News - 10.03.2022

Hubert Tardy-Joubert: Une grande ambition pour l’Institut français de Tunisie

Hubert Tardy-Joubert: Une grande ambition pour l’Institut français de Tunisie

En six mois depuis sa prise de fonction, en septembre dernier, en tant que conseiller de coopération et d’action culturelle, directeur de l’Institut français de Tunisie, Hubert Tardy-Joubert, 36 ans, a déjà posé ses marques. Pour ce normalien, agrégé de philosophie, ancien conseiller au cabinet de Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, puis ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Tunis n’est pas un poste de sinécure. Son expérience dans les mêmes fonctions à Addis-Abeba lui a montré l’importance de la mission et tout le potentiel d’innovation à activer à chaque nouvelle affectation.

A la tête d’une équipe de plus de 80 personnes à temps plein à Tunis, Sousse et Sfax, disposant d’un budget de 18,5 millions de dinars tunisiens dont 90% destinés au financement de projets (353 projets en 2021) et devant agir dans de multiples secteurs et toutes les régions, Hubert Tardy-Joubert est à l’œuvre. Etendre le rayonnement de l’IFT partout en Tunisie, notamment dans les régions éloignées, s’adresser particulièrement à la jeunesse et développer les partenariats : sa feuille de route est tracée.

Pourquoi a-t-il postulé pour Tunis ? Quelle ambition porte-t-il au développement de la coopération culturelle et à l’Institut français de Tunisie ? Retour sur son parcours et ses objectifs.

Interview.

Vous avez un lien de parenté avec la famille Tardy, bien connue en Tunisie?

C’est un homonyme, mais sans lien de parenté. Mes ascendances sont bretonnes. J’ai grandi face au large. Cela m’a certainement donné envie d’aller voir de l’autre côté de la ligne d’horizon. De là cette volonté de m’investir dans des fonctions diplomatiques. 

Pourquoi avez-vous choisi la philosophie?

C’est à la fois une liberté et une exigence, qui combine la rigueur du raisonnement à la créativité d’une vision. On y remet en cause les évidences, on y conçoit de nouvelles manières de se rapporter au monde, en s’appuyant sur une multitude de savoirs : l’histoire, la littérature, les arts, les sciences et les techniques. Et les philosophes qui m’ont inspiré, ce sont surtout ceux qui ont cherché à penser la singularité de leur époque, aussi incertaine et parfois tragique soit-elle. 

Vos parents ont-ils marqué votre parcours?

De mon père médecin qui a choisi d’exercer dans le système hospitalier public (où d’ailleurs il a compté de nombreux confrères tunisiens), j’ai reçu le sens du service public, ainsi qu’une envie de mêler le savoir à l’engagement concret, à la relation à l’autre. Et de ma mère, le dévouement à l’éducation.

Après des années d’enseignement et de cabinet ministériel, vous avez souhaité partir comme conseiller de coopération en Ethiopie…

Mon intérêt pour le continent africain était ancien. Je voulais aussi vivre une expérience de terrain, bien différente de ce que j’avais pu connaître en cabinet ministériel. Travailler avec le ministre Le Drian a renforcé ce goût pour le continent africain. J’ai eu la chance d’être nommé en Ethiopie, un pays qui m’attirait pour sa civilisation ancienne, si singulière. Sa capitale Addis-Abeba accueille le siège de l’Union africaine, avec des enjeux diplomatiques majeurs.

Trois ans après, vous avez postulé pour Tunis…

J’avais eu une première expérience avec la Tunisie en 2012. C’était à la faveur d’un échange d’étudiants entre les deux écoles normales supérieures, celle de Paris et celle de Tunis. Pendant un mois et demi, j’ai pu vivre cette grande effervescence dans le pays, au contact d’étudiants, d’enseignants et de militants. Cela a forgé ma conviction de vouloir y travailler dans un temps long.

Au vu des enjeux de coopération que nous avons avec la Tunisie, ce poste est important pour le réseau diplomatique français. Je souhaite assumer au mieux cette mission, sous l’autorité de l’ambassadeur de France en Tunisie.

Comment s’est passée votre prise de poste?

En arrivant en septembre 2021, le plan d’activité était très dense. Il fallait s’adapter vite pour assurer la mise en œuvre des projets en cours. La période de prise de poste est toujours décisive : il faut à la fois agir et prendre le temps d’écouter, de consulter celles et ceux qui ont la mémoire de notre coopération. C’est une démarche que je souhaite poursuivre. C’est ce qui permet à la fois d’assurer la continuité de ce qui doit l’être tout en portant un regard neuf sur la situation, afin de proposer de nouvelles initiatives. Avec dans chaque domaine une volonté de co-construction avec nos différents partenaires tunisiens.

Depuis septembre, j’ai aussi eu la chance de travailler avec une équipe remarquable. C’est une fierté d’agir ensemble. Avec toutes celles et ceux qui travaillent à l’IFT, pour certains depuis de nombreuses années, nous formons un collectif engagé au service de la relation entre la Tunisie et la France.

L’IFT dispose-t-il d’importantes ressources financières?

En 2022, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères met à disposition de l’Institut français de Tunisie 18,5 millions de dinars tunisiens pour agir. Seul 10% de ce montant est consacré au fonctionnement de l’IFT. Les 90 % restants (16,7 millions de dinars tunisiens) permettent de financer des projets concrets, au bénéfice de la relation entre la France et la Tunisie. 35% de ces moyens (6,5 millions de dinars tunisiens) servent à financer des bourses permettant à des Tunisiens et des Tunisiennes d’étudier ou de se former en France. Ces moyens démontrent l’importance que la France accorde à sa coopération avec la Tunisie.

L’IFT, basé à Tunis, se déploie dans plusieurs régions…

Oui. L’IFT, ce sont trois lieux principaux : Tunis, Sfax et Sousse, et 12 pôles de langues sur tout le territoire tunisien où la langue française est enseignée et des diplômes internationaux délivrés à nos étudiants comme à des professionnels qui souhaitent renforcer leurs compétences: dans le Grand Tunis, à Béja, Médenine, Tataouine, Nabeul, Hammamet, Kébili, grâce à l’engagement de nos professeurs de français, que je tiens à saluer. Il y a aussi tout le réseau de partenaires avec lesquels nous travaillons. Depuis ma prise de fonction, je me suis déplacé à plusieurs reprises en région. Je compte poursuivre ces déplacements dans les prochains mois pour aller à leur rencontre.

Quelle importance revêt pour vous l’enseignement de la langue française?

C’est l’une des grandes priorités. Nous y veillons tant au sein des pôles de langue de l’IFT qu’en partenariat avec le réseau des six alliances françaises de Tunisie, à Bizerte, Kairouan, Gafsa, Djerba, Gabès et Tunis. Je pense également aux établissements scolaires de l’AEFE : le réseau d’enseignement français en Tunisie comptera bientôt 22 écoles qui accueillent plus de 17.000 élèves. C’est le quatrième réseau dans le monde.

Nous entretenons aussi une coopération étroite et de grande confiance avec le ministère tunisien de l’éducation, au vu des enjeux que représente notamment la langue française pour la réussite des élèves tunisiens.

Outre l’enseignement de la langue française, l’IFT couvre de nombreux autres domaines…

Effectivement, l’IFT agit dans de multiples secteurs de coopération : culture, débats d’idées, éducation, enseignement supérieur et recherche scientifique, mobilité étudiante, appui aux initiatives de la société civile (dans différents domaines : égalité de genre, défense des libertés publiques et de l’Etat de droit, lutte contre les inégalités, environnement et climat) ; formation dans le domaine de la santé ; coopération décentralisée, appui à la gouvernance.

En 2021, l’IFT a financé 353 projets, tous secteurs confondus. 86 ont été mis en œuvre dans le Grand Tunis et 267 en régions, dans tous les gouvernorats de Tunisie.

Quelles sont vos priorités en 2022?

D’abord, renforcer notre coopération dans le domaine de l’éducation, en particulier en faveur de la pratique de la langue française en Tunisie et d’une ouverture sur la culture francophone. Parce que ma conviction, c’est qu’une langue n’est attractive que si elle se double d’une offre culturelle. Avec 300 millions de locuteurs, la langue française ouvre sur un horizon qui va bien au-delà du seul hexagone. Le plurilinguisme est une richesse. C’est aussi une nécessité dans le monde où nous vivons. Pour cela, favoriser la rencontre et le dialogue entre les scènes culturelle et intellectuelle tunisiennes et francophones ; appuyer les initiatives de la société civile, avec une attention particulière à la défense des droits et libertés. Aussi, coopérer avec l’Etat tunisien pour le renforcement de son système d’éducation, de ses universités et institutions de recherche ainsi que la formation des cadres de l’administration.

Quel est le principal enjeu pour vous?

Agir à l’échelle du territoire tunisien, en particulier à destination de la jeunesse, dans un esprit de partenariat. Nous n’agissons jamais seuls. Nous le faisons toujours en relation étroite avec les Tunisiennes et les Tunisiens. Je souhaite que l’IFT soit ouvert à leurs projets et à leurs initiatives.