Tunisie, A la recherche du Sens Perdu
Par Atef Khemiri - Depuis janvier 2011, le peuple Tunisien est en proie aux divisions, incapable de gérer la diversité en son sein. Le rejet de l’autre, devenu endémique, reflète le déficit de maturité d’une classe politique incapable de se hisser à la hauteur des enjeux du moment.
La Politique, processus par lequel un groupe de personnes décide des lois qui le gouvernent, dont la finalité n’est autre que l’accroissement du bien-être, le développement du territoire et la promesse d’un avenir meilleur pour les générations futures, a perdu ses lettres de noblesse.
Qu’en est-il aujourd’hui ? L’espoir né au lendemain du 14 janvier n’est plus que murmure sur les lèvres de ceux qui y croient encore. La promesse de prospérité semble être un mirage. La promesse d’un ancrage démocratique semble être si fragile que n’importe quelle brise d’hiver peut la déraciner.
La colère exprimée le 25 juillet face à la dégradation des conditions de vie est parfaitement légitime. Tout comme l’est la crainte d’un déraillement du train de la construction démocratique. Nous sommes en réalité face à des revendications légitimes de groupes différents ; un groupe à la base de la Pyramide de Maslow revendiquant les besoins basiques (nourriture, sécurité, emploi, santé, etc.) et un autre au sommet de la pyramide revendiquant les besoins d’estime (respect, liberté de pensée, etc.) et d’accomplissement (influence, leadership politique, créativité, etc.). Les deux groupes font bel et bien partie d’un même peuple. Une confrontation entre eux est fatale et ne fera que ralentir, voire bloquer, l’ascension de ceux qui sont à la base et rétrograder ceux qui sont au sommet. La cohabitation est leur destin.
Que faire ? Comment raviver la flamme, l’espoir ? Comment donner envie ?
A mon sens, la crise économique n’est qu’une conséquence de la crise politique, qui à son tour découle de l’incapacité de définir un projet commun. Les réformes économiques et politiques, étant respectivement des réponses techniques et organisationnelles, seront vaines car elles ne traitent pas les causes racines. Il manque un liant indispensable à toute construction nationale.
Dès lors, il est impératif de définir un Sens Commun, une Vision Commune, un Langage Commun et des Projets de transformation Communs. Cet exercice à la fois complexe et Ô combien stimulant, ne peut être que collaboratif nécessitant la conjonction d’efforts intellectuels de tous bords ; philosophes, anthropologues, historiens, partis politiques, Hommes de science et de l’art, etc. C’est un projet de Renaissance !
Etant un projet stimulant, je me lance ! Ce qui suit est une humble contribution à un débat public qui se transformera, je l’espère, en une effervescence intellectuelle qui transformera la chenille qu’est la Tunisie actuellement en un splendide papillon.
Notre Sens Commun: Qui sommes-nous et quels sont nos atouts?
La Tunisie, comme tout pays, est la rencontre entre un peuple et un territoire, une géographie. Le peuple façonne le territoire et l’exploite. La géographie et son climat influencent le tempérament du peuple, dixit la Théorie des Climats défendue par Montesquieu dans l’Esprit des Lois, par Ibn Khaldoun dans Al Mukaddima et par bien d’autres penseurs. Le peuple et le territoire sont dans un dialogue perpétuel.
Il se trouve que la Tunisie se situe au cœur de la Mer Méditerranée. Du temps des anciennes Routes de la Soie, cette mer était excentrée lorsque le centre du monde se situait plutôt à l’est – quelque part entre Constantinople, Bagdad et Samarkand. La découverte des Amériques a replacé la Méditerranée au centre du monde, et nous y sommes depuis. Nous sommes à la jonction entre l’Est et l’Ouest, à la jonction entre le Nord et le Sud. Nous sommes là où il a fallu être, là où il faut être et là où il vaudra mieux être demain !
Cette position géostratégique d’exception, associée à un climat méditerranéen tempéré a fait ce que nous sommes ; un peuple commerçant, ouvert culturellement et à caractère tempéré.
Notre Vision Commune: Comment et que voulons-nous être?
Notre destinée est entre nos mains ! A nous d’exploiter cette position géostratégique d’exception. A nous d’exploiter les qualités intrinsèques de notre peuple. A nous de bâtir des ponts vers d’autres cultures, d’autres cieux et d’autres horizons. Et agissons ensemble, en tant que Nation unie et solidaire, car chacun seul pourra peut-être aller plus vite mais ensemble nous irons certainement plus loin.
Nous voulons, et nous pouvons :
1) Être un pays moderne, tolérant, et où il fait bon vivre.
2) Être un pays ouvert et attractif pour les talents venant d’ailleurs.
3) Avoir un développement économique et territorial en harmonie avec notre histoire et avec la nature.
Notre Langage Commun
Liberté: Liberté de pensée, de conscience, d’entreprendre, etc. C’est le catalyseur de l’ingéniosité de l’Homme.
Citoyenneté: Une citoyenneté vraie, s’exprimant au travers du civisme, de la solidarité, de l’exercice des droits et de l’accomplissement des devoirs, etc.
Démocratie: C’est le mécanisme de gestion de la diversité, peu importe la forme d’organisation des pouvoirs publiques qui en découle.
Morale. Une morale au sens de Kant et de Ibn Rochd avant lui, et non une morale théologique. Une morale basée sur la Raison, sur l’Intellect. C’est cette morale qu’on s’impose individuellement et qui nous permettra de combattre la corruption à la source, qui ressuscitera la Valeur Travail, et qui canalisera la tentation individualiste stimulée par la Liberté.
Nos Projets de transformation Communs
C’est l’ensemble des projets qui nous permettent de concrétiser notre Vision. J’en cite ceux qui me paraissent prioritaires, et la liste est clairement non-exhaustive.
• Mise à niveau de notre Système Educatif et de notre Système de Santé. Les deux chantiers vont de pair. Chaque citoyen a le droit d'avoir une « tête bien faite » dans un corps saint ! C’est la clé de voûte pour une construction solide et résiliente.
• Digitalisation de l’administration afin de simplifier la vie du citoyen et d’accompagner la transformation du pays.
• Désenclavement des zones enclavées par un investissement massif en infrastructures de qualité.
• Arrimage de la Tunisie à l’économie mondiale par un investissement massif en infrastructures portuaires, aéroportuaires et ferroviaires.
• Investissement massif dans l’Education, la R&D et les Nouvelles Technologies, piliers de l’Economie du Savoir.
• Ouverture massive de l’université tunisienne aux talents venant d’ailleurs.
• Changement de paradigme économique, au nom de la Liberté d’Entreprendre ; tout est permis sauf ce qui est interdit, et non l’inverse.
Enfin, compte tenu du marasme actuel en Tunisie, est-ce raisonnable de croire en un lendemain meilleur ? Chaque jour, des milliers de chenilles se métamorphosent en papillons, par étape et selon un cycle prédéfini. La chenille Tunisie n’échappera pas à son destin ; elle se métamorphosera et le papillon prendra inéluctablement son envol.
Atef Khemiri