, respectueux des droits et libertés de ses citoyens… Que la Tunisie ait besoin de se redresser, de se réformer, est une évidence. Mais nous pensons que cela peut et doit se faire sans remettre en cause ce qui fait que, dans le monde entier, la Tunisie est admirée et respectée.
C’est pourquoi, sans commenter des décisions qui relèvent de la souveraineté tunisienne, nous formulons des espoirs ou des attentes sur certains points.
• le respect de l’Etat de droit, des droits et libertés fondamentaux. Même si nous n’avons pas, pour l’heure, de motif grave d’inquiétude à ce sujet, il nous semble important de le rappeler ;
• l’urgence d’accorder aux questions économiques et financières toute l’importance qu’elles méritent, afin de pouvoir démarrer les négociations avec le FMI sur la base d’un plan de réformes crédible Les réformes, c’est toujours difficile. Mais ne pas les faire est plus douloureux, à terme, que de les faire. L’objectif n’est pas de faire plaisir aux bailleurs de fonds. Il est de rétablir les fondamentaux de l’économie et des finances publiques, pour relancer la croissance et l’emploi, et, in fine, améliorer les conditions de vie des Tunisiens eux-mêmes. Les amis et partenaires seront aux côtés de la Tunisie pour l’accompagner dans ce processus. Tous préfèreraient de loin financer davantage de projets d’investissement dans les domaines de la santé, de l’éducation, des infrastructures, que de financer le fonctionnement de l’administration ;
• la nécessité de mener rapidement la réforme des institutions, pour retrouver dans les meilleurs délais un fonctionnement institutionnel normal ;
• de la nécessité aussi, pendant cette période exceptionnelle, d’instaurer un dialogue aussi approfondi que possible avec l’ensemble des forces politiques et sociales du pays, et la société civile, afin que les décisions majeures qui seront prises soient le fruit d’une large concertation.
Voici ce que nous disons, avec l’Union européenne et d’autres. Mais notre seul objectif, je le répète, est le succès de la Tunisie et des Tunisiens.
Comment a été votre première année en Tunisie, depuis votre arrivée en octobre 2020?
Elle a été fortement marquée par le contexte sanitaire, qui a nécessité de ma part et de celle de mes collaborateurs beaucoup de temps et d’énergie. Pour continuer d’assurer le bon fonctionnement de notre important dispositif diplomatique, consulaire, éducatif, culturel,… Pour répondre aussi aux besoins et aux attentes de nos quelques 25.000 compatriotes de Tunisie. Pour satisfaire, enfin, à notre devoir de solidarité envers la Tunisie.
Nous avons ainsi mis en place, dès le début de la crise, des appuis financiers destinés à en atténuer l’impact. Nous avons surtout fourni aux services et personnels médicaux tunisiens les moyens de lutter plus efficacement contre la pandémie.
Nous avons ainsi livré au total quelques 85 tonnes de matériel et équipements divers destinés à équiper les hôpitaux et les personnels soignants. Nous avons aussi pu acheminer, au plus fort de la 4ème vague l’été dernier, plus d’1, 5 million de doses de vaccins contre le Covid-19. C’est quelque chose dont mes équipes et moi sommes extrêmement fiers. Je dois ajouter que tout ce travail n’a pu être accompli que grâce au soutien que nous ont apporté les autorités sanitaires tunisiennes, que je remercie à nouveau vivement.
Et dans les autres domaines?
Malgré la crise sanitaire, nous avons eu à cœur de préserver autant que possible nos actions de coopération en cours, de faire avancer un certain nombre de projets, et de préparer l’avenir avec la tenue en juin dernier du Haut-Conseil de coopération, qui a permis d’identifier de nouvelles pistes et de nouveaux projets.
Même s’il nous faut rester prudent, le gros de la crise sanitaire semble désormais derrière nous. C’est donc le moment de relancer la coopération, autour de l’appui à la mise en œuvre des réformes, mais aussi de priorités sectorielles comme l’éducation et la formation professionnelle des jeunes, l’appui à la création d’entreprises, la santé, l’enseignement du français…
J’ajoute que la relation franco-tunisienne n’est pas portée uniquement par l’Etat. Les entreprises françaises (environ 1500, qui emploient quelques 150 000 personnes) y contribuent aussi fortement. Je constate qu’elles ont fait preuve, malgré la crise et les difficultés qu’elles rencontrent, d’une grande résilience. Elles doivent pouvoir compter sur tout notre soutien.