Si le dromadaire voyait sa bosse...
«L’histoire est à nous et ce sont les peuples qui la font. » (Dr Salvator Allende)
Par Mohamed Larbi Bouguerra - C’est touchant tous ces politiciens étrangers – Américains, Turcs, Union Européenne- qui soulignent si fort l’importance de la démocratie, du respect des libertés et des droits syndicaux dans notre petit pays.
Bien sûr, la Tunisie n’est pas une social-démocratie scandinave mais c’est un Etat qui existe depuis 3000 ans, qui a aboli l’esclavage bien avant d’autres pays occidentaux, qui a édicté une Constitution en 1861- la première dans le monde musulman- et qui s’est débarrassé de Ben Ali et de sa clique à la force du poignet de ses enfants. Ce 9 avril, commémoration des Martyrs de 1939 aujourd’hui, est là pour le prouver.
Tout cela n’a pas empêché Mme Uzra Zeya, « sous-secrétaire d’Etat US à la sécurité civile, à la démocratie et aux droits de l’homme » (ouf), après sa visite à l’UGTT, le 24 mars dernier, de faire la leçon sur des thèmes syndicaux et démocratiques.
Si le dromadaire du proverbe tunisien…
Or, on apprend que vendredi 1er avril 2022 a porté chance à la classe ouvrière et laborieuse américaine.
L'entrepôt Amazon JFK8, situé dans le quartier de Staten Island à New York, est devenu le premier des États-Unis à voter pour la création d'un syndicat pour défendre le droit des salariés. Sur les 8.325 travailleurs de l'entrepôt présents – Afro-Américains et Latinos en majorité- sur la liste des votants, 4.852 salariés ont glissé un bulletin dans l'urne. Le "oui" l'a remporté à 2.654 voix contre 2.131.
Cela faisait plus de deux ans, que les travailleurs de cet entrepôt se mobilisaient pour réclamer plus de protection, notamment sanitaire face à l'épidémie de Covid. Mais la firme de Jeff Bezos ne voulait rien entendre. Et continue de se positionner contre cette mesure clamant que des salariés ont été intimidés pour qu’ils votent oui. Elle a déposé un recours le 7 avril auprès de l'agence fédérale chargée du droit du travail (NLRB) et mobilise un bataillon d’avocats contre les salariés et leur syndicat.
De fait, la multinationale s’était jurée de maintenir toute forme d’organisation collective hors des entrepôts de ses sites.
Cette brèche historique chez Amazon a été faite par un groupe de salariés qui se sont organisés seuls, sans l’appui d’un syndicat. Un ancien salarié, Chris Smalis, mis à la porte par « le management » après une manifestation lors de la pandémie, car il osait demander plus de mesures sanitaires pour protéger les employés face à la menace du Covid. Nul ne croyait aux chances de Smalis de réussir dans sa démarche lorsqu’il a commencé à collecter des signatures afin d’être autorisé à organiser un scrutin. Ce dernier ne peut avoir lieu que si 30% des salariés le demandent.
Dans le pays le plus riche du monde et qui, avec ses cinquante bases militaires à travers la planète défend la démocratie de l’Irak à l’Afghanistan et de Cuba au Venezuela, que manque-t-il à ces salariés d’Amazon ? Leurs revendications « révolutionnaires » qui hérissent tant le poil de M. Bezos se résument à : des pauses plus longues, des congés maladie et un salaire horaire de 30 dollars contre 18 à l’heure actuelle. N’est-ce pas « révolutionnaire » au XXIème siècle dans un pays démocratique ?
On comprend la joie du Président Biden à l’annonce de ce succès des salariés d’Amazon. Un syndicat aux Etats Unis, c’est donc si rare, si difficile à mettre sur pied que le locataire de la Maison Blanche saute d’allégresse ? Mme Uzra Zeya ne doit pas être au courant et c’est normal. Elle est si souvent à l’étranger à prêcher la bonne parole, elle, en charge de « la sécurité civile, de la démocratie et des droits de l’homme » (re-ouf)! Espérons que le Président Biden - qui a créé un groupe de travail à la Maison Blanche « pour assurer que la décision de se syndiquer appartienne aux salariés et à eux seuls »- l’y invite pour éclairer sa lanterne!
La démocratie…. parlons-en !
Le Président Biden veut nous punir et réduire l’aide à la Tunisie.
M. Biden prêche la démocratie… tellement respectée sur ses terres que l’ancien président Donald Trump vient de dire son admiration pour les mutins du 6 janvier qui ont envahi, dévasté et tué dans ce « temple » américain de la Démocratie qu’est le Capitole de Washington. M. Biden prêche la démocratie…qui est si minutieusement appliquée à Guantanamo ?
Les Etats Unis sont si démocrates que de nombreux Etats de l’Union édictent fébrilement des lois pour empêcher les minorités (Afro-Américaine et Latino) de s’inscrire sur les listes électorales et que certains gouverneurs d’Etat veulent que les Américains puissent porter des armes le plus librement du monde.
Les Etats Unis sont si imbus de démocratie qu’ils ne voient aucun reproche à adresser à Israël qui, par sa loi de l’Etat-Nation de juillet 2018, a instauré un régime d’apartheid pour ses ressortissants non juifs soit 20% de ses habitants.
Démocratie à l’américaine : le New York Times du 23 mars 2022 rapporte- avec bien d’autres horreurs de massacres récents à Norfolk (Virginie), à Dumas (Arkansas), à Miami Beach (Floride) - que « la nuit de vendredi [18 mars] à Louisiana, un bébé de sept mois a reçu une balle en pleine tête s’étant trouvé pris dans un échange de tir… ». Le quotidien new-yorkais a remis çà le 3 avril 2022 en écrivant : « Au moins six morts et 12 blessés dans une fusillade de masse à Sacramento (Californie) selon la police » et de citer Darrell Steinberg, le maire de Sacramento, la capitale de l’Etat « qui a appelé à un financement accru de la santé mentale pour les jeunes et à une action renforcée contre la violence armée. Au moins neuf fusillades de masse - définies par au moins quatre personnes abattues - se sont produites en un seul week-end le mois dernier à travers le pays, comme beaucoup d'autres avec moins de victimes. "C'est une maladie dans notre culture, et nous devons faire tout ce que nous pouvons pour guérir cette maladie", a déclaré le maire. De son côté, le maire de Miami Beach, Dan Gelber, instituant un couvre-feu dans sa ville se plaint de toutes ces fusillades démentes : « Nous ne pouvons pas supporter cela : la flambée des tirs aux États-Unis ne montre aucun signe d'apaisement » (The New York Times du 23 mars 2022).
Aux Etats Unis, le Mur de l’argent expliquerait bien des choses : du puissant lobby des armes à feu qui décide des carrières politiques, aux influentes multinationales en passant par les compagnies d’assurances dont les tarifs laissent 45 millions d’Américains sans couverture sociale. Stephen Margolin, économiste américain, ancien professeur à l’Université Harvard, écrit dans le Monde du 19 février 2022 (page 30-31) : « Aucune personne saine d’esprit ne pourrait concevoir un système de santé sur le modèle américain. Aux E. U, la seule raison plausible empêchant hardiment vers un système de couverture santé universelle est que les coûts qu’impliquerait la mise à bas du système existant sont trop importants….La jeune génération est de plus en plus rétive à accepter une économie qui menace la vie de milliards d’individus pour le seul avantage des milliardaires. »
Alors de grâce, Mesdames et Messieurs les politiciens américains, turcs et européens, laissez les Tunisiens résoudre leurs difficultés politiques et respectez, svp, la souveraineté de ce petit pays au passé glorieux et qui aspire à un avenir meilleur.