Tunisie : Que reste-t-il de 2021?
Par Rym Ghachem Attia - Oui, nous avons eu le 25 juillet et son lendemain. Nous y avons cru. C’était beau ce renouveau et l’exclusion des islamistes et de l’Assemblée.
Oui, mais après ?
Nous pouvons dire, qu’au niveau sanitaire, nous commençons à nous en sortir: plus de 50% de vaccinés. Le peuple commence à être convaincu. Quelle joie quand je remplis un formulaire de voyage et que je mets «Tunisie» et qu’on me dit « pays non à risque ». Je suis fière.
J’aime ce pays, j’aime mes concitoyens. Nous nous aimons. Et je ne suis pas «candide». Ils ne sont pas méchants, ils sont tristes, parfois aigris mais très réactifs. Il suffit de donner de l’espoir au tunisien et il se remettra en route.
Nous n’avons pas assez exploité notre richesse. Oui, cette jeunesse, il faut la canaliser. Cette jeunesse, qui sait manier les ordinateurs, qui sait aller d’un bout du monde à l’autre en un clic, nous devons la garder chez nous. D’ailleurs, même à l étranger, ils sont nos meilleurs ambassadeurs.
Il y a de la place pour tout le monde. Arrêtons «les extrémismes» de toutes parts et le dogmatisme, et devenons pragmatiques. La Tunisie est un pays où «si on veut on peut» tout faire.
L’exemple le plus parlant est le cinéma tunisien de 2021. Je suis estomaquée par notre production et le dernier en date est «communion» de Nejib Belkadhi. C’est l’art d’expliquer la psychose et la pandémie. Le film est certes angoissant, mais si bien joué. «L’homme qui a vendu sa peau», «mon fils» et tant d’autres montrent le génie tunisien.
Le feuilleton «Harka» m’a marqué, il rapporte la difficulté de ces jeunes africains (nous sommes africains). Ils n’arrivent pas à trouver un avenir dans leur pays, mais les horizons des pays qui les accueillent sont loin d’être aussi mirobolants qu’ils le croient. Ils travaillent dans l’illégalité, la geôle les attend souvent, et rien n’est certain.
Seuls la culture, l’art arrivent à nous faire de passer ce marasme ambiant. En voyant la richesse de la production ramadanesque, je suis épalée. Oui, nous pouvons et nous nous devons d’avancer, d’améliorer. Néanmoins cette production est trop dramatique. Le même jour, soit le 16ème jour, deux meurtres: un père et une cousine. Pourquoi toute cette violence dans ces moments difficiles que nous vivons ? Que voulons-nous transmettre à cette jeunesse: la haine, la vengeance et surtout la violence ?
Au niveau médical, que de médecins tunisiens brillent ici et ailleurs. Je ne peux pas ne pas citer notre maitre Maher Ben Ghachem un monument de l’orthopédie. Il en a sauvé des familles. Oui c’était quelqu’un. Il pouvait et avait le droit d’être prétentieux car comme il le disait quand j’étais externe «je suis le meilleur».
Pour le théâtre, nous avons l’école de Taoufik Jebali et Zeineb Farhat. Zeinouba, que nous avons aussi perdu cette année. Cette femme, au cœur d’or, était là pour tout le monde, elle donnait sans se poser de questions. Une dame d’un humanisme sans égal.
Je n’ai cité que les personnes décédées, car pour les vivants je ne pourrais pas les citer tous et toutes.
Les tunisiens brillent partout et pourquoi pas chez nous, l’herbe n est pas plus verte ailleurs.
Nous avons un gouvernement, sans parti pris et à double sens. Peut-être que nous ne voyons pas encore les fruits du travail de cette élite. Oui, c’est une Elite. Ils sont honnêtes, irréprochables et qualifiés. Ils me représentent beaucoup plus que cette assemblée.
Je suis optimiste pour 2022. Il nous suffit de nous serrer les coudes, de nous mettre au travail et d’essayer de mettre en valeur nos ressources.
Nos hôtels devraient se transformer en «ehpad» et accueillir des personnes âgées étrangères. Nos médecins pourront y travailler et nous pourrons offrir à ces vieilles personnes une magnifique fin de vie. J’ai visité plusieurs maisons de retraite et j’ai été surprise par la bonne qualité de la prise en charge.
Je suis sûre que beaucoup de tunisiens pourraient fructifier leurs expériences et faire multiplier des projets.
Et ne soyons pas dans la non-assistance à pays en danger et jeu d’enfant.
Depuis quelques temps, tout groupe, toute association devient ingérable et nous avons davantage à gérer les relations interhumaines que les objectifs de l’association pour lesquelles nous nous sommes engagés. Cette situation devient pénible, intenable. Nous sommes dans une situation stérile, paralysante et inquiétante pour notre pays. Chacun veut affirmer son pouvoir par «c’est moi qui commande». Oui, commandez; oui, prenez vos responsabilités, ne laissez pas ce pays s’endetter et s’empêtrer.
Le Tunisien n’aime pas la guerre ni les armes, il a un tempérament pacifique. Il a deux buts en général : avoir une maison et un enseignement pour procurer un avenir dans ce monde à ses enfants. Cette responsabilité est impossible aujourd’hui. Nous ne pouvons plus rien prévoir, ni rien maitriser au niveau mondial.
J’ai vu une dame d’un niveau intellectuel supérieur qui pleurait de toute son âme ce pays. Elle y avait cru à cette révolution, à cette transformation. Mais là, elle n’y croit plus. Elle a même fait de la politique, elle s’est vraiment engagée. Mais, elle aussi, a dû gérer le quotidien des disputes entre les uns et les autres et elle ne servait que de filtre pour interdire le passage des lois dangereuses pour la Tunisie.
Que de femmes se sont engagées sans pour autant apparaitre. Elles ont passé des heures, des jours afin d’essayer de sauver ce qu’elles pouvaient. Mais la lassitude prend le dessus et beaucoup se sentent impuissantes devant l’immaturité des uns et des autres.
Il est vrai que ces violences existent mais elles existent partout, et l’impuissance se fait sentir. Cependant, les valeurs ont changé au niveau mondial. L’égocentrisme n’est pas que tunisien.
Il y a un jour qui m’a marqué, c’était le mercredi 15 novembre. A midi, la rumeur dit qu’il n’y allait plus avoir d’essence. D’un coup, toute la Tunisie était bloquée. On crie, on gueule, on klaxonne de 12h à 16h. A 16h, débute le match: Tunisie – Égypte. A 18h, c’était des klaxons de joie et de fierté. Vous voyez, un rien peut libérer notre joie et transformer un peuple.
Messieurs et Mesdames les gouvernants, nous avons confiance en vous même si nous sommes les 0,
Nous aimons notre pays et nous ne partirons pas. Nous y mourrons. Mais donnez-nous des messages d’espoir, même si nous n’attendons pas l’homme providence. Nous sauverons notre pays.
Rym Ghachem Attia