Rym Ghachem Attia: Sauver notre santé mentale
Depuis quelques temps, l’hôpital Razi est sous la pression des médias, des parents et de la justice par rapport aux malades mentaux ayant commis un acte jugé illégal et considéré comme faisant partie d’une pathologie psychiatrique.
Il s’agit souvent d’un acte d’homicide, d’incendie, de pédophilie, d’infanticide ou de matricide. Ces patients sont évidemment des malades, ils ont droit aux soins, c’est un droit universel constitutionnel.
La moyenne d’hospitalisation est d’un minimum de dix ans mais la sortie du patient est souvent impossible. La famille qui a souvent été victime a peur. Le peu de structures ou de foyers d’accueil n’en veulent pas, ils ont peur de ces patients et l’hôpital ne peut se permettre de lâcher ces patients dans la nature.
Leur lourde pathologie comprend une maladie chronique et le traitement est à vie. Les familles sont dépassées tout comme les structures de soins.
Que faire?
Il faut créer comme dans tous les pays du monde des services sous la tutelle de la Justice, de la Santé et des Affaires Sociales qui prendraient en charge ces malades stabilisés mais néanmoins dangereux.
Autre problème de taille : depuis 1992, les services habilités à recevoir des malades en hospitalisation libre reçoivent aussi des hospitalisations sans consentement. En effet, entre 1990 et 1992, nous sommes passés du psychiatre sans loi au psychiatre hors la loi. Une loi a été instaurée concernant les hospitalisations des malades ayant des troubles mentaux (loi 92/83).
Cette belle loi qui date de 30 ans préconise deux grands modes d’hospitalisation : le mode libre et le mode sans consentement. Le mode libre est utilisé pour les malades qui acceptent les soins et le second mode qui est sans consentement est destiné aux malades qui n’acceptent pas les soins, qui nécessitent des soins urgents et qui ne peuvent donner leur consentement.
Néanmoins, les structures pour accueillir ces deux types d’hospitalisations n’ont pas été construites. Ainsi, nous n’avons que des pavillons qui peuvent accueillir des patients sous le mode libre. Étant donné le manque de ces structures, nos pavillons ouverts se sont transformés en prisons et tous les types d’hospitalisation sont dans le même espace. Ce qui serait juridiquement punissable.
Il nous faut impliquer les 3 ministères concernés : Les Affaires Sociales, le Ministère de la Santé et le Ministère de la Justice.
Cette interaction est absolument nécessaire.
On ne peut plus garder de patients stabilisés.
On voudrait libérer de la place pour les gens nécessitant davantage de soins.
L’hôpital psychiatrique doit se moderniser et accepter de s’ouvrir sur la psychiatrie de liaison. Nous nous devons aussi de nous occuper de la santé mentale de nos concitoyens. En effet, suite à la pandémie et les difficultés sociales rencontrées, nous avons constaté que notre santé mentale a été rudoyée.
La dépression et les troubles anxieux sont aussi devenus pandémiques. Ils se transforment souvent en agressivité, en violence, et en difficultés relationnelles nationales. Chaque jour, au niveau de notre consultation (mille consultants par jour) à l’hôpital Razi, nous devons gérer ces problèmes et nous nous transformons en assistants sociaux ou médiateurs. Il est vrai, que depuis 2011 des psychothérapies ont été introduites en Tunisie et se pratiquent aussi bien dans le privé que dans le public. Mais la majorité de notre population n’a ni les moyens, ni le temps de se faire prendre sérieusement et régulièrement. Oui, le tunisien s’est énormément appauvri. En effet, obnubilé par l’avenir de ses enfants, le tunisien priorise les études de ses enfants en multipliant les cours particuliers et aussi en voulant à tout prix avoir un logement à soi et une voiture. Toutes ces priorités sont difficiles pour le fonctionnaire de l'État. En guise d’exemple, deux chefs de services, Professeurs en médecine ayant des enfants en âge de faire des études supérieures à l’étranger ne pourront jamais financer les études de leurs enfants. D'ailleurs, un de ces couples est parti travailler comme il avait déjà travaillé il y a trente ans. Oui, c’est un luxe de faire ses études ailleurs. Mais ce luxe, nous le payons par le départ massif de nos ingénieurs, de nos médecins et de nos jeunes. Malgré tout, nous nous devons d’être optimistes. Nous vivons une période historique où tout est possible. Nous avons vécu une mutation historique tant au niveau politique, économique que social.
Les métiers artistiques ont explosé, la créativité est aussi là. Il suffit d’être patient et que chacun trouve «sa place» dans ce beau pays.
Si on y arrive, nous serons sauvés.
La Tunisie a un potentiel humain énorme qui, s'il est bien utilisé, peut être notre plus grande richesse.
Il faut savoir que nos médecins reviendront mieux expérimentés et nos ingénieurs aussi. Ils peuvent déjà être de bons ambassadeurs qui ramèneront des devises.
Un tunisien n’oubliera jamais sa Tunisie et essayera par tous les moyens de l’aider. Oui j’ai parlé au début du malaise des psys et par la suite du malaise général. Les malades mentaux non traités rivent devenir dangereux pour eux même et autrui et là, c est trop tard. Il faut savoir que le lien existe: sans prévenir les troubles mentaux et la santé mentale, un pays n’a pas d’avenir. Comme le disaient nos maîtres nous exerçons le plus beau métier (psychiatre), la médecine étant une sous spécialité de la psychiatrie.
Professeur Rym Ghachem Attia
Hôpital Razi Service Pinel