Qu'est-ce-qu' être Tunisien aujourd'hui?
Un ami médecin, revenant récemment d'un pays du Golfe où il travaille m’a fait part des difficultés qu’il a éprouvées dans son pays d’accueil pour s’intégrer. « C’est comme si je ne suis ni arabe ni musulman, comme si une distance énorme me séparait des habitants de ce pays…heureusement que je n’étais pas seul et que je pouvais briser le carcan de la solitude avec d’autres Tunisiens » disait-il.
Ce qui l’avait surpris, c’est en premier lieu la modernité apparente du pays d’accueil où les pétrodollars coulent à flot et la vie traditionnelle des habitants, qui ont changé très peu de choses à leurs habitudes comportementales bédouines et gardé en apparence un attachement très fort à des valeurs qui n’ont plus cours en Tunisie ou très peu.
Ainsi, dans ce pays outre le fait qu’un médecin masculin ne peut examiner seul une femme, cette dernière n’a pas le droit de lui parler directement. Quand un médecin pose une question, type ressentez-vous de la fièvre, ce n’est pas la femme qui répond mais le mari. La voix de la femme étant considérée comme une part érotique (Aoura) qu’il convient de ne pas montrer.
Les habitants semblent observer avec énormément de rigueur toutes les obligations religieuses et un comité de bénévoles avec l’autorisation de l’état veille au respect des préceptes religieux et se charge de ramener dans le droit chemin les récalcitrants. Mais ce qui avait le plus surpris, notre collègue médecin expatrié , c’est qu’à chaque week end , nombre d’habitants de ce pays, se rendent dans un pays voisin plus libéral pour se défouler.
Face à cette schizophrénie sociale, il m’a dit ne jamais s’être aussi bien senti en étant Tunisien. « Nous sommes modérés, jamais excessifs, la question de la liberté de la femme n’est pas un problème pour nous et nous pouvons allier en nous à la fois notre foi religieuse et la modernité nécessaire pour vivre avec notre temps » m’a-t-il dit et je suis réellement heureux de rentrer au pays.
Son récit simple et sincère m’a amené à m’interroger sur ce que cela veut dire être Tunisien et quels sont les dimensions inamovibles de notre identité.
Qu’est-ce être Tunisien ? Cette question en apparence banale à laquelle tout Tunisien est censé pouvoir répondre cache en fait toute l’étendue de l’interrogation que nous pouvons tous émettre quant à notre identité.
La question de l’identité à l’heure où nous entrons de plein pied dans un monde globalisé, où les frontières jours après jour s’estompent, où les échanges de biens et de cultures entre les groupes humains atteignent des niveaux inimaginables il y a seulement trente ans, se pose aujourd’hui avec une acuité insoutenable et imprime de manière notable les comportements et croyances des citoyens.
Il suffit de se promener dans les rues de Tunis et observer avec attention les comportements et les accoutrements de nos concitoyens pour se rendre compte qu’il n’est pas aisé de définir des traits saillants dans lesquels tous les Tunisiens se reconnaîtront.
Ici, un monsieur dans un impeccable costume-cravate, ici une dame entre deux âges avec robe et foulard, là-bas un jeune en jeans avec un piercing à l’oreille, plus loin une jeune étudiante habillée à la dernière mode Parisienne accompagnant une collègue vêtue et enveloppée à la manière moyen orientale.
Cette même jeune fille dont la tenue très prude laisserait croire à une certaine réserve et retenue, discute sans gène et à voix haute avec un marchand lui réclamant un rabais. Ce même jeune homme en jeans regarde l’autre jeune étudiante du coin des yeux mais n’a pas le courage de lui adresser la parole bien que c’est une voisine qui le connait bien. J’ai vainement chercher un Safsari, il n’ y en a presque plus et la djebba est rare. Seule la Chéchia portée par quelques uns rappelle une certaine identité vestimentaire en voie de déclin. Rien dans la tenue des gens ne nous fera croire que nous sommes en Tunisie.
Le comportement routier nous donne d’autres éléments à notre prospection ; ici un conducteur klaxonne et injurie un autre qui a omis d’allumer son clignotant alors que lui-même il a omis de réparer li clignotant de sa voiture depuis plusieurs mois. Le feu rouge n’est à respecter que si un agent de police se tient à côté, autrement il est inutile de s’arrêter comme pourrait comprendre un étranger qui s’aventurerait sur nos routes.
Les lois sur l’interdiction de téléphone dans la voiture comme du tabac dans les restaurants ne sont faites que pour les autres, chaque Tunisien a une connaissance, un piston pour le tirer des mauvaises postures
Mais là aussi, la situation est similaire dans la plupart des pays en développement.
On pourrait multiplier à l’infini le nombre des incohérences que l’ont peut détecter dans les comportements des Tunisiens, cela ne nous mènera pas vers la compréhension ou la description de la personnalité tunisienne.
Alors qu’est ce qui est spécifique aux Tunisiens en dehors du thé à la menthe, du brik à l’œuf et de l’harissa, c'est-à-dire notre cuisine.
Je dirais d’abord leur tolérance envers l’autre, héritiers de plusieurs civilisations et d’une histoire millénaire, les Tunisiens, contrairement à d’autres sont accueillants envers l’étranger, qu’il partage ou non leurs valeurs et lui ouvrent volontiers les portes de leur maison.
Ils tolèrent la différence avec énormément d’aisance et ont la faculté d’intégrer et de s’intégrer. Leaders.com rapporte régulièrement dans ses « success stories » l’histoire de Tunisiens qui ont réalisé des merveilles à l’étranger.
Cette faculté d’adaptation peut parfois les taxer d’hypocrites par celui qui ne connait pas l’âme tunisienne et la formidable capacité de survie qui a forgé l’identité de ce petit peuple dont les terres ont été régulièrement envahies par des adversaires plus forts, mieux armés et plus agressifs.
D’ailleurs cette douceur mielleuse, cette absence de recours à la violence sauf exception, le fait de plier devant le fort mais sans jamais se briser, la patience d’attendre dans les moments difficiles et de toujours positiver a développé chez les Tunisiens, un art de la parole ; la capacité de parler de tout sauf des sujets qui fâchent.
A côté de la Tolérance, du pacifisme, le Tunisien possède une autre caractéristique, l’opportunisme, il est capable de trouver un intérêt partout et monter rapidement une affaire. Néanmoins cet opportunisme est vite tempéré par son besoin impérieux de vie familiale et son anxiété à engager une grande quantité d’argent. Le Tunisien est courageux mais pas téméraire. Il aime la sécurité, la tranquillité, la bonne vie ; le mariage, les enfants. Des explorateurs français au début du 19ème siècle ont déjà noté le fait que les liens affectifs avaient une importance considérable pour les Tunisiens et contrairement à l’Algérie qu’ils avaient aussi visitée, la polygamie n’était pas fréquente dans nos villes et que la place de la femme était loin d’être insignifiante dans la gestion des affaires de la famille.
Le Dialecte Tunisien possède un mot qu’ont ne retrouve nulle part ailleurs « Yaichek » Que Dieu te fasse vivre ! Cette tournure de phrase nous est spécifique, puisses-tu vivre est dite en guise de remerciements, de demande, de sollicitation, de pardon etc… comme si dans notre inconscient collectif, la menace millénaire perdure et ce qui compte c’est survivre
Au fond pour moi, l’âme du Tunisien est à rechercher dans son histoire, tumultueuse, changeante, riche et palpitante. Le Tunisien est le prolongement de ses racines berbères, carthaginoises, romaines, byzantines, Arabo-musulmanes, Turques, méditerranéennes, il est aussi celui qui a déjoué tous les avatars de son histoire pour survivre, s’aimer et aimer l’Autre. Ses points forts, résident dans son caractère pacifiste, modéré, affectueux envers sa famille sa femme et ses enfants, son pays et le peuple auquel il appartient. Le Tunisien est un drapeau rouge avec une colombe tenant au bec, un mechmoum de jasmin.
Abou Rafic