L’édito de Taoufik Habaieb : Quid de la Nouvelle République ?
Sacrés Tunisiens ! Vite épris, vite dépris. Ils ne cessent d’étonner. Hier acharnés à déboulonner la dictature, puis à balayer la Troïka du pouvoir, les voilà, dans une très large majorité, accorder les pleins pouvoirs à Kaïs Saïed. Quitte à accepter les dérives, pourvu qu’il déracine l’islam politique et éradique la corruption.
Un état d’exception s’installe, sans limites. En parfaite ligne droite, Kaïs Saïed conduit la Tunisie vers l’accomplissement de son propre projet d’une «Nouvelle République». Rien n’est encore révélé du système politique et de la constitution qu’il entend faire endosser par un référendum populaire, suivi d’élections législatives anticipées.
Jusqu’au bout, qu’il vente ou qu’il pleuve, tout à son grand dessein, Kaïs Saïed est absolument résolu à le faire aboutir. Un large dialogue national était annoncé en décembre dernier pour débattre des réformes institutionnelles et formuler des propositions consensuelles. Il a été sans cesse repoussé et réduit dans son format. Il aura fallu attendre fin mai pour qu’une instance consultative soit créée avec pour mandat de soumettre ses recommandations, le 20 juin au plus tard. Son président-coordinateur, le doyen Sadok Belaïd, accepte un grand pari.
Une occasion de ratée. L’économie, soumise à un dialogue national inclusif, pèsera de tout son poids sur le processus politique engagé. Un débat fécond, pluriel, profond aura été nécessaire et utile. Pour favoriser les expressions multiples, esquisser des solutions immédiates et les contours d’un projet d’avenir.
Pour tout dialogue, il n’y aura que l’Instance Belaïd, dans son format réduit et ses délais express. Kaïs Saïed fera le tri parmi ses propositions et foncera tout droit. Sans trop se soucier des réactions en Tunisie et des interrogations à l’étranger ou, plus tard, du taux de participation au vote, rien ne l’arrêtera. Un passage en force sera redoutable.
En attendant l’aboutissement du processus politique, comment gérer les urgences au quotidien? S’ils s’apprêtent aux vacances d’été, les Tunisiens sont en butte à la flambée des prix. Tout augmente, au risque de devenir prohibitif, vidant le panier de la ménagère. L’inflation atteint un taux record de 7,5%. Le taux directeur de la Banque centrale passe à 7.0%, avec ses conséquences sur les crédits. La guerre en Ukraine ajoute aux déficits des finances publiques pas moins de 5 milliards de dinars en surcoût de pétrole et de céréales, outre le manque à gagner en touristes russes. Le budget de l’Etat n’arrive pas à boucler les 20 milliards de dinars de déficit. Les réformes tardent, le FMI et les autres bailleurs de fonds ne sont pas prompts à accorder les crédits.
Boucler les fins de mois devient un cauchemar, pour l’Etat comme pour les Tunisiens. Ce grand mur de vérité sera déterminant. En déléguant les pleins pouvoirs à Kaïs Saïed, les Tunisiens comptaient sur lui pour préserver leur pouvoir d’achat, les prémunir contre l’inflation, sécuriser leurs maigres ressources. Au bout du rouleau, les travailleurs multiplient les revendications d’augmentations salariales. Subissant de plein fouet l’effet des crises successives, les entreprises sont dans l’impossibilité d’y répondre. Le front social risque alors de s’enflammer.
Fortement centré sur son projet politique, Kaïs Saïed doit parer aux autres urgences, essentielles. Freiner la flambée des prix, mobiliser des financements extérieurs et relancer l’administration publique sont de haute priorité. Les Tunisiens réclament une avance sur les dividendes de la «Nouvelle République» de Kaïs Saïed.
Sans délai, il doit s’y résoudre. En renforçant ses équipes, en leur fixant des objectifs précis et des échéances impératives. Le gouvernement est à revigorer. L’économie est à relancer. Et les Tunisiens doivent se réconcilier..
Taoufik Habaieb