L’édito de Taoufik Habaieb: Ressusciter les régions
En roue libre ! Le relâchement général qui affecte la Tunisie pénalise davantage les régions. Livrées à leur sort, laissées pendant de longs mois sans gouverneur pour une bonne partie d’entre elles et subissant une rotation accélérée des directeurs régionaux, souvent dépouillés de pouvoirs, elles sont de plus en plus déconnectées de Tunis. Administration régionale et populations en souffrent. Un sentiment d’abandon est largement partagé.
Le prix à payer est lourd pour le développement des régions, la réduction des disparités et la programmation de nouveaux projets publics. L’élaboration du 13e Plan de développement
2023 -2025, devant être adopté par le gouvernement fin juin prochain, en offre une édifiante illustration. Dans un climat général de désenchantement, les régions n’ont pas su se mobiliser et s’impliquer. Conseils régionaux et municipaux, élus, partis politiques, syndicats, corporations et autres composantes de la société civile ont, pour la plupart, raté une belle occasion pour faire porter leurs voix et faire aboutir leurs demandes. Aucune vision nouvelle n’est affirmée, aucune ambition mobilisatrice n’est proclamée.
La note d’orientation Tunisie 2035 fait de la participation des régions à la définition de leurs priorités un axe central. On en est bien loin. La mise en place du système politique et institutionnel de la décentralisation tarde à voir le jour, tout comme l’activation du conseil supérieur des collectivités locales, la restructuration de l’administration régionale et locale, ou encore le transfert des attributions centrales aux administrations régionales, municipalités et conseils régionaux.
Les avancées inscrites dans la Constitution et le nouveau code des collectivités ne trouvent pas encore concrétisation. Les régions sont confrontées à un fonctionnement quasi-mécanique, sans vision, ni ambition. Avant la fin de ce mois de mai, le ministère de l’Economie et du Plan doit procéder aux rapprochements et arbitrages, à partir des rapports régionaux et sectoriels, afin d’établir la version finale.
Une ultime chance reste ouverte aux régions pour qu’elles relisent leur copie et défendent leurs projets. Quitte à accorder un délai supplémentaire de quelques semaines, le gouvernement doit laisser aux régions le temps de mettre en débat public la partie qui leur revient dans le Plan 2023 -2025, tout en se prononçant sur l’ensemble. Que vaut un plan s’il n’est pas endossé par ses bénéficiaires, comme par ceux qui le mettront en œuvre ?
Les régions sont l’avenir de la Tunisie. Quel que soit le système politique et institutionnel qui naîtra du référendum du 25 juillet prochain, il n’aura d’impact que s’il favorise la consolidation des régions en pierre angulaire de l’édifice national. Tout est désormais proximité sur le terrain, interaction locale, intégration régionale, interconnexion entre les régions. Centralisation et concentration ne sont plus de mise.
Redonner aux régions leur pouvoir de décision, dans la cohérence d’un Etat bien structuré, est l’unique option. La première action à prendre est de s’assurer que des gouverneurs de très haut niveau, compétents, imprégnés du sens de leur mission et visionnaires, sont portés aux commandes, à la tête d’équipes chevronnées et enthousiastes. Des moyens humains et financiers leur sont nécessaires. Idem pour les municipalités. Et c’est à la population de se prendre en main, à travers la société civile et les corps intermédiaires.
Ressusciter les régions et les redéployer est une rare opportunité de relance qui s’offre à la Tunisie. Les pouvoirs publics doivent s’y résoudre irrévocablement. Et les régions s’y investir.
Taoufik Habaieb