Le combat d’un résistant septuagénaire palestinien écrasé par une voiture de police de l’occupant
Par Mohamed Larbi Bouguerra - Israël ne s’embarrasse d’aucun texte ni d’aucune décision internationale**. Son armée, ses gardes-frontières et sa police assassinent impunément femmes, enfants, personnes âgées sans que nul n’élève la voix pour condamner ce nettoyage ethnique au XXIème siècle alors que la Palestine est le seul pays occupé sur cette planète et où s’exerce un apartheid monstrueux.
Dans Haaretz - quotidien israélien- du 14 janvier 2022, Gideon Levy montre, à travers la tragédie qui a frappé le septuagénaire Souleiman Hadalan, l’ignoble et large panoplie de sévices que l’occupation israélienne inflige, au quotidien, aux Palestiniens. Ceux-ci, en dépit des plans machiavéliques des sionistes résistent toujours. Résistance. Résistance for ever.
Un homme a l’article de la mort
Dans le service de soins intensifs de l’hôpital Al-Mizan à Hébron, Souleiman Hadalan est sous sédation et intubé, une profonde entaille à la tête. Personne n’est autorisé à entrer dans sa chambre. Ses trois filles et ses sept fils sont cependant là. On ne sait pas quel âge exact a Hadalan. Sa carte d’identité indique 65 ans, mais il dit depuis un certain temps qu’il a passé la barre des 70 ans il y a quelque temps et que les données d’identification sont fausses.
Hadalan est un berger et un résistant. C’est un militant bien connu de l’occupation dans son village non reconnu d’Umm al-Khair dans les collines du sud d’Hébron. Il n’y a pratiquement pas de manifestation ou d’acte de résistance dans cette région assiégée et éloignée qui se déroule sans sa participation. «Il est l’horloge du village», dit – en bon hébreu- son fils Eid.
Hadalan est dans un état végétatif depuis qu’il a été heurté par une dépanneuse travaillant au service de la police israélienne la semaine dernière, sur la route menant à son village. Le camion était venu saisir des voitures palestiniennes sans plaques d’immatriculation. Un clip vidéo pris par un villageois a montré le policier qui accompagnait la dépanneuse dans un véhicule militaire blindé jetant des pierres plus tôt sur les vitres des voitures afin qu’il puisse atteindre l’intérieur et ouvrir leurs portes, comme le pratiquerait un voleur de voiture.
Souleiman Hadalan voulait arrêter la dépanneuse alors qu’elle avait déjà chargé trois voitures, mais son conducteur a accéléré, l’a frappé et a traîné son corps sur plusieurs mètres sur l’accotement sablonneux de la route, jusqu’à ce que Hadalan tombe du camion, le corps en sang. Les deux véhicules de police ont ensuite accéléré sans porter aide à Hadalan, procédant comme les pires contrevenants du délit de fuite, le laissant au bord de la route, le sang suintant de sa tête.
Les poules israéliennes ont l‘électricité mais pas les palestiniens
Pour Gideon Levy, il est évident que si les auteurs n’étaient pas des policiers et si l’homme blessé était juif, les délinquants auraient été traduits en justice au moins pour avoir quitté la scène d’un grave accident, commettant un délit de fuite. Mais les personnes impliquées dans cette affaire étaient un policier et un soldat israéliens dans une jeep de l’armée, avec un chauffeur civil travaillant pour la police dans une dépanneuse, et la personne touchée était un Palestinien plutôt âgé. Par conséquent, la loi – en fait, aucune loi – ne s’applique au conducteur ou à ses escortes.
Umm al-Khair se trouve sous la colonie de Carmel, dans le sud de la Cisjordanie, ses tentes jouxtant la clôture de la colonie. L’électricité est fournie aux colons via un câble qui descend jusqu’à leur poulailler ultramoderne et traverse ce qui reste de la terre appartenant à Umm al-Khair après que des pans entiers de celle-ci ont été volés par les colons. Les poules ont l’électricité, mais pas les 36 familles palestiniennes, quelque 200 âmes du hameau.
Le parcours d’un résistant
Souleiman Hadalan est né sur cette terre, que son père a achetée en 1962 à des habitants de la ville palestinienne voisine de Yatta. Le grand-père de Souleiman avait été forcé d’errer ici avec sa famille et ses troupeaux, comme le reste de la tribu bédouine Jahalin, qui a été expulsée de Tel Arad, en 1948, à la création d’Israël. L’administration civile des territoires occupés a démoli les tentes des habitants 16 fois – presque toutes les structures ont un ordre de démolition suspendu au-dessus de leur tête maintenant – mais le village est toujours là. Résistance. Résistance for ever !
Pendant environ six ans, une lutte à grande échelle a été menée ici pour un petit four en pierre (tabun). L’arôme émanant du tabun chatouillait désagréablement les narines des colons du quartier – américains, sud-africains, russes ou français, allez savoir- et ils ont exigé sa démolition. Ces colons ont poursuivi en justice les Palestiniens et ont exigé une indemnisation. Les bergers d’Umm al-Khair ont cherché à prouver au tribunal que la fumée du tabun n’a aucun effet cancérigène – comme allégué par des colons impudents– parce que les villageois ne brûlent que les déchets organiques de mouton pour alimenter leur tabun. La moitié du haut commandement des Forces de défense israéliennes s’est présentée pour voir le tabun, qui a finalement été démoli en 2014. Mais comme presque tout le reste ici, a été reconstruit, bien sûr. Résistance. Résistance for ever.
Souleiman Hadalan a accompagné toutes les luttes. Après des années de travail manuel dans les colonies et en Israël, et sans s’intéresser à l’occupation. Mais l’occupation est venue à lui et lui a rendu la vie infernale – «et Don Quichotte Hadalan a entrepris de s’y opposer» écrit Gideon Levy. Le tournant s’est produit après l’éruption de la deuxième Intifada au début des années 2000, lorsque les colonies ont refusé l’entrée aux travailleurs de la région.
Hadalan s’est retrouvé dans une situation désespérée et est devenu le grand résistant face à l’occupation dans les collines du sud d’Hébron. Il a tenu les barricades et bloqué les bulldozers, il est monté sur les seaux des chargeuses-pelleteuses, il a protesté au nom des prisonniers palestiniens et des grévistes de la faim. Il n’y a pratiquement pas d’opération locale de démolition, de confiscation ou d’arrestation ces derniers temps qu’il n’a pas essayé d’empêcher physiquement. La police et les troupes de l’armée avaient toutes entendu parler de lui et savaient qu’avant toute chose, en arrivant sur les lieux, elles devaient éloigner Hadalan.
Mais il était toujours là, appuyé sur sa canne, sa barbe blanche flottant au vent, tenant parfois un drapeau palestinien. Il a été placé en détention des dizaines de fois mais a toujours été libéré après quelques heures (à une exception près, lorsqu’il a été incarcéré pendant 10 jours), car, comme le note son fils Eid, il n’a jamais eu recours à la violence, il n’y avait donc rien à lui reprocher.
Entre-temps, le troupeau d’ovins de Souleiman Hadalan avait également diminué comme peau de chagrin.
L’expansion des colonies et des avant-postes de colonies sauvages dans la région ainsi que la saisie par les colons de plus en plus de terres- outre les terres perdues car déclarées «zones de tir» par l’armée d’occupation- ont laissé peu de place au pâturage pour les moutons de Hadalan. De 1 500 moutons il y a quelques années, sa famille élargie n’en compte plus que 200. Et cela aussi a incité Hadalan à continuer à mener sa lutte.
Eid, 38 ans, un berger comme son père, parle hébreu et raconte. Personne ne peut offrir une description plus vivante de l’homme âgé qui se bat maintenant pour sa vie à l’hôpital. Au cours des dernières années, Eid a essayé de raisonner son père mais en vain. Il a dit à Souleiman qu’il n’était plus jeune et qu’il mettait en danger sa santé – en fait, sa vie même. Mais cela n’a servi à rien.
«C’est un gars très têtu», dit Eid, «et aussi un gars très gentil. Différent, mais intelligent. Il n’est pas violent, mais résiste tout le temps. Il dit toujours qu’il veut déranger les forces de l’occupation comme elles perturbent sa vie.»
Le mercredi 5 janvier, Souleiman a assisté aux funérailles d’un parent dans une communauté pastorale voisine. Il est revenu à midi et est allé s’occuper des moutons. «Il ne reste jamais sans rien faire», nous dit Eid lors de notre visite à sa tente cette semaine. «Il nourrit les moutons, nettoie leurs enclos, nourrit les chiens de berger, ne s’assoit jamais.» Alors qu’il était à la maison, après la prière de l’après-midi, Souleiman a soudainement remarqué un véhicule de police et une dépanneuse, transportant déjà trois voitures confisquées, descendant de l’école du village vers la route principale. Les membres de sa famille ont mis en garde Souleiman contre les sorties, mais naturellement il les a ignorés.
Son fils était dans l’oued avec les moutons à l’époque. Il dit qu’il ne se pardonnera jamais de ne pas avoir été à la maison – peut-être aurait-il pu dissuader son père de partir. Les mashtubas (voitures palestiniennes ciblées par la police) quittent rarement les confins des villages parce que leurs chauffeurs savent qu’elles seront confisquées par les occupants israéliens. Les traîner hors des ruelles des villages éloignés est un autre moyen de tourmenter les Palestiniens et de faire la preuve de les contrôler.
Souleiman a traversé l’oued et est monté vers la jeep de la police et la dépanneuse. Les véhicules étaient garés sur les côtés de la route, le camion à gauche, la jeep à droite, à quelques centaines de mètres de la maison de Souleiman.
Souleiman se tenait en face de la dépanneuse. Soudain, le véhicule a commencé à se déplacer – lentement au début, parce qu’il avait été garé sur une légère pente. Le conducteur a-t-il remarqué Souleiman ? Des témoins oculaires du village sont certains qu’il l’a fait. Après tout, Souleiman se tenait devant lui. Le policier-conducteur de jeep l’aurait vu aussi, selon des témoins oculaires. La police a affirmé par la suite que des pierres avaient été lancées à ce moment-là et que le conducteur de la dépanneuse avait tenté de fuir pour sauver sa vie. Eid dit que les jets de pierres n’ont commencé qu’après que son père a été touché, un incident que tout le monde dans la région a vu et qui a beaucoup affligé les villageois.
Un clip vidéo tourné de loin montre les deux véhicules fuyant rapidement les lieux, vers l’autoroute principale : le camion a renversé Souleiman au sol, l’a écrasé et l’a traîné sur quelques mètres, la tête cognant contre les pierres, jusqu’à ce qu’il tombe au sol et que le véhicule s’éloigne. De l’oued, son fils a entendu des coups de feu : le soldat dans la jeep de la police a tiré en l’air pour chasser les villageois indignés ; l’agent avec lui a ouvert la porte de leur jeep pendant un moment, mais l’a fermée immédiatement. Les deux véhicules ont disparu. Au moment où Eid a atteint le site, son père avait déjà été emmené à l’hôpital.
KarIm Issa Jubran, directeur de la recherche sur le terrain pour l’organisation israélienne de défense des droits humains B’Tselem, s’est rendu sur les lieux le lendemain et a trouvé non seulement des taches de sang au bord de la route, qui étaient encore visibles cette semaine, mais aussi des fragments du crâne de Suleiman et quelques-unes de ses dents. Spectacle brutal. Une voiture privée a transporté le blessé dans une clinique à Yatta, et de là, il a été emmené dans une ambulance palestinienne à l’hôpital d’Hébron, non loin de là.
Immédiatement après l’incident, un communiqué de la police israélienne a été publié indiquant qu'« un Palestinien qui a apparemment couru vers la dépanneuse a été blessé et emmené pour être soigné par le Croissant-Rouge»….. Alors que les forces se déplaçaient pour partir alors que des pierres leur étaient lancées, l’un des émeutiers a sauté sur la dépanneuse, est tombé au sol et a été blessé. Dans la situation qui a été créée, dans laquelle une foule militante a concrètement tenté de nuire à la force en question, il était impossible d’arrêter et d’aider la personne blessée. La police israélienne et Tsahal ont une vision très grave de cette tentative de nuire aux forces de sécurité et d’entraver les activités de routine, et agiront avec détermination pour imposer une gouvernance. »
Pas un mot sur quelqu’un qui s’est fait écraser
Eid Hadalan réfute les affirmations de la police. «Disons qu’ils n’ont pas blessé Souleiman délibérément. Alors, appelez l’armée et appelez une ambulance ! Je ne comprends pas comment la police peut fuir les lieux d’un accident de la route. Imaginons que c’était un Juif qui a été blessé, qu’à Dieu ne plaise. Que feraient-ils ? Appelez l’assistance médicale. Vous appelez une ambulance. Un hélicoptère. La famille est certaine qu’il a été délibérément frappé. Je ne sais pas. Il faut faire une enquête. Alors pourquoi n’enquêtent-ils pas ? La police a des caméras corporelles. La dépanneuse doit être examinée. Mais la police veut couvrir l’incident.»
La famille est maintenant à l’extérieur de la chambre de Souleiman à l’hôpital, jour et nuit. Son crâne a été fracturé, sa colonne vertébrale blessée, une côte appuie sur son poumon et il a une hanche cassée. Les médecins pensaient qu’il mourrait immédiatement, nous dit Eid maintenant.
«En tant que famille, nous sommes prêts à faire face à tous les scénarios. Nous nous sommes préparés », ajoute-t-il. « Quand j’ai appris que Souleiman avait été touché, j’ai pensé que le rétroviseur du camion l’avait touché. Quand je suis arrivé sur les lieux, on m’a dit : « Ton père a été écrasé et est mort.»
Mohamed Larbi Bouguerra
** Lire « Résolutions de l’ONU non respectée par Israël », Le Monde Diplomatique, février 2009, p. 11-13.