Mohamed Salah Ben Ammar: 2021, une année en trompe l'œil
Sans conteste, la pandémie mondiale Covid 19 a continué de rythmer nos vies en 2021. Elle a imposé ses hauts et ses bas, de courtes périodes d'espérance et d'interminables périodes de grande lassitude. Les douleurs causées par les pertes cruelles de parents, d’amis et de centaines de tunisiens sont encore vives. Longtemps encore, elles impacteront nos vies. Malgré les différences, chaque continent, chaque pays, chaque région a eu son propre ressenti. Entre le vécu et le perçu des fossés se sont creusés, les politiciens et les médias sociaux sont pour beaucoup dans cette dissociation. A un moment ou un autre chacun a eu la conviction d’être plus impactés que le voisin par le virus, ou alors d’avoir été sauvé grâce au dynamisme d’un héros national autoproclamé ! Pourtant, il suffisait de regarder autour de soi et de se remémorer de la chronologie des vagues précédentes, souvent ce n’était qu’une question de décalage entre la survenue des évènements ici et ailleurs. Telles les vagues de la mer qu’on voit venir au loin, le virus jouait avec nos nerfs, il mutait pour mieux survivre et donc nous envahir un peu plus mais passé l’effet de surprise les humains (le corps humain) ont aussi appris à se défendre contre ce fléau.
C’est donc sans surprise que notre région, Afrique et Moyen Orient (à l’exception des pays du golfe), qui a été relativement épargnée dans un premier temps par le Covid, a eu les plus mauvais résultats en termes de vaccination et de prise en charge des malades.
L’indécence des démagogues et autres potentats locaux n’a pas eu de limites. Ils ont dénoncé les insuffisances des systèmes de santé pour mieux mettre en valeur leurs actions. Les pénuries d’oxygène, de lits, de vaccins ont été exploitées sans retenue. Pas de jaloux, chaque pays a eu droit à son sauveur.
Dans les pays riches l’argent a coulé à flot. La planche à billets a permis de financer les programmes de soutien aux entreprises en difficultés, les primes aux catégories professionnelles et autres, les subventions etc…Là où on peinait à trouver quelques milliers de dollars ou d’euros, des millions quand ce n’est pas des milliards ont été déversés.
En Tunisie comme ailleurs, on aime trouver des réponses rapides à nos inquiétudes. Si possible des réponses simples, elles sont les plus rassurantes. Les crises sociales, économiques, sanitaires ont trouvé un bouc émissaire, c’est la décennie noire 2011-2021. Voilà c’est acté la descente aux enfers dans notre pays a commencé le 14 janvier 2011, "le jour où les contre-révolutionnaires se sont emparés du pouvoir au détriment du peuple". Qu'à cela ne tienne !
Toujours suivant la même logique simpliste, le 25 juillet 2021 a été le jour de la délivrance du mal. Il est tellement grisant d’avoir l’impression d’écrire l’histoire ! L’ANC, La TROIKA, l’ARP et le gouvernement, des cauchemars. La colère, l’exaspération et le désespoir des citoyens avaient réellement atteint des niveaux effrayants. Comme par miracle, l'oxygène et les vaccins qui nous faisaient tant défaut sont arrivés et la vague renflouait. Cela ne s’invente pas !
En revanche rien à signaler pour le moment du côté de l’économie et la crise sociale.
La moiteur d’un été qui s’annonçait morose, d’un coup de baguette magique, s’est transformée en une légère et délicieuse brise méditerranéenne.
Au diable la crise économique, la dette, les faillites, les fermetures d’usines et de PME. De négligeables détails. Le chômage, un sujet secondaire, tous les défis pouvaient être relevés grâce à cette nouvelle ère qui s’annonçait où des hommes purs et dévoués allaient se mettre au service du peuple.
Aveuglés par leurs agendas, leur détestation de l’autre et en particulier d’Ennahdha, rares sont ceux qui ont réalisé immédiatement la pente dangereuse sur laquelle a été mis le pays.
Un trip de neuf semaines et puis un soir sans crier gare, un 22 septembre, est arrivé le décret 117. Synonyme d’un retour à la réalité pour certains et de concrétisation du projet politique pour les autres.
Trois jours plus tard, soit le 25 septembre, Ennahdha implosait. C’était attendu depuis longtemps. Plus de cent membres et non des moindre, du parti islamiste ont quitté le navire. Plus importantes étaient les raisons pour lesquelles ils partaient. Certes la question du leadership a été leur principale motivation mais la remise en question de l’islam politique était là aussi. Légitimement on peut douter de la sincérité de certains d’entre eux mais le fait est que c’est une évolution notable. La démocratie n’est rien d’autre que cela. C’est la confrontation avec la vie démocratique qui a permis cette évolution.
Elle apaise les tensions et les écarts idéologiques dans une société. Grâce à l’exercice alterné des responsabilités, la société absorbe ses différences et les intègre dans la république. A l’inverse, la brutalité des décisions martiales, les mises à l’écart alimentent les extrêmes. Elles divisent. Peu réalisent encore à quel point la situation créée par les décisions prises le 25 juillet puis le 22 septembre et le 13 décembre ne nous aideront pas à sortir le pays de l’impasse, au contraire elles nous isolent sur le plan international et elles sont porteuses des germes de la division.
Le 11 octobre, sans parlement et sans gouvernement depuis de deux mois et demi, le pays s’est enfin doté d’une équipe gouvernementale à priori composée de technocrates. A priori, car dans plusieurs postes clés ont été nommés de fervents défenseurs du projet présidentiel. Ministre est une fonction politique, rien d'autre. Les décisions ministérielles et leur mise en œuvre sont la quintessence des choix politiques. La valse observée des hauts fonctionnaires en est la criante illustration, elle n’a d’autre objectif que de mettre de fidèles exécutants aux postes clés. Et la mise à l’écart des partis et des politiciens n’est en fait qu’une substitution d’une équipe politique par une autre tout aussi politisée.
Un soir, le 13 Décembre, l’agenda des rendez-vous politiques de 2022 a été annoncé par surprise. Ces dates ont été décidées de façon unilatérale sans aucune consultation.
Pour conclure, j’aurais presque tendance à dire, 2021 une année à oublier ! Pourtant si on l’oublie elle, elle ne nous oubliera pas tant les décisions prises en 2021 continueront à impacter nos vies et pour longtemps.
Bonne et heureuse année 2022 à toutes et à tous.
Mohamed Salah Ben Ammar