Salah Hannachi : Shinzo Abe, une grande figure politique du Japon
Ancien ambassadeur de Tunisie à Tokyo, Salah Hannachi dresse le portrait de l’ancien Premier ministre du Japon, Shinzo Abe.
L’assassinat de Shinzo Abe à Nara au Japon le vendredi 8 juillet 2022 a plongé le Japon, tous les amis du Japon, en fait tous les pays, dont la Tunisie, dans une profonde consternation. L’acte était d’autant plus choquant et tragique qu’il fait exception à la culture japonaise pacifiste et à la sécurité légendaire de la société au Japon. L’achat et la possession des armes sont très strictes et très sévèrement contrôlées. Le postulant doit suivre une formation et passer un examen écrit. De même subit-il un test psychologique et fait-il l’objet d’une enquête auprès de ses voisins et de ses amis. Le pays n’a pas connu un tel acte depuis 1936 et n’a enregistré que 10 victimes d’attaques armées en 2021 contre 40 000 aux USA
La famille Abe est en effet un des grands amis de la Tunisie au Japon. La mère de Shinzo et sa femme étaient proches de notre ambassade à Tokyo. Cela remonte à son père aussi, Shintaro Abe, ministre des Affaires étrangères du Japon dans les années 80, qui était un grand ami de notre ambassadeur à Tokyo, Habib Ben Yahia, de notre ambassade et de de la Tunisie. Il est le fondateur et le premier Président de l’Association d’Amitié Parlementaire Tunisie-Japon. Il avait visité la Tunisie du temps de Béji Caïd d Essebsi aux Affaires étrangères et avait été décoré alors par le Président Bourguiba, dans l’Ordre de la République. Quand il était tombé malade et avait dû quitter l’activité politique, il a confié son fils Shinzo et l’association à Yoshiro Mori.
Né dans une dynastie politique aristocratique, Shinzo avait commencé son initiation aux affaires très tôt. ll avait accompagné son père en Iraq et en Iran, avec Yoshio Hatano, dans une initiative diplomatique japonaise courageuse et indépendante, pour une réconciliation et un arrêt de la guerre entre les deux pays dans les années 80.
Ambassadeur à Tokyo, j’avais rencontré personnellement Shinzo Abe, en 2002, à l’occasion d’une visite de courtoisie du ministre des Affaires étrangères Habib Ben Yahia au Premier ministre de l’époque, Yoshiro Mori. Mori était sorti accueillir le ministre Tunisien dans la cour du Ministère, au grand étonnement des journalistes japonais, toujours à l’affut de buzz news, venus en grand nombre devant le siège du Premier Ministre. Ils étaient étonnés par ce geste accompli à l’égard d’un petit pays comme la Tunisie. Après les salutations chaleureuses, Mori fait un geste à un jeune homme de son cabinet lui demandant de se rapprocher et demanda à Habib Ben Yahia « Le reconnaissez-vous ? c’est Shinzo, il est dans mon cabinet ! il était encore tout jeune quand vous étiez ambassadeur à Tokyo. »
Shinzo était aussi venu assister au dîner à notre ambassade offert à l’occasion d’une deuxième visite de Habib Ben Yahia et auquel avait assisté MM. Tanaka, ministre des Affaires étrangers et Seishiro, un parlementaire ami de la Tunisie de la préfecture de Oita qui avait lancé le concept OVOP (Un Village Un Produit).
Abe, était d’une santé fragile qui l’avait obligé de démissionner une première fois de son mandat de premier Ministre qui avait duré jusqu’en en 2006, un an un jour seulement. Le Japon passait alors par une période de grande turbulence et a vu se succéder cinq premiers ministres dans la période 2007-2012, dont les mandats n’avaient pas dépassé 16 mois. En 2012, Shinzo était de nouveau à la tête du gouvernement et y était resté jusqu’en 2020, pour le plus long mandat dans l’histoire du Japon.
En plus de la stabilité dont les Japonais étaient assoiffés, Shinzo Abe a donné au Japon, puissance industrielle, une stature géopolitique internationale qui lui avait manqué depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Il a accompli cet objectif en normalisant la situation des Forces d’Auto-défense, renforçant la politique de rapprochement des États-Unis d’Amérique, de son prédécesseur Koizumi et de rapprochement de l’Inde de son mentor M. Mori. Il était le premier chef de gouvernement à rencontrer le président Trump après son élection en 2016. Plus tard, il a pu convaincre le président américain du bien-fondé du concept d’Indopacifique, et l’establishment politique de laisser le Japon adhérer à l’Alliance QUAD (USA-Inde-Japon-Australie). De même a-t-il donné à la diplomatie africaine du Japon et à la TICAD une dimension stratégique et une envergure nouvelle.
Les présidents Poutine et Xi Jinping étaient parmi les premiers à adresser leurs condoléances au Japon et à la famille du défunt, exprimant leur profonde tristesse et leur haute considération.
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