Tunisie : Les oublis du Président Kaïs Saïed
Par Slaheddine Dchicha – Le Président Kaïs Saïed a préféré anticiper et parler à la nation le 13 décembre au lieu du 17 comme prévu initialement. Ce faisant, il a pris de court tous ceux qui étaient dans l’attente, réservant ainsi le 17 décembre à la commémoration de la révolution et éventuellement à la communion avec la foule.
Le discours comme prévu a suscité différentes réactions: les opposants y ont vu une officialisation de la dissolution de l’Assemblée des Représentants du Peuple et le début d’une véritable dictature et certains, notamment à l’étranger, y ont reconnu des envolées d’inspiration kadhafiste. En tout cas, les puissances occidentales, le G7, tout en réitérant leur appel à un retour à la «transition démocratique», ont perçu un bon début sur ce chemin grâce au calendrier proposé qui s’articule autour de trois dates:
• Du 1 janvier au 20 mars 2022: il sera procédé à une consultation populaire sur les réformes à entreprendre à travers des débats locaux directs et surtout à distance au moyen d’une plateforme électronique.
• Le 25 juillet 2022: les réformes ainsi recueillies et retenues seront soumises au vote par voie de référendum
• Le 17 décembre 2022: organisation d’élections législatives.
Pendant cet intervalle de temps la lutte contre la corruption est censé continuer et s’accentuer.
Cet agenda qui s’étend sur une année laisse du répit au Président et semble rassurer les Occidentaux et en premier lieu les Etats-Unis d’Amérique par la voix du porte-parole de leur Département d'État Ned Price, mais il risque d’épuiser la patience des premiers intéressés, les oubliés du Président.
Tout le monde le sait, Kaïs Saïed demeure très populaire mais on dirait qu’il a oublié sa base qui est composée, faut-il le rappeler, de 90% des électeurs de 18 à 25 ans, qui espéraient par son élection faciliter leur intégration sociale et leur insertion dans le marché de travail. Or ces jeunes en proie au chômage et au désespoir projettent, du moins un sur cinq parmi eux, selon la plus récente des enquêtes (8 décembre), de quitter le pays par tout moyen et aller grossir au pire le nombre des perdus en mer et au mieux les rangs des clandestins et donc des corvéables à merci en Europe.
Tout le monde sait aussi que Kaïs Saïed a promis de combattre et de réduire les inégalités sociales et régionales attirant ainsi un électorat pauvre et marginalisé qui espérait le voir faire baisser le prix du pain, de la viande, des légumes, des fruits et ainsi mieux vivre ou du moins survivre… Or les inégalités se sont aggravées et les populations laissées pour compte ont vu leurs conditions de vie se dégrader encore plus. Ainsi, les préoccupations immédiates de ces populations - qui le plus souvent ne disposent ni d’eau courante, ni d’électricité - ne sont ni la constitution, ni la loi électorale, ni les élections mais manger à leur faim, survivre…En effet, selon la Banque mondiale, 1,7 million de Tunisiens vivent en dessous du seuil de pauvreté avec 7 dinars par jour, dont une partie (500000) dans l’extrême pauvreté avec seulement 4 dinars par jour.
Ces jeunes, ces miséreux auxquels on peut ajouter la portion appauvrie des classes moyennes ne semblent pas prêts à attendre encore… ils ne semblent pas enclins à participer au jeu politique voire politicien proposé: les uns parce qu’ils n’ont pas compris l’arabe littéraire et châtié de KS, les autres parce qu’ils ne disposent pas d’ordinateurs ou parce qu’ils sont victimes de la fracture numérique… et la majorité par désespoir.
Et Kaïs Saïed de risquer de se retrouver seul. Seul face à ses opposants. Seul face au Peuple qu’il chérit tant. Seul dans un pays qui hésite entre le Titanic et le Radeau de la Méduse.
Slaheddine Dchicha
- Ecrire un commentaire
- Commenter