La psychologie de l’extrême et la migration
Par Pr Hafedh Abdelmelek - Dans un contexte mondial de conflits ayant des allures globalement chaotiques ; la conversion des émotions en intelligence est perturbée par les crises sanitaires, économiques, et sociales comme le montre l’émointelligence équation (Abdelmelek et al, 2021). Ainsi, la crise émotionnelle à l’échelle mondiale favorisera la psychologie de l’extrême (migration, conflits, guerre, maladies mentales,…etc.).
La philosophie de la migration
Actuellement, les guerres, les crises sanitaires, politiques et économiques contribuent à rendre les migrations un phénomène mondial (cas récent de l’Ukraine). Classiquement, les flux migratoires sont constitués auparavant par des Hommes jeunes et peu qualifiés. Récemment, les migrants sont des mineurs, des femmes, des cadres, des étudiants, et des familles. Le débat mondial sur la migration doit tourner autour d’une nouvelle philosophie et se focaliser sur les thèmes suivants:
• Faire de la migration un moteur de développement (nord-sud, nord-nord ou sud-nord, sud-sud).
• Créer des parcours migratoires perméables et rentables pour les personnes et les territoires.
• Assurer la sécurité du parcours et l'égalité femme- hommes durant la migration.
• Encadrer la migration durant les conflits et les guerres.
Dans les années à venir le déficit de population dans les pays développés effacera la distinction des différents types de migrants. A côté des guerres, nous assistons à des transformations écologiques du monde liées au réchauffement climatique ; sècheresse, montée des eaux, épuisement sélectif des ressources aquatiques, …etc. Conformément au concept One Health « Une seule santé », les crises écologiques vont encore augmenter les déplacements de populations et des animaux entre les pays du sud qui absorbent déjà à eux seuls plus de 60% des flux migratoires. Nous sommes entrés dans une ère de migrations généralisées qui remettent sérieusement en question les équilibres démographiques, écologiques, sanitaires, et zootechniques du monde. Il est temps de s’interroger sur ce phénomène migratoire et la place du migrant dans le triangle One Health pour lever les obstacles qui entravent la compréhension de la condition migrante. Il faut chercher à comprendre les mécanismes neurophysiologiques de la psychologie de l’extrême et de se demander ce qu’est un migrant sur un volet purement émotionnel (Emointelligence équation) et qui sont les migrants (statut sociologique). La prise en considération des migrations comme phénomène politique décisif nous invite fortement à formuler des orientations basées sur l’harmonie du vivant et le concept One Health qui sont susceptibles de maintenir l’avenir du monde sérieusement menacé de devenir immonde et d’éviter la psychologie de l’extrême.
Un migrant est une personne amenée à quitter sa terre natale pour rejoindre, provisoirement ou à long terme, un autre pays. L’usage a cependant progressivement prévalu dans les milieux politiques et médiatiques d’employer le terme migrant pour désigner les « migrants économiques » et de réserver celui de réfugié aux seuls « réfugiés politiques ». Il est logique qu’une partie importante de ces migrants émigrent vers les pays pouvant encore promettre travail et prospérité, des garanties de vie et des services publics. Les migrants sont avant tout des forces vives, des compétences professionnelles, des ressources d’intelligence, d’innovation, des moteurs de changement et des capacités culturelles et sociales qui viennent enrichir le pays d’accueil. Il y a bien sûr des exils choisis comme le cas particuliers des cadres (Médecins, universitaires,…etc.) : mais même ce choix indique encore qu’une situation initiale (travail, territoire, société,…etc.) a été rendue impropre à la satisfaction d’un accomplissement de soi pour qu’il faille chercher ailleurs cet accomplissement et d’accepter des températures de l’extrême (froid, chaleur,…etc.) et parfois des cultures très éloignées.
«Le déracinement pour l'être humain est une frustration qui, d'une manière ou d'une autre, atrophie la clarté de son âme. Pablo Neruda»
Le migrant n’est donc pas seulement délogé de son monde initial, il est délogé de soi. L’exil présente deux facettes : i) une perte et ii) une quête de soi et création de monde (rêve et imagination), migration vers un destin à venir. Il s’invente et invente ses mondes par la transgression des frontières. Les migrations dessinent les territoires, qui arpentent les univers de l’esprit en géométrisant les imaginaires conformément aux récits d’Imam Al-Chafii.
Avec les migrations naissent les cultures, les civilisations issus de l’imaginaire des personnes. Par conséquent, l’interdiction de la libre circulation transforme les frontières en murs ; l’arrestation des transgresseurs transforme les refuges en prisons ; l’expulsion des exilés transforme les existences en punitions et favorise la psychologie de l’extrême.
La migration et la philosophie des pandémies, du réchauffement climatique et des guerres
La philosophie stoïcienne, c'est que dans la nature, rien n'est bien, ni mal, en soi. La vie repose sur quatre vertus cardinales : le courage, la justice, la tempérance et la sagesse pratique. Elles sont indissociables –il n'y a donc pas de courage sans justice, ni sans sagesse pratique. Le courage se joue toujours face à l'épreuve, qu'elle soit exceptionnelle (la pandémie, la menace d'une guerre nucléaire…) ou plus intime (la maladie ou la maladie mentale).
La Covid-19 nous a déjà fourni un bon terrain d'exercice en matière de psychologie de l’extrême entre les phases de confinement et les phases de déconfinement. Récemment le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) faisait paraître un nouveau rapport extrêmement alarmant, indiquant notamment que 3,30 à 3,60 milliards d’êtres humains vivent dans des contextes « très vulnérables » au changement climatique. Les philosophes et les sociologues reviennent sur cette « double angoisse » d’une guerre géopolitique et d’une « guerre mondiale ». L’Homme déstabilise le triangle One Health et il est en train d’envahir les territoires (provoquant des troubles émotionnels) en déversant différents polluants, compromettant ainsi l’harmonie des écosystèmes.
La migration et la civilisation de l’eau
La loi de conservation des émotions stipule que la somme des émotions positives et négatives à l’échelle du globe reste constante. Elle ne peut être que transformée d'une forme à une autre conformément à l’émointelligence équation et le triangle One Health. Nous commencerons par une question un peu philosophique «que signifie la conservation des émotions ? » Plus précisément, devons-nous y voir un algorithme ou une loi de la Nature, de l’écosystème ou du cosmos qui explique la conservation des émotions. Cette loi et ces algorithmes pourraient être une invention Humaine, qui nous permet simplement d'appréhender notre environnement et nos souffrances (maladies mentales, migration, conflits,…etc.) sous une forme traitable par notre cerveau. L'idée de lois et d’algorithmes universels de gestion des émotions dans la nature est souvent confortée par l'idée d'une difficulté de lier ces phénomènes à l’eau chez l’Homme, l’Animal, et dans les écosystèmes.
L’Homme depuis la nuit des temps a une relation vitale avec l’eau sur un plan biologique, écologique, économique, social et culturel. Les populations se sont toujours installées où elles pouvaient avoir aisément accès à cette précieuse ressource, près d’une source, puit, rivière ou d’un lac, ou au bord de la mer. Le fil conducteur de l’Harmonie du vivant conformément au concept One nature One émotion One Health est l’eau. A toutes les époques de stabilité économique, politique, et des populations, les Hommes n’ont pas cessé de réaliser des aménagements hydrauliques destinés à améliorer leurs conditions de vie et à illustrer leurs formes de culture et de civilisation. L’analyse des livres d’histoires montrent la relation étroite du développement économique, social, culturel avec la qualité de l’approvisionnement en eau des populations et des grandes civilisations qualifiées de « civilisations hydrauliques ». Il existe une corrélation entre le développement des populations et le degré de maîtrise et d’efficacité dans la gestion de l’eau. Inversement, l’affaiblissement de cette maîtrise sociale de l’eau ou les effets du réchauffement climatique entraînent leur décadence et favorise l’apparition de flux migratoires. Depuis la nuit des temps, dès que les Hommes vivent où que ce soit ensemble, en famille, en tribu, en village ou en ville, la toute première chose qu'ils partagent au quotidien, c'est l'eau et le langage. Ainsi l'eau, le langage et l'argent « irriguent »-ils, chacun à sa manière, le tissu économique, social, environnemental et culturel, le vivifie et le solidarise. Le problème des relations réciproques entre eau, homme et territoire doit être discuté dans le contexte d’un flux migratoire exceptionnel à l’échelle du globe. La nécessité de cette triple articulation se présente à n’importe quelle échelle géographique où l’Homme a découpé, réparti, voire clôturé l’espace. En commençant par le niveau de la parcelle, les problèmes d’eau se posent d’abord entre voisins mitoyens ou entre pays voisins dépendant d’une même ressource (source, puits, mare,...) ou recevant les mêmes eaux de ruissellement. La liberté de l’un trouve ses limites dans celle de l’autre ; ni le droit d’usage, ni même de propriété du sol ne lui donne un droit d’usage ou de propriété absolu en ce qui concerne l’eau ce qui nous autorise à développer une lecture philosophique sur la notion de liberté, de l’eau et de la libre circulation ou migration.
Pr Hafedh Abdelmelek
Académie Tunisienne des Sciences, des Lettres et des Arts «Beït al-Hikma» Carthage-Tunisie
Université de Carthage, Faculté des Sciences de Bizerte, Tunisie